les victimes en série de Moumen Khalifa

Partager

Les avocats de la partie civile ont été unanimes, hier, durant leurs plaidoiries à accuser en premier lieu, Moumen Khalifa et la Banque d’Algérie, de tous les maux et les malheurs des différents déposants. Mme Fatiha Brahimi, présidente du tribunal, entame l’audience par l’appel des accusés en liberté. Tous étaient présents. Celle-ci menace de prendre les dispositions nécessaires à partir de samedi prochain en cas de leurs absences. Maître Fedag, avocat de la Compagnie centrale d’assurance, qui a perdu 300 millions DA, dira que la création de la banque Khalifa était “fictive”. L’Entreprise de gestion touristique de Biskra a perdu, selon son avocat Guenan, 5 milliards de centimes. Il s’interroge sur les raisons qui avaient empêché les commissaires aux comptes de titrer la sonnette d’alarme. L’avocat souligne que le ministère de tutelle aurait dû être plus prudent pour engager des réserves sur la banque Khalifa. “Il ne faut pas seulement responsabiliser les accusés”, dit-il. De son côté, maître Hamouda, avocat de l’Office national des droits d’auteur, lequel a perdu 20 milliards de centimes, indique que la banque El Khalifa avait “l’intention avérée” de mettre la main sur l’argent des déposants. “Les autorités bancaires n’ont pas accompli leurs missions, sinon on n’aurait pas trouvé autant de trous financiers. Malgré les violations, on a laissé faire”, assure-t-il. L’hôtel El Aurassi a également laissé des plumes avec la perte de 18 milliards de centime comme indiqué par l’avocat Abbed. Il qualifie cette opération de veritable hémorragie accompagnée de la faillite de certaines entreprises nationales. “Cette affaire a un écho négatif auprès de l’opinion nationale qui n’a plus confiance dans nos banques”, constate-t-il. Maître Aouchiche, représentante de la mutuelle de la Direction générale de la sûreté nationale estime que cette dernière a perdu 275 millions DA déposés au préalable dans les agences de Chéraga et des abattoirs. Elle dit que tout ce qui brille n’est pas or dans une allusion claire aux taux d’intérêt alléchants que la banque de l’ancien golden boy d’Alger offrait aux entreprises publiques et privées. Le représentant de la CNAC et du fonds de garantie sur le micro-crédits, maître Hadjar, note que le directeur général et le directeur financier de la CNAC, qui a perdu 187 milliards de centimes, avait fait le placement sans avoir aucune garantie en contrepartie. Le fonds de garantie a également perdu un montant de 132 milliards de centimes. Hadjar avoue que ces responsables avaient effectué les dépôts pour des intérêts personnels et familiaux et non pas dans le souci de réduire le taux de chômage. Selon lui, les lois des caisses sociales leur imposaient d’avoir l’aval du ministère de tutelle. L’Entreprise du ciment et de ses dérivés établis à Chélef est victime, estime son avocate maître Annane, de manœuvres et de magouilles de la part de la banque Khalifa. Cette entreprise n’a pu récupérer la somme de 830 millions DA. “Ce qui me fait de la peine, ce n’est pas les entreprises, mais c’est les petits déposants ayant passé toute leur vie à amasser un petit pactole avant de le voir s’évaporer dans cette banque”, se désole-t-elle.

L’argent du télethon de Bab El Oued passe à la trappe

Le Parc Zoologique de Ben Aknoun n’a pas été épargné par la banqueroute de la banque Khalifa. Selon son avocat, Hammoudi, le parc a perdu 4 milliards de centimes. “Même les animaux n’ont pas été épargnés par les méfaits de Khalifa”, opine un autre avocat. L’agence foncière de Aïn Témouchent, représentée par son avocat Madani, a elle aussi été victime de la perte de 10 milliards de centimes déposés dans l’agence d’Oran. “Je suis étonné d’entendre un directeur d’agence dire avoir remis de l’argent à des personnes qu’il ne connaît pas”, clame-t-il. De son coté, maître Medjahed, avocat de l’association Télethon de Bab El Oued, avoue que cette association qui collectait l’argent des âmes charitables suites aux inondations ayant frappé tragiquement le quartier de Bab El Oued le 10 novembre 2003, a perdu 50 milliards de centimes dans la banque Khalifa. Il affirme que cette association était sous le contrôle de l’IGF. “Avant la faillite de la banque, on avait demandé d’être remboursé, en vain”, se rappelle-t-il. L’avocate de la mutuelle des industries pétrolières ayant à sa charge

90 000 adhérents a vu 300 milliards de centimes s’évaporer sans pouvoir empêcher le désastre. Ces sommes ont été déjà placées dans les agences de Cheraga et de Dar El Beida. Maître Benchena, représentant de l’OPGI de Oum El Bouaghi qui a perdu 80 milliards de centimes, indique que Moumen Khalifa n’a pas l’envergure de son empire. Pour sa part, maître Soualaf, avocat de la Compagnie de financement de bateaux et Catering et de la Compagnie d’assurance des hydrocarbures affirme que ces deux entreprises avaient perdus respectivement 22 et 71 milliards de centimes. L’avocat soutient que la Banque d’Algérie doit être garante, en s’interrogeant sur qui va rembourser les déposants. Par ailleurs, l’avocat de l’Edimco de Chlif, Mohamed Mahmoudi, s’interroge, d’emblée, sur les parties qui avaient assuré la protection de Moumen Khalifa lui permettant de monter une banque qui ne répondait nullement aux règles élémentaires bancaires. “Il y a des complicités qui lui avaient assuré la quiétude”, note-t-il et d’ajouter que le ministre des Finances, Mourad Medelci, aurait dû intervenir à temps car l’Etat était déjà menacé à cette époque. Selon lui, « la 6e colonne » composée de voleurs, d’escrocs et de corrompus occupaient de hautes fonctions de l’Etat. Ceux-ci avaient, révèle-t-il, assuré l’ex-milliardaire d’impunité. S’agissant du liquidateur, Mahmoudi soutient que celui-ci aurait dû déposer une plainte pénale et non commerciale.

Etrange demande: la BA se constitue partie civile

A la reprise de l’audience durant l’après-midi, deux avocats ont surpris le tribunal aussi bien que les avocats de la défense par leurs demandes, pour le moins étrange, consistant à se présenter comme la partie civile de la Banque d’Algérie. Il s’agit des avocats Ali Benyacoubi et Khaled Achour. Pour argumenter cette demande, ils avancent le fait que deux sociétés étrangères se soient constituées partie civile, ce qui constitue, selon eux, un danger pour la BA. “La Banque d’Algérie dispose d’argent à l’étranger. Elle peut être condamnée en son absence. Ceci peut constituer une première puisque la BA est une banque de l’Etat algérien”, expliquent-ils. Plus loin, maître Ali Achour estime que la banque Khalifa n’a pas joué le jeu. “Le P-dg de la banque Khalifa est accusé pour falsification d’écritures bancaires. Les éléments de l’accusation sont disponibles. Cette affaire a porté une préjudice moral à la BA et entaché sa crédibilité dans le monde bancaire”, se justifie-t-il. Maître Bourayou tente d’intervenir au sujet de cette étrange requête mais, Mme Brahimi lui fait savoir que le dépôt d’une demande ne veut pas dire forcément que le tribunal l’a déjà acceptée. “Le débat se fera en son temps”, dit-elle. “Vous ne pouvez pas la recevoir maintenant puisque elle est destinée à l’encontre de Moumen Khalifa”, explique Bourayou avant d’indiquer : “C’est un incident contentieux. Vous devez vous retirer pour prendre une décision”. La juge lui fait remarquer sagement qu’il faut d’abord terminer avec l’action judiciaire avant d’ouvrir l’action civile dans laquelle il y aura des débats. Mme Brahimi affirme, doctement, qu’elle aurait aimé voir ces avocats se constituer comme partie civile contre une personne sans vouloir la nommer. Mais dans la salle, tout le monde aura saisi la nuance puisque il s’agit de Abdelwahab Keramane, ancien gouverneur de la BA, actuellement en fuite à l’étranger. Des avocats ont affirmé, en marge de l’audience, que la demande des deux avocats de se constituer partie civile de la BA est entachée de vice de forme puisque le nom de Khalifa Rafik Abdelmoumen n’a été cité que partiellement. Par cette action, expliquent les mêmes avocats, on voudrait innocenter l’ex-gouverneur de la BA, mis en cause dans cette affaire. Ils jugent, du point de vue juridique, cette demande irrecevable par le tribunal. Aujourd’hui, ce sera au tour du procureur général d’entamer son réquisitoire.

Hocine Lamriben

Partager