Ses écrits poétiques et ses idées si singulières font de lui un grand homme de lettres. A ce jour, il demeure un repère incontournable : c’est un immense créateur.
Louis Émile Ménard est un poète, un savant, un philosophe, un helléniste français. Né à Paris le 19 octobre 1822, il est mort le 9 février 1901. Fils d’un libraire qui fut l’éditeur de Lamartine, il est en 1834-1836, au collège Louis le Grand, le condisciple de Baudelaire. Admis tout jeune à l’Ecole normale supérieure, il se plonge dans des études très variées : il est déjà l’un des premiers hellénistes de son temps. Gautier le définira “un Grec né deux mille ans trop tard” et se passionnant pour la chimie. Sa première œuvre, le poème dialogué, Prométhée délivré, paraît en 1843 sous le pseudonyme de Louis de Senneville : elle a les honneurs d’une analyse pleine de réserves et d’ironie sous la plume de Baudelaire, trois ans après, dans Le Corsaire; Ménard s’en souviendra, non sans rancune, en un article sévère sur Les Fleurs du Mal. En 1848, dans le laboratoire du très précoce Marcelin Berthelot, il découvre le collodion; Berthelot s’emploiera à établir la priorité de cette découverte, que s’était attribuée et qu’avait exploitée à son grand profit, un presque homonyme, l’Américain Maynars. Répandu dans les milieux socialistes, Ménard collabore aux journaux de Proudhon; son Prologue d’une révolution le fait condamner à quatre ans de prison et à s’exiler en Belgique et en Angleterre d’où il rentre en 1852. Il donne cette année-là ses Poèmes et poésies en même temps que paraissent les premiers Poèmes antiques de Leconte de Lisle, avec lequel il noue une solide amitié. Ses conseils et surtout sa profonde culture ne seront pas étrangers à la formation de ce poète déjà célèbre, ni à ses traductions d’Homère. Après une réédition de ses Poèmes (1855) et la soutenance d’une brillante thèse, De la Morale avant les philosophes, il s’adonne sans succès dix ans durant à la peinture, au cours d’un séjour à Barbizon parmi les paysa-gistes. Son ouvrage capital s’intitule Du Polythéisme hellénique (1863), bientôt suivi d’une traduction de l’Hermès trismégiste, précédée d’une introduction magistrale. Ses Etudes sur les origines du christianisme (1867) le rapprochent de Renan. En 1875, donc ayant dépassé la cinquantaine, il s’éprend d’une jeune fille de dix-huit ans, l’épouse et a d’elle une fille qui meurt avant sa majorité; union mal assortie, rompue à brève échéance et qui laisse Louis Ménard plus amer que jamais. Mais l’amitié de Maurice Barrès, qui l’exaltera dans ses Taches d’encre, et comme l’a signalé René Dumesni, fera de lui “son compagnon imaginaire du Voyage de Sparte”. ‘admiration de Philippe Berthelot et de Clémenceau, lui procure de salutaires compensations. Par la publication, en 1876, des Rêveries d’un païen mystique, il apporte la preuve que son plus authentique instrument est la prose lyrique et morale : le Nid de rossignols, Le Banquet d’Alexandrie, le Diable au café,étonnant pastiche de Diderot, et surtout la Légende de saint Hilarion,premier “ état ” de la Thaïs d’Anatole France, dont le Crime de Sylvestre Bonnard passe pour une biographie déguisée de Ménard. Rangés parmi les plus beaux contes philosophiques du siècle, ils sont à coup sûr préférables à la plupart des poèmes en vers que nous devons à ce précurseur du groupe dit “parnassien”. Ceux-ci, d’ailleurs, sont loin d’être négligeables parce que pleins de pensée, en dépit d’une forme souvent sèche et presque plate; on y trouve en outre de très curieux essais métriques (strophes impaires calquées sur des odes d’Horace) et selon Francis Vielé, la belle et profonde préface aux Poèmes où il déclarait que les “dogmes s’énoncent en symboles”-, exerça une incontestable influence sur la nouvelle poésie; il convient en tout cas de retenir pour l’antho-logie définitive, les admirables strophes de Panthéon, où, après avoir évoqué les mythes du paganisme, le poète compare le sacrifice de la Croix au supplice de Prométhée et conclut sur une hymne exquise à la “ Vierge immaculée ”, qui préfigure les plus beaux cantiques de Verlaine. Louis Ménard réédita en 1895 ses Rêveries en les faisant précéder de ses Poèmes mais, contaminé depuis plusieurs années par la dangereuse obsession d’une réforme de l’orthographe, il rendit ses textes proprement illisibles. Sous prétexte de “simplification”, il adopta en effet des graphies qui semblent aussi absurdes qu’illogiques parce que non conformes à la prononciation. Ses dernières années, assombries par l’abandon et le deuil dont nous avons parlé, s’écoulèrent dans la méditation et le travail incessant que provoquaient à la fois son infatigable activité et l’exercice, depuis 1889, de son métier de professeur d’histoire à l’Hôtel de Ville. Citons encore, au nombre des ouvrages de Louis Ménard : Tableau historique des beaux-arts depuis la Renaissance, Histoire ancienne des pays d’Orient, Histoire d’Israël, Histoire des Grecs, Le Symbolisme des religions anciennes et modernes, Othello. En 1902, un an après sa mort, Édouard Champion rassembla sous le titre Le Tombeau de Louis Ménard, un ensemble de lettres, articles et témoignages de contemporains, amis et disciples de cet admirable et génial écrivain.
Y. Ch.