La Cour suprême n’a pas bronché

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Les avocats de la défense ont repris hier, au second jour des plaidoiries, leur bâton de pèlerin dans une ultime quête de démonter les accusations portées contre leurs mandants. Maître Mohamad Chikiri, agissant au compte de Mahrez Ait Belkacem, directeur général de la CNAC et du Fonds de garantie pour le microcrédit pour lequel le parquet a requis 5 ans de réclusion, a tenté durant son intervention de jouer la carte de l’intégrité et la loyauté du travail de son client. «C’est un cadre et un homme de loi, chargé d’une mission difficile pour la gestion des deux caisses en question», estime-t-il.

L’avocat de la défense affirme que son mandant avait procédé au dépôt des avoirs de la CNAC sur la base d’une prospection faite par la commission des finances dans laquelle siège un représentant du ministère des Finances. «Les avoirs n’avaient pas été déposés à la hussarde mais après d’apres négociations. On avait déposé 0.02% de la masse de fonds», explique-t-il, avant d’ajouter que l’accusé avait pris toutes les dispositions nécessaires en informant le ministère de tutelle. L’avocat Chikiri regrette, toutefois, qu’il n’ait reçu aucune observation ni orientation du même département. S’agissant des dépôts, il affirme que la Banque d’Algérie autorise la CNAC à intervenir sur le marché monétaire. «La caisse, depuis sa création, avait une politique de placement», répète-t-il à maintes fois. Pour étayer ses propos, il soutient que les dépôts dans les banques publique avaient atteint 4.37% alors que les placements dans les banques privées étaient de 82%, et ce, de la période allant de 1999 à 2003.

A propos du Fonds de garantie, l’avocat s’est appesanti sur les raisons ayant conduit son client à faire les placements. Il cite la teneur de trois circulaires ministérielles, la loi étant à l’origine de la création du fonds en question et la convention signée entre l’ADS et Moumen Khalifa pour le financement de 6 000 projets. «C’est ça qui l’avait incité d’aller vers la banque Khalifa», argue-t-il avant d’indiquer que la Banque d’Algérie était tenue de protéger les placements. Tentant de démonter l’accusation de corruption et de trafic d’influence, l’avocat précise qu’il n’y a pas de preuve pouvant conclure que l’ancien directeur général de la CNAC avait bénéficié d’une carte de gratuité pour sa famille encore moins de Master Card.

Il tente de le disculper en estimant que son mandant n’a pas usé de son influence pour enrôler son fils à Khalifa Airways. «L’accusation doit avoir des preuves et ne pas se baser sur des mensonges. Mon client est touché dans son amour propre», dit-il. L’avocat demande au tribunal et aux membres du jury de «réhabiliter» son mandant. Abdelhafid Belkhider, représentant de Belari et Mohamed Ouandjli, accusés de corruption et abus d’influence, s’est étalé sur « un vice de forme » de l’arrêt de renvoi. «Dans l’histoire de la justice algérienne, les accusations de corruption et d’abus d’influence ne se sont jamais réunis. Même l’abus de confiance ne pouvait être associé à de l’escroquerie. La Cour suprême peut tomber dans l’erreur mais cette bourde ne peut être passée inaperçue dans une affaire que suit le monde entier».

« La BA et le ministère de tutelle étaient au courant des violations »

Abordant l’agrément de la banque Khalifa, l’avocat indique que la Banque d’Algérie est responsable, selon la loi, sur le crédit et la monnaie. Il s’étonne qu’on puisse découvrir, après 5 ans, que le même agrément était finalement un faux. La Banque d’Algérie et le ministère de tutelle, représenté alors par Mohamed Terbèche, étaient au courant, selon lui, de graves violations de la banque Khalifa. Il en veut pour preuve le courrier envoyé par l’ancien vice-gouverneur, Ali Touati, à la Banque d’Algérie en juin 1999 et au ministère des Finances en décembre 2001.

L’avocat de la défense rappelle qu’à l’instar de la carte de gratuité dont son client avait bénéficié, des membres de la mutuelle de la DGSN et du syndicat des avocats avaient bénéficié d’une réduction de 50% sur les vols de Khalifa Airways. Pour ce qui est de l’accusé Ouandjli, maître Belkhider affirme qu’il avait été mandaté, sans préciser par quelle banque, de signer la convention de placement avec Moumen Khalifa. “Qui avait mis les gens en confiance ?», se demande-t-il en rappelant le contexte de l’époque où il y avait une publicité outrancière au profit de la banque Khalifa. Au sujet de la carte dont Ouandjli avait bénéficié, son avocat s’interroge derechef : «Pourquoi des gens ont-ils pris des cartes et n’ont pas été interrogés ? Est-ce que l’intention de mon client, à travers le dépôt, était d’avoir une carte”.

« L’Etat est resté silencieux pendant 7 ans »

De son côté, maître Mohamed Arezki Belouadah, avocat de Hamdane Belari, ancien président du conseil d’administration de la mutuelle de la police, soutient mordicus qu’il y avait complicité des autorités tutélaires à savoir la Banque d’Algérie et le ministère de tutelle. Il s’est interrogé comment Abdelmoumen Khalifa avait pu avoir l’agrément pour la création de sa banque en plus des 90 agences à travers le territoire national. «Ces largesses avaient permis le sacrifice de hauts cadres…l’Etat est resté silencieux pendant 7 ans», lâche-t-il. Pour ce qui est de l’accusation de corruption contre son client, l’avocat affirme que la loi 90-33 dans ses articles 11 et 34 autorise le directeur général ou le représentant de la mutuelle à faire des dépôts.

Il dit que Belari avait bénéficié d’une carte de gratuité dans le cadre d’une convention contracté entre la direction générale de la Police nationale et le groupe Khalifa. Pour justifier cette pratique, maître Belouadah fait remarquer que la compagnie aérienne, Air Algérie, offrait des cartes de gratuité dans le cadre d’une convention. L’avocat de Mohamed Tchoulak président du conseil d’administration de la mutuelle des travailleurs des PTT, maître Ouassini, souligne, pour sa part, que la mutuelle n’a pas eu à faire avec un «kiosque» à Blida mais bel et bien à une banque agréée par la BA. Il se dit étonné de la classification de la mutuelle des PTT parmi les autres entreprises publiques, alors qu’elle est à caractère associatif et régie par les lois 90-33 et 90-31. Cette spécificité accorde, dit-il, le droit aux responsables de la mutuelle de bénéficier de cadeaux et avantages. Plus loin, l’avocat relève un vice de procédure dans l’arrêt de renvoi. «Mon client est accusé de corruption. Dans ce cas, le corrupteur est introuvable puisque Benouis Linda, avec qui Aidar avait négocié, est poursuivie pour abus de confiance», explique-t-il.

Tirs croisés sur le procureur général

Par ailleurs, la plaidoirie de maître Miloud Brahimi, agissant au nom de Réda Rahal, était édifiante à plus d’un titre. D’emblée, l’avocat entame son intervention par des mises au point à l’égard du procureur général. Il dit qu’il faut cesser d’invoquer la mémoire des Chouhada à chaque fois qu’on bute sur des difficultés. «Laissez les Chouhada en paix», lance-t-il à l’adresse du parquet avant de faire les louanges de la presse écrite algérienne en affirmant que «celle-ci n’a rien à envier à la presse étrangère». Selon lui, l’affaire Khalifa est une «affaire d’Etat» de part le nombre important de ministres et anciens ministres appelé à faire leurs témoignages. Maître Brahimi soutient que l’opinion publique est en passe de se poser des questions sur ce qui se passe dans cette affaire. «Personne n’a fait le procès de ce procès», tonne-t-il.

Sur un ton ironique, il soutient qu’il n’a jamais vu une association de malfaiteurs – selon l’expression de l’arrêt de renvoi de la chambre de l’accusation et reprise par le ministère public – se « constituer sur un acte notarié » et avait bénéficier de l’agrément des plus hautes autorités de l’Etat”.

Il invoque des propos du président de la République selon lesquels ce dernier dénonçait toutes les pressions politiques et militaires s’exerçant sur la justice algérienne. Sans vouloir trop défendre les absents dans ce procès, (les Keramane) l’avocat Brahimi estime qu’on a souvent tendance à condamner les absents. «Les absents n’ont pas toujours tort», dit-il. Revenant sur le cas de son client, l’avocat de la défense n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour rappeler au Procureur général qu’on ne peut condamner Reda Rehal sur la base d’un simple lien de parenté avec Omar Rehal, le notaire.

L’avocat, en lisant des articles de presse relatant l’affaire Khalifa depuis 2001, estime qu’il faut la resituer dans le contexte de l’époque. «Ce n’est qu’en février 2003 qu’un responsable de la République a su qu’il y avait des anomalies dans la banque Khalifa. Alors, comment voulez-vous que le responsable d’une entreprise pouvait connaître ce qu’un ministre ne savait pas», se demande-t-il et d’ajouter : «Je constate dans cette affaire qu’il y a un corrompu qui est Rehal mais, par contre, il n’y a pas de corrupteur». Les plaidoiries des avocats de la défense reprendront aujourd’hui.

Hocine Lamriben

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