Des mots pour le dire

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Les images du Journal télévisé, les mots de la radio et la graphie des syntagmes du journal s’entrechoquent un moment dans la tête, suggèrent des situations, puis se défont et fondent dans l’anonymat des milliers de souvenirs. Il est possible-est c’est souvent le cas- qu’ils s’agrègent par la suite par bribes, par thèmes ou chronologiquement. Mais, une chose est sûre : il y a une sélection qui s’opère dans le cerveau, et ne sera gardé que ce qui aura marqué l’individu. La culture est quelque part définie de cette façon : c’est ce qui restera après qu’on aura tout oublié.

L’élaboration de l’information et sa transmission par n’importe quel canal étant en fait une mise en forme de faits et événements dans une version écrite, orale ou iconographique. La fidélité aux faits établis et l’objectivité dépendent aussi bien du support que du messager. Une information à laquelle manquerait l’évocation du contexte politique, social et culturel peut-elle être complète ? Des nouvelles non suivies de commentaires apportent-elles tout l’éclairage nécessaire à la compréhension des faits ? Mais, objectera-t-on, où se termine l’information et où commence le commentaire ? La première est sacrée, le second est libre.

À mi-chemin entre l’analyse et le commentaire, nous essayerons dans ce modeste abécédaire de rendre compte de quelques faits d’actualité auxquels nous adjoignons une dose d’humour quand elle veut bien s’y greffer.

Boycott

Après que notre confrère de l’ex-Algérie-Actualité, Cherif El Ouazani (évoluant actuellement sous un autre ciel), eut inventé, en 1990, le sobriquet ‘’la famille d’Aït boycott’’ visant le FFS qui avait rejeté les élections communales de l’époque (l’article fut agrémenté d’une photo représentant une urne gardée d’une façon vigilante par un vieux d’Aït Yahia et dont l’ouverture était obturée par un béret noir), ne voilà-t-il pas que, dix-sept ans après, un autre confrère trouve l’inspiration ample et le mot juste en intitulant sa chronique ‘’Boycott people’’ ; le jeu de mots traduit sans doute le tragique de la situation qui fait que les forces qui se revendiquent de la démocratie et qui incarnaient un certain moment l’espoir de changement sont acculées- ou s’emprisonnent elle-mêmes- dans une impasse qui laisse le champ libre aux forces conservatrices et aux aventuristes islamistes.

Cellules de crise

Elles reviennent cette semaine à l’occasion des dégâts entraînés par la forte pluviométrie. Comme l’Arlésienne : tout le monde en parle mais personne ne peut attester les avoir aperçues un jour.

Les cellules de crise élisent domicile dans les sièges de wilaya lorsqu’il y a émeutes, barricades ou pneus qui brûlent (ou les trois à la fois) ; elles sont convoquées au sein des hôpitaux ou dans la DSP quand la typhoïde, la diphtérie, la leishmaniose, le choléra ou la gale auront valu l’hospitalisation de centaines de personnes ; ses membres se réunissent à la wilaya ou dans le siège de la Protection civile lorsque des inondations ont déjà détruit des maisons, tué le cheptel et rompu les ponts.

Changements climatiques

Qui mieux que les Algériens peuvent se targuer d’en connaître les effets et d’en mesurer les conséquences ? Au moment où les ‘’papiches’’ d’Alger, d’Oran et de Tizi ont décidé de se délester de leur lourd attirail d’hiver- qui n’eut d’hiver que le nom-, et au moment où les céréalicultures de Tiaret, Sétif, Oued Zenati, Sersou et Bouira commençaient sérieusement à convoquer imams et pouvoirs publics pour la prière solennelle de l’Istisqa, on nous apprend que la RN 5 est coupée à la circulation au niveau de Beni Amrane suite à l’affaissement d’un pont entraîné par le débordement du barrage du bas Isser conçu initialement pour 16 millions de mètres cubes et qui en a reçu le double. Les fortes pluies de la première semaine de mars ont surpris tout le monde. Plus d’une dizaine de personnes ont trouvé- sans l’avoir cherchée- la mort dans les crues des oueds ou sous les toits ayant cédé suite aux torrents. Ce sont en effet pas moins de 100 mm de pluie en moyenne que l’Algérie du Nord a reçu en l’espace de 48 heures. C’est un peu l’équivalent de deux mois de précipitations printanières en saison normale. Mais, où est la normalité, s’écrieront les plus branchés ? Un observateur placé dans une guérite vacillant sous le coups de boutoirs de glissements de terrain répétitifs a préféré parler d’interpénétration de saisons au lieu du classique décalage de saisons.

Une chose est sûre : l’Algérie n’est pas mal servie par le ciel. Les sécheresses cycliques ne sont connues qu’une fois sur dix ans en moyenne. Les ouvrages hydrauliques sont censés y remédier. Mais, l’Algérie sert mal ses habitants en matière de régularité de distribution, de la qualité des conduites (une véritable passoire, puisque, selon les chiffres officiels, 40 % de l’eau est perdue dans les fuites constatées dans les adductions primaires ou secondaires). Cette semaine, c’est la Banque mondiale qui se met de la partie en estimant, dans un rapport publié le 10 mars, que les barrages du pays, d’une capacité totale de 6 milliards de mètres cubes, sont mal exploités du fait que l’Algérien ne dispose en moyenne que de 600 à 700 mètres cubes par an. C’est l’une des proportions les plus faibles de la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient.

Cinéma

Dans la semaine même où fut donné le coup de starter à la manifestation culturelle intitulée ‘’Alger, capitale de la culture arabe’’- laquelle, soit dit en passant, a requis un budget de 5,5 milliards de dinars-, la salle de cinéma ‘’Rouiched’’ d’Hussein Dey voit une partie de sa toiture s’effondrer suite à quelques millimètres de pluie tombées la veille en cette saison hivernale pourtant parcimonieuse en eau. Des lézardes sont visibles sur le mur de la salle donnant sur la rue de Tripoli. Et de dire que des travaux de réhabilitation y ont été effectués par le CPVA.

Ayant hérité de la période coloniale de quelques 420 salles de cinéma- le parc le plus important d’Afrique et du Moyen-Orient selon le spécialiste du grand écran Ahmed Béjaoui- l’Algérie tourne actuellement avec un nombre ridicule de salles qui se comptent- celles qui comptent bien sûr- sur les dix doigts. Comment peut-on reprendre l’activité cinématographique dans un pays qui a oublié le grand écran, boudé la Cinémathèque et laissé partir Boudjemaâ Karèche ?  » Nous avons les intelligences et le savoir-faire ; nous avons des moyens financiers exceptionnels. Alors, que manque-t-il ? La volonté politique est encore absente et, sans elle, nous sommes condamnés à devenir les derniers de la classe « , ajoute Béjaoui. (El Watan-TV du 22 février 2007).

N’ayant pas le regard dirigé spécialement de ce côté- la volonté politique-, un cinéphile, Yacef Hacine pour le nommer, responsable de la boite AIV-Productions, a imaginé pour les Algériens un méga-projet consistant en l’installation de 400 grands écrans sous forme de multiplexes comprenant salles de projection cinéma, salles de théâtre, de musique, de vidéo-conférences, centres multimédias et librairies. Son projet qui serait bien accueilli par Mme la ministre de la Culture et dont la réalisation pourrait s’étaler sur deux ou trois ans  » coûtera nettement moins cher que de rénover des salles anciennes « , assure son promoteur. D’ailleurs, une grande partie de ces salles se trouvent dans un état de dégradation avancé tandis que d’autres ont carrément changé de vocation, plus lucrative s’entend. Cela dit, il faut rappeler qu’un grand nombre d’anciennes salles souffrent aussi d’un litige juridique portant sur la propriété sachant que la période de nationalisation a laissé des séquelles.

Faux moudjahidine

Le 15 février dernier, le colonel Bencherif a pris son bâton de pèlerin pour se rendre à Tizi Ouzou et interpeller les anciens moudjahidine de la région sur le phénomène de prolifération de faux combattants de la guerre de Libération. L’ancien patron de la Gendarmerie nationale et ex-ministre de l’Hydraulique sous Boumediene fit la remarque que, en 1978, il y avait 75 000 moudjahidine, et qu’aujourd’hui ils sont 600 000 à jouir de ce statut. D’après l’orateur, la moyenne de faux moudjahidine par wilaya serait de 1000.

Même si elle est atténuée, cette énorme ‘’marge’’ de calcul n’est pas tout à fait démentie au niveau officiel puisque le ministre des Moudjahidine avance un chiffre de 10 000 faux moudjahidine. La wilaya de Djelfa en abriterait, à elle seule, quelque 1000 cas ‘’avérés’’. L’ancien commandant de la Gendarmerie nationale, par le moyen de l’Association de lutte contre les faux moudjahidine qu’il vient de créer, compte s’attaquer à ce ‘’cancer’’ qui a affecté les rangs des anciens combattants et va jusqu’à proposer la suppression de l’ONM et du ministère des Moudjahidine.

Si la polémique a atteint de telles proportions, c’est que le mal qui ronge la ‘’famille révolutionnaire’’ a dégénéré en mal incurable avariant et souillant de larges pans du corps social algérien.

Comme l’ensemble du peuple algérien spolié de sa souveraineté à l’aube de la nouvelle ère qui devait consacrer l’œuvre de reconstruction nationale, la frange des moudjahidine a été entraînée dans les errements de la gestion chaotique du pays. Au nom de l’ ’’historicité’’ et des constantes nationales, beaucoup de tort a été fait à l’image de la Révolution de Novembre 1954 et aux idéaux censés justement être défendus et promus par les survivants de ce grand mouvement de l’histoire du pays. Le clientélisme, la corruption et le copinage installés par le pouvoir politique rentier comme mode de gouvernance n’ont pas, loin s’en faut, épargné cette catégorie de la société si bien que l’image du moudjahid a été froissée, brocardée et, pour tout dire, altérée. Le silence autour de cette question a duré ce que durent les dictatures et les tyrannies ayant installé soumission et phobie au sein de la société. Ce n’est qu’au début des années 90 que des bruits et chuchotements commencèrent à sourdre chez quelques bonnes âmes touchées par ce qui a fini par prendre la tournure d’une grave dérive historique. En donnant la parole à un fonctionnaire du ministère de la Justice, en l’occurrence Benyoucef Mellouk, pour rapporter les cas de ‘’magistrats faussaires’’ (qui se prévalaient de titre de moudjahids), l’ancien magazine ‘’Le Nouvel Hebdo’’ jeta le pavé dans la mare. Mellouk deviendra un pestiféré, l’homme infréquentable par qui le scandale arriva. Il paiera même de sa liberté sa tentative de toucher au ‘’nœud de vipères’’ qui enserre et salit les meilleurs symboles de l’Algérie. Il soutint pourtant que ses affirmations ne sont pas des paroles en l’air. Il détiendrait des dossiers solides vu la position privilégiée qui était la sienne au sein du département ministériel où il exerçait (chef du service Contentieux). L’omerta qui suivit l’ouverture de cette boite de Pandore n’avait d’égal que l’ampleur des enjeux que soulevait cette affaire.

Au lieu que le nombre de moudjahidine diminue selon la logique du cycle biologique des acteurs –et des faux acteurs-, paradoxalement, il a vertigineusement augmenté depuis le recensement de 1963. Ici, comme dans d’autres domaines, l’acte de falsification n’a pour seul mobile que le désir d’octroi de privilèges matériels issus de la rente. Plus de 44 ans après l’Indépendance, cette catégorie de la population qui est censée constituer la précieuse mémoire du peuple algérien est encore secouée par l’actualité tourmentée du pays. La presse a fait état au début de l’année en cours d’un ‘’conclave’’ de moudjahidine à…Genève pour dénoncer les faussaires infiltrés dans leurs rangs. Le dernier Conseil de l’ONM a décidé de réactiver les commissions de validation de la qualité de moudjahid. Elles ont été mises en veilleuse pendant plusieurs années en raison de la confusion et des incertitudes qui pesaient sur ce dossier. Partout dans le monde, le dossier des anciens combattants est réglé juste après la fin du conflit qui lui a donné naissance (recensement, pensions, privilèges en nature).

Hôtels fermés

Ils sont au nombre de 116 selon le département de Noureddine Moussa. Ils sont fermés sur ordre du ministère du Tourisme parce qu’ils ne répondraient pas aux normes et standards internationaux en la matière pour lesquels a souscrit l’Algérie dans le cadre de la stratégie de développement du secteur. La capacité hôtelière de l’Algérie est de 85 000 lits alors que celle de nos voisins immédiats est de 220 000 lits (chiffres donnés par notre ministre). Notons quand même cette équation où, par rapport aux superficies respectives des pays maghrébins, l’ ‘’inversement proportionnel’’ est largement respecté. Et puis, entre nous, pourquoi s’échiner à construire ou à mettre à niveau des établissements hôteliers, à revaloriser et réhabiliter nos sites naturels et culturels censés attirer les touristes lorsque Algériens et Européens peuvent-la rente aidant- se retrouver dans le golfe de Gabès ou sur les ruines de Carthage ?

Guadafi

On oublie rapidement les frasques et les bourdes du colonel libyen tellement elles sont nombreuses et répétitives. Mais lorsqu’elles ont une relation avec l’Algérie, elles ne risquent pas de s’effacer en un clin d’œil. Le Guide a formé l’absurde vœu d’une fusion avec l’Algérie en 1988. Il proposa que la présidence fût assurée par alternance périodique (présidence tournante) entre l’Algérie et la Libye. Le président Chadli ayant apparemment été séduit par le projet, avait préparé un référendum pour faire prononcer les Algériens sur cette fusion. Ce ne sont que les événements d’octobre qui ont enterré, tacitement, cette idée farfelue. Le Colonel a déjà essayé des projets de ce genre avec la lointaine Syrie et le bouillonnant Tchad. À chaque fois, ses idées font choux blanc.

L’année dernière, Guadafi, lors d’un meeting-prêche tenu la soirée du Mouloud à Tombouctou (Mali), a annoncé la prochaine formation d’un pays au milieu du Sahara qui s’appellerait ‘’Saharistan’’ ou ‘’Touarguistan’’ (la phonétique ne nous éloigne guère de l’Afghanistan). Levée de boucliers en Algérie où la presse, en amplifiant les hérésies du Colonel, leur donna même un côté folklorique et gouailleur. C’est à cette même occasion que le leader libyen, exaspéré plus qu’à son habitude, a ‘’épinglé’’ le quotidien algérien Echourouq en lui intentant un procès qui est toujours en cours.

Justice

L’affaire Khalifa a fait remonter à la surface aussi bien les espoirs d’une juste ‘’juste’’, indépendante et souveraine que les appréhensions de simulacres et de parodies où seuls les lampistes et les ‘’fusibles’’ subiraient les lois de la force (au lieu de la force de la loi). En faisant les éloges de la juge Brahimi, certains organes de presse ont même profité du 8 Mars, Journée internationale de la femme, pour dresser un portrait à la fois humain et austère de la juge qui préside le procès Kahalifa. Était-ce une façon- ointe d’une certaine galanterie toute algérienne- de réclamer de cette respectable dame un jugement juste, souverain et impartial ?

N’est-ce pas que le comble de la supercherie a été déjà atteint dans cette affaire lors de la rédaction des statuts de Khalifa Bank publiés au Journal officiel et qui se trouvent amputés de deux articles fondateurs dont l’un est relatif à la direction de cette institution censée être assurée par Abdelmoumène Khalifa alors que son nom n’y figure pas ? La notion de justice a été galvaudée et malmenée dans notre pays si bien qu’elle a fini par être discréditée auprès de simples citoyens qui lui ont collé moult épithètes peu flatteuses et une kyrielle de quolibets qui en disent long sur la manière dont est perçue et vécue l’action de cette instance qui est considérée comme un des trois pouvoirs fondateurs de la gouvernance à côté du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Le quatrième pouvoir, l’information, même s’il est conceptualisé tardivement en tant que tel, joue un rôle déterminant à côté et à l’intérieur des trois premiers.

 » Il était une fois l’injustice…, ainsi faudrait-il commencer par présenter la justice, car, c’est par son contraire que la justice se laisse d’abord se saisir « , écrivait Loïc Cadiet, spécialiste du droit à la Sorbonne. Le terme ‘’hogra’’, spécificité idiomatique de l’Algérie qui est repris par beaucoup de médias étrangers (surtout à l’occasion d’émeutes ou de simples protestations citoyennes), est à lui seul révélateur d’une relation peu flatteuse entre la justice et les citoyens. L’on se souvient de cette blague- la gouaille et la sagesse populaire sont une science à ne pas négliger dans ces cas de figure- dans laquelle un passant demande à un homme rencontré dans un boulevard de lui indiquer l’emplacement du Palais de justice :  » Le Palais, je sais où il est, je peux vous y accompagner ; mais la justice, j’ignore. Je suis vraiment désolé ! « .

Lait

Quel meilleur façon de rendre compte des déboires les plus angoissants en matière de la sécurité alimentaire des Algériens que ce titre d’une chronique de la DDK, due à M. Bessa,  » A quel sein se vouer  » ? Des laiteries qui ferment, des employés qui perdent leurs postes et des ménagères stressées par l’approvisionnement censé être le plus banal, voici la triste réalité de l’Algérie de 2007 qui signe par là l’échec d’une politique agricole qui aura consommé entre-temps des milliards de dinars en différentes stratégies et en divers soutiens (encore un mot suggestif).

Sans vouloir verser dans un cynisme de mauvais aloi, l’on doit néanmoins, en cette phase de surchauffe de la bouilloire de lait en Algérie, pouvoir se dire les vérités prosaïques sur l’infortune d’un secteur situé à la jonction de l’agriculture et de l’industrie et qui n’a jamais bénéficié d’une véritable stratégie de développement basée sur une vision rationnelle et pragmatique des différents segments qui concourent à la fabrication de l’un des produits les plus vitaux de la vie des Algériens. Il importe avant tout de dépasser la superficialité de cet argument factuel- colporté sans coup férir par la presse comme une image d’Épinal- qui consiste à dire que les producteurs de lait sont frappés par la crise parce que le prix de la poudre de lait a subi une hausse sur le marché mondial. C’est là un raisonnement tortueux qui, s’appuyant sur des chiffres assommants et en même temps vrais, est arboré juste pour cacher la vraie faille de l’économie nationale en la matière.

Le chemin chaotique de la production laitière peut, à lui seul, résumer l’échec des dispositifs et modèles économiques successifs mis en place par les pouvoirs publics depuis les années 70. Au lendemain de l’Indépendance, la tradition illustrée par le concept de la géographie humaine qui dit que ‘’la campagne nourrit la ville’’ s’est poursuivie malgré l’indigence du monde rural et en dépit aussi des premiers mouvements d’exode vers les villes où l’industrie et les services font un appel d’air pour vider l’arrière-pays de sa sève et de son potentiel humain.

Par le moyen de carrioles ou calèches, et parfois à dos d’âne, les enfants des bourgades transportaient le lait de vache, de brebis et de chèvre, issu de la traite de l’aube généralement effectuée par les femmes, vers les zones urbaines où ils écoulent leur produit par le truchement de revendeurs attitrés. Le petit-lait (L’ben), qui est en réalité un sous-produit du lait, était gracieusement donné aux clients.

Peu à peu, sous les coups de boutoir d’une politique rurale biscornue et qui s’avérera à la longue contre-productive, l’équation s’inversa. Par la grâce d’une autre manne liquide, l’or noir, l’Algérie embrassa des ambitions- il est plus juste de parler de lubies- par lesquelles on a essayé d’effacer les odeurs de bouse de vache dans les campagnes en invitant le paysan à venir s’approvisionner dans un magasin étatique qui portera même son nom : Souk El Fellah.

Si le fellah pouvait montrer quelque réticence, on saura bien le déloger de sa chaumière et de ses écuries en lui faisant une concurrence déloyale. C’est ce que fit l’État algérien pendant une vingtaine d’années en soutenant les prix du lait importé de France, de Hollande et des lointaines contrées de Nouvelle-Zélande et du Canada. Le soutien profitait exclusivement aux firmes exportatrices. Un chiffre anecdotique dit tout le drame de la situation : cent mille vaches laitières françaises produisent spécialement pour le consommateur algérien au milieu des années 80. Le vil prix auquel est ramené le lait en poudre a non seulement généré le gaspillage, mais il a surtout crée des réseaux de contrebandes qui font fi des distances et des dangers du Désert pour acheminer le produit vers le Mali, le Niger et le Maroc. La libéralisation tardive des prix du lait au début des années 90 ne pouvait pas rétablir les équilibres dans l’immédiat. C’est pourquoi, un soutien, aux producteurs cette fois-ci, est consenti par l’État via l’élevage ovin et le réseau de collecte de lait. Mais, comme tous les dispositifs de soutien dans notre pays, celui-ci n’échappe pas aux détournements et au mauvais ciblage. Pire, il ne fait pas partie d’une politique globale qui revaloriserait les fourrages, les parcours et les prairies artificielles. Même le réseau de collecte a subi de tels couacs que certains producteurs de l’Est du pays se trouvant en surproduction de lait ont dû jeter le produit dans les rivières. Il est évident qu’avec une politique aussi peu cohérente, ce n’est pas le soutien actuel du sachet de lait qui fera sortir la corporation de la crise ni les citoyens de leur angoisse.

Mariage de jouissance

Après une kyrielle de concepts originaux et de mots d’esprit faisant tilt (moukhabaratisation, tchéthénisation, ni état policier ni république intégriste, dissidence citoyenne,…), Aït Ahmed, du haut de ses 80 ans, ne perd pas son humour malgré la solution extrême qu’il vient d’adopter, à savoir le boycott (actif !) des élections législatives du 17 mai prochain.

C’est ainsi qu’il vient de qualifier ces mêmes élections de ‘’zawadj el moutâa’’ (mariage de jouissance). Le journal El Khabar du 11 mars dernier se permet de remarquer dans sa rubrique Souk El Kalam que ce concept énoncé par Hocine Aït Ahmed a surpris plus d’un parce qu’il ‘’ne fait pas partie de la terminologie habituelle’’ du leader du FFS, et que ce terme est ‘’plus proche du discours religieux duquel Da l’Hocine est très éloigné’’.

Pour ceux qui auraient la mémoire courte, il y a lieu de rappeler que ce terme a eu les faveurs de la presse algérienne au milieu des années 90 lorsque les émirs du GIA épousaient de force les jeunes filles qu’ils enlevaient de chez elles. Ils convolaient en ‘’fausses’’ noces dans les grottes des monts des Babors à Jijel, sur djebel Mouzaïa, à Hammam Melouane,…etc. Les enfants nés de ces unions sont demeurés des années sans état civil. À la faveur du dispositif portant Concorde civile, il a fallu un texte de loi spécifique pour les enregistrer à la mairie et leur permettre d’être inscrits dans les écoles.

Mais le mot de ‘’zawadj el moutaâ’’ est réellement aussi vieux que l’histoire tourmentée des communautés musulmanes. Il a été forgé et mis en application par les dissidents armés à chaque fois que leur vie de troglodyte réclame plaisirs charnels, tendresse féminine et repos du guerrier. Et les élections législatives dans tout ça ? Dorénavant, c’est Tabou…

Mouloud Feraoun

L’immense écrivain dont nous commémorons cette semaine le 45e anniversaire de son assassinat par l’OAS nous revient cette années avec un nouveau roman.

Ce livre porte un nom, La Cité des roses, qui sent les fragrances et l’humanisme du grand Fouroulou. Ce livre inédit est écrit en 1958, en pleine guerre de Libération, simultanément avec Le Journal. Les éditions du Seuil qui ont réceptionné le manuscrit en 1959, ayant proposé à l’auteur des modifications au texte originel, ont essuyé un refus catégorique de Feraoun.

Les choses demeurèrent ainsi jusqu’au début des années 70. Une sorte d’inexplicable quiproquo a fait que le livre sorti en 1972 au Seuil sous le titre L’Anniversaire portait à l’origine le titre de La Cité des roses, tandis que le livre qui vient de paraître sous ce dernier titre était, lui, intitulé L’Anniversaire’.

La Cité des roses nous replonge dans le climat de la guerre d’Algérie avec un style et un procédé narratif différent du Journal, lequel, comme son nom l’indique et malgré la part de subjectivité et d’implication de la personne de l’auteur, est perçu comme un mémoire de la guerre qui consigne les événements au jour le jour. Reproduisons l’extrait que la revue Passerelles a jugé utile d’insérer dans son édition (n°15) de janvier dernier.

 » La grenade a éclaté juste en face de chez elle, dans un café maure. J’y suis arrivé un quart d’heure après. Un pauvre bougre gisait sur le trottoir, déjà envahi par la teinte cireuse de la mort. Il ouvrait et fermait automatiquement la bouche et la mort lente, lente, tournoyait autour de nous comme si elle avait quelque répugnance à s’emparer de la victime. Il était gros, un peu trapu, correctement vêtu d’une chemise blanche, portant au beau milieu une large fleur de sang rose ; les pans de son manteau étaient ouverts, ses pieds et ses mains indifférents, goûtaient déjà le suprême repos. Il n’y avait plus que cette bouche qui s’ouvrait, se fermait, indifférente aussi, semblait-il.

Un autre plus loin, au milieu de la chaussée, baignait dans une mare de sang plus sale, presque noir. Il avait la tête piquée au sol, un bras complètement retourné sur le dos ; les jambes recroquevillées étaient couchées l’une sur l’autre. Il s’était peut-être agenouillé avant de s’affaisser tout à fait et, maintenant, ses articulations refusaient de jouer. Celui-ci aussi se raccrochait à la vie par un fil dérisoire et ténu que la mort avait peut-être oublié de rompre.

Une voiture emmena un blessé que j’ai cru reconnaître. Un autre se croisa pendant que je descendais au milieu d’une foule muette et pétrifiée. Je ne lui voyais aucune goutte de sang mais il tenait son bras gauche de la main droite et marchait en criant avec l’allure et la voix désespérée d’un brocanteur malchanceux qui offrirait en vain un vieil habit dont tout le monde se détournerait. Je me suis approché pour saisir son bras, il a levé sur moi un regard de bête traquée et s’est affalé à mes pieds.

La police, les soldats, les ambulances sont arrivés une demi-heure plus tard. Alors, tout est devenu subitement grave, effrayant. L’instant était solennel et chargé de menaces. Jusque-là, ce n’avait été qu’un spectacle peu banal, qui avait assemblé beaucoup de monde mais dont la signification était somme toute anodine, une fois passé, bien entendu, le premier moment de surprise.

Dès l’apparition des képis et des casques, les curieux se sont éloignés respectueusement et ont disparu tout à fait ; les femmes ont quitté vite les terrasses, fermé les fenêtres et les automobilistes qui attendaient au volant ont été autorisés à circuler. L’affaire est devenue officielle et a pris son véritable nom : je venais d’assister à un attentat terroriste ‘’faisant quelques morts et plusieurs blessés’’

Terrorisme

‘’Phénomène ultra-minoritaire’’, d’après le sociologue iranien Farhad Khosrokhavar qui a participé aux derniers Débats d’El Watan portant sur le sujet. S’il est ultra-minoritaire au vu de la population ‘’physique’’- son armée- qu’il mobilise pour l’envoyer dans les maquis, le terrorisme n’est pas ultra-minoritaire dans la matrice idéologique qui lui donne naissance, à savoir l’intégrisme. Les Algériens sont très bien placés pour savoir que plusieurs institutions et structures publiques- école, mosquée, université- ont, dans une incroyable et funeste synergie, contribué à produire des mutants qui remettent en cause les valeurs des ancêtres et celles de l’Occident ‘’impie’’ pour leur substituer celles de Hassan El Banna, Cheikh Al Albani et Cheikh Zendani (ce dernier a semé les graines de la discorde dans son propre pays, le Yémen, au point d’y faire naître une guerre civile juste après la réunification des deux Yémen).

Si ce ne sont pas tous les intégristes qui montent au maquis, c’est parce que la foi djihadiste n’a pas oint les cœurs avec la même ferveur et le même zèle, ensuite, parce qu’il faut bien une division du travail qui fait qu’il faut assurer l’intendance, le renseignement, l’approvisionnement en armes, les soins de la vitrine officielle (islamistes BCBG) et la récolte de fonds.

En outre, l’on peut se demander à quoi correspond la quantification ‘’ultra-minoritaire’’ lorsqu’on sait qu’un seul terroriste doté d’une arme automatique ou d’une charge de TNT peut envoyer, à lui seul et en quelques secondes, ad patres une dizaine de citoyens innocents ou une escouade de militaires. Les attentats qui ont fait des dizaines de victimes en quelques mois dans la wilaya de Tizi Ouzou seraient l’œuvre d’un groupe composé de moins de 100 terroristes d’après le groupement de la gendarmerie de cette wilaya.

Amar Naït Messaoud

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