Farid Ferragui : “Aimer et être aimé est la clef du bonheur”

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La dépêche de Kabylie : Une question incontournable : pourquoi ce long silence ? Votre dernier album remonte à 2003…

Farid Ferragui : Pendant ces années de retrait, j’étais emporté par le fleuve de la vie. Chaque être humain a des passages à vide, des moments que nous sommes contraints de traverser en côtoyant les malheurs de la vie, imprévisibles et nombreux. En tant qu’artiste, nous devons d’abord subir les aléas de la vie pour pouvoir ensuite nous s’extérioriser. Je crois que ce genre d’effacement possède un coté positif parce que je ne chante que ce que je vis. J’ai eu tout le temps nécessaire pour écrire et composer. C’est le temps qu’il faut pour transformer les coups subis dans la vie en chansons.

Durant toutes ces années, vous ne composiez donc pas ? Jusqu’au moment où surgit l’inspiration…

Non, il y a toujours des flashs. Des idées qui traversent l’esprit. Je prends des notes régulièrement.

Vous commencez par les textes ou alors les musiques ?

Souvent, une fois le texte prêt, je suis inspiré par ce dernier pour composer la musique. Mais il m’arrive de faire le contraire. Par exemple, quand je conduis, je peux tomber sur un air musical.

Avez-vous repris des musiques d’autres grands artistes que vous admirez ?

Je ne le fais pas mais il m’arrive très souvent d’être très attiré par une musique chantée par l’un des artistes auxquels je voue une grande admiration.

Quels sont les artistes que vous admirez ?

Ils sont nombreux : j’aime des artistes des quatre coins du monde.

Ne pas être accompagné par un orchestre lors de vos enregistrements et dans vos spectacles, ne veut-il pas dire que vous préférez travailler dans la facilité ?

Je me casse bien plus la tête en travaillant en solo. Toute imperfection vocale ou dans l’interprétation ne peut pas être camouflée pour quelqu’un qui chante seul comme moi. Je crains qu’en voulant changer de style, je gâche tout. Mais l’essentiel réside dans le fait que j’adore ce style, autrement, je l’aurais abandonné.

Chanter tout seul n’est-il pas lié au fait que Farid Ferragui est quelqu’un de solitaire ?

Quand j’ai commencé au début des années 80, je voulais constituer un groupe. J’avais contacté certains chanteurs. Mais ça n’a pas marché. J’avais alors pris la décision de continuer tout seul. Je suis devenu un artiste solitaire malgré moi.

Vous n’êtes tout de même pas complètement solitaire puisqu’entre vos bras vous tenez toujours ce luth…

Effectivement, je me sens épanoui avec le luth.

Avec le temps, ne rencontrez-vous pas des difficultés sur le plan vocal ?

Je pense qu’au contraire ma voix s’est améliorée avec le temps. J’essaye de l’entretenir en faisant très attention. Je suis une hygiène de vie rigoureuse.

Vous ne faites plus de duos ces dernières années : pourtant, votre chanson avec Nouara, Xas hemlegh-k, est devenue une légende. Pourquoi ?

L’idée me vient à chaque fois, mais je renonce à la dernière minute. Dans l’album qui vient de sortir, je voulais faire un duo dans la chanson Gal Ar dkemini. D’ailleurs, elle a été écrite dans ce sens. J’ai été obligé de la reformuler.

Avec l’âge, nous avons tendance à penser qu’un artiste se déleste de plus en plus du thème de l’amour pour passer vers d’autres sujets considérés généralement plus sérieux. On aime donc à vingt ans comme on aimerait à quarante et plus ?

Il n’ y a que la définition de l’amour qui change avec l’âge grâce à l’apport de la sagesse. L’amour ne s’atténue pas mais on le voit autrement. L’amour croît. Même quand on est privé de ce sentiment et de celle que l’on aime on le vit d’une autre manière. C’est la souffrance engendrée par la séparation amoureuse qui est à l’origine de la création artistique.

Il est donc question de l’amour dans votre nouvel album ?

Effectivement, cette cassette comporte trois chansons d’amour.

Est-ce que vous chantez toujours la même histoire d’amour ?

Je chante la même histoire d’amour. Il s’agit d’un long feuilleton dont chaque chanson représente un épisode.

Est-ce que vous pensez que le premier amour est toujours le dernier ?

Oui, le premier amour est toujours le dernier. Le passé sentimental ne lâche jamais. C’est comme un héritage ou un fardeau lourd qu’on traîne à vie.

Dans votre avant-dernier album, vous parliez des gens qui n’éprouvent pas de sentiment amoureux. Il y a, d’après vous, des personnes incapables d’aimer ?

Les gens dont je parle dans la chanson Levhar, en ayant raté le train de l’amour ont tout perdu. Quand j’évoque ce sentiment, je parle de l’amour au sens le plus large. Il ne s’agit pas uniquement de l’amour d’une femme. Sans amour, on est perdu psychologiquement. On devient déséquilibré. On peut réussir sur le plan professionnel et matériel mais sans amour on n’éprouve de goût à rien. L’amour c’est la vie.

Ces dernières années, l’argent a tendance à prendre le pas sur l’amour …

C’est pour cette raison que les mariages finissent dans l’échec. C’est pour cette raison aussi qu’il y a beaucoup de stress dans la vie quotidienne. L’amour remplace tout. Aimer et être aimé est la clef du bonheur. Quand on a l’amour sous son toit, c’est suffisant pour être en paix. Autrement, l’être humain prend la rivière de la vie à contre-courant.

Vous développez aussi d’autres thèmes. Dans votre nouvel album, on retrouve des questions comme celle du pays mais aussi des sujets aussi complexes que l’existentialisme. Le tout enveloppé dans beaucoup de nostalgie. Les sujets que vous chantez viennent-ils spontanément ?

Nous chantons sur tout ce qui nous touche. Par exemple, nous ne pouvons pas nous taire quand notre pays est blessé. Moi, dans ce genre de sujet, j’essaie de ne pas être offensif. J’évite d’utiliser des mots durs afin de ne pas contribuer à attiser le feu. J’ai essayé de traduire le malheur qu’a eu à traverser mon pays à travers les poèmes et les mélodies. Chanter sur son pays est aussi une autre forme d’amour.

En abordant ce genre de sujets, ne risquez-vous pas de tomber dans la morale, une chose à éviter dans l’art de chanter ?

Je ne fais jamais de morale. Je dresse des constats. Et surtout, je dis ce que je pense et ce que je ressens.

En chantant sur la politique, faites-vous de la politique ?

Oui, je fais de la politique à ma manière. Mon souhait est de voir mon pays fonctionner comme je le rêve.

Vous êtes journaliste de formation et aussi instituteur. N’avez-vous pas regretté de ne pas avoir entrepris une carrière de journaliste à la fin de vos études universitaires à Paris ?

Absolument pas. Pour moi, la chanson constitue une autre forme de journalisme. En chantant, j’arrive à communiquer. Je suis plus libre. Ma ligne éditoriale, c’est ma conscience. En plus, j’aborde les sujets avec beaucoup de recul et non pas dans le feu de l’action.

Vous avez aussi exercé le métier très noble d’enseignant ?

L’enseignement est un métier pénible. Je l’ai exercé de 1973 à 1977. Quand je croise mes anciens élèves, je suis fier d’avoir contribué à leur réussite.

Avez-vous une préférence pour une de vos chansons ?

Sincèrement, je les aime toutes. Elles sont toutes liées par un cordon ombilical tacite.

Vous êtes un prisonnier du chagrin : pourquoi ?

Chacun de nous possède sa propre trajectoire dans la vie et son histoire. Je chante la mienne et elle ne m’inspire que de la mélancolie.

En vous écoutant, un jeune de dix-huit ans aura peur d’aimer. Chez vous l’amour est un enfer. Ne pensez-vous pas que vous pouvez décourager un jeune à tomber entre les bras de ce sentiment en ne lui en montrant que sa face ardente d’affliction ?

Au contraire, dans toutes mes chansons, j’avertis les jeunes. Je leur dis : si vous perdez l’amour de votre vie, vous aurez tout perdu.

Vous êtes père de trois enfants. Que pensez-vous de la vie familiale ?

Avoir des enfants est un vrai bonheur. J’appelle tout le monde à se battre afin de réussir sa vie de famille. Rater l’amour et rater la vie de famille, c’est avoir tout rater.

Propos recueillis par Aomar Mohellebi

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