Il chante pour la première fois devant sa mère

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Il est tout souriant sur scène. Un sourire qui dissimule à peine une mélancolie profonde. Sa veste, il l’enlève et l’accroche. Comme un montagnard qui s’apprête à se livrer à une rixe. Farid Ferragui est accueilli par une explosion d’acclamations. Dans le public, rares sont ceux qui savent que la petite fille de neuf ans, qui venait de l’annoncer s’appelait Lynda. Elle est la fille de l’artiste. Lynda, vêtue d’une robe kabyle magnifique, s’exprime dans un tamazight parfait. A travers ce geste, Farid Ferragui veut transmettre un message : “ Je vous informe que ma fille est née et vit à Alger mais elle parle couramment le kabyle. Je veux vous dire que c’est à l’intérieur de la maison que notre langue doit d’abord être préservée ”. La salle applaudit. Farid Ferragui est paré d’un jeans et de baskets. Un peu à l’américaine. Une tenue qui permet à la fois d’être modeste et souple. L’artiste lève les bras vers son public comme un oiseau toujours vaillant. Dans la salle, certains préparent déjà les mouchoirs. Dans le public, il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui ont l’âge biologique de Farid. Mais leur cœur est resté tendre comme ce quinquagénaire, qui éclate en sanglot, quand l’artiste chante la chanson d’amour A yid. En tentant de le consoler, sa femme essaye de l’interroger encore sur son passé amoureux qu’il ne semble pas lui avoir caché. Comme à l’accoutumée, Farid Ferragui commence par les chansons politiques et sociales. Le public accueille avec bienveillance la chanson Massinissa, composée en hommage aux victimes du printemps noir. Dans la salle, le père de Guermah Massinissa est présent. Il est ému quand Farid arrive au passage dans lequel il tente de consoler la mère de Momoh. Durant l’entracte, Guermah Khaled monte sur scène, embrasse le chanteur et lui remet un texte dans un cadre dans lequel il le remercie pour avoir été parmi la société dans les moments les plus difficiles traversés par cette dernière. Farid Ferragui est tellement affecté par cette marque de sympathie qu’il a du mal à trouver les mots pour exprimer ses remerciements. Pour dire ce qu’il ressent, il suggère de chanter pour la deuxième fois Massinissa. Le public acquiesce. Avant d’entonner la deuxième chanson, Ferragui rappelle que bien que la vie doit continuer après chaque épreuve, il ne faut pas oublier par où nous sommes passés. Il chante alors Ur tsrut felli, une chanson où il est question des assassinats politiques ayant ciblé Abane, Krim, Boudiaf et Matoub Lounès. A la fin de la chanson, les applaudissements fusent comme un tonnerre. Ce qui était imprévisible se produit. C’est la deuxième surprise du spectacle après Lynda. Farid arrête de chanter subitement et pleure. La raison ? Il vient d’apercevoir sa mère à l’intérieur de la salle. Ses amis et sa famille lui ont fait la surprise. Il essaye d’expliquer ce moment émouvant : “ Je m’excuse, je viens de voir ma mère dans la salle. Je chante depuis trente ans et c’est la première fois que ma mère assiste à mon concert. Vous connaissez les tabous kabyles ! ”. Farid s’interrompt. Il ne peut plus se retenir. Contre toute convenance, il court et saute comme un jeune de vingt ans de la scène, se dirige vers sa mère et dépose un baiser sur sa tête. La salle s’enflamme devant tant d’improvisation et de naturel. Ce chanteur atypique fait pleurer les jeunes et les vieux, avec ce geste. La mère ravit la vedette au fils pendant plus d’un quart d’heure. Des dizaines de personnes munies de leurs appareils n’arrêtent pas de prendre des photos en compagnie de la vieille. Pour joindre le geste à la parole, Farid Ferragui chante “ Ugadegh a Yemma ” où un homme exilé exprime ses appréhensions de voir sa mère mourir après la perte du père. Puis Khdem el khir i lwaldin, qui fait couler des torrents de larmes. Karim, trentenaire, ayant perdu sa mère il y a cinq ans, ne peut pas résister. Il quitte la salle, les yeux embués de larmes. Farid Ferragui enchaîne ses plus grands succès. Puis quitte la salle archicomble pour se reposer. Dans la deuxième partie, il n’est question que d’amour, l’amour d’une femme, d’une seule femme. Farid Ferragui rappelle qu’il va maintenant raconter une histoire, la sienne. Malgré l’émotion ayant caractérisé la première “ mi-temps ”, c’est maintenant que les choses qui touchent plus le public ferraguien commencent. Farid remercie son public, à travers Terram iyid gher temzi. Puis clame ses meilleurs airs sentimentaux. Agouni Tayri et Ayid sont les plus appréciés. Pour beaucoup de fans, elles sont ses deux plus belles chansons. Dans Ayid, l’artiste décrit dans un style mélancolique, la solitude d’un homme chez lui, après le départ de sa bien aimée.

Oh ! Nuit je suis resté seul

Avec sa silhouette

Et ma mauvaise conscience

Oh ! Nuit je suis resté seul

Seul, avec mes remontrances.

Azed A Igeni est le titre de l’une des nouvelles chansons d’amour que Farid a choisi d’interpréter à l’occasion de ce concert. Elle est suivie dans un silence religieux. Awi zran udmim ma ykhaq est la deuxième nouvelle chanson de Farid qui a émerveillé l’assistance. Une dizaine de chansons d’amour qui ont bercé un public plongé dans la plus profonde nostalgie. Samira, un peu plus de la vingtaine, découvre pour la première fois Farid Ferragui sur scène. “ Ce n’était pas prévu que j’assiste. C’est un ami qui m’a invité. Maintenant que je suis là, je ne regrette rien. Ce sont des moments très émotifs. Surtout le passage de la fille de Farid sur scène, et quand il a embrassé sa maman. C’est un geste qui a une grande signification, à méditer ”, affirme Samira.

Le spectacle de jeudi était aussi réussi. Malgré le match de la JSK, la salle était pleine. Les mêmes scènes se sont reproduites. Autant d’émotions et autant de larmes. Sauf que jeudi, une grande surprise a été réservée à Farid et au public. Il s’agit de la présence d’un maître de la chanson, Medjahed Hamid, qui a agrémenté la salle en interprétant sa célèbre chanson : Dkem. Medjahed Hamid a été ovationné pendant de longues secondes.

A la fin du spectacle, et comme pour effacer les larmes de son public, Ferragui s’est livré à des chansons de fête. Tout le monde a dansé pour oublier. Mais en quittant la salle, personne n’a oublié. On commentait toujours ses chansons et le spectacle s’est terminé avec un goût d’inachevé. On voulait encore écouter la belle voix de Farid qui donne rendez-vous à la Maison de la culture de Bgayet mercredi et jeudi prochains.

Aomar Mohellebi

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