La favela fantôme

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Loin des quartiers opulents du centre ville, une dizaine de familles venues s’installer au lendemain de l’indépendance dans les vieilles bâtisses coloniales attendent désespérément d’être recasées. Un quotidien précaire et une situation lamentable caractérisent leur vie de tous les jours.

“S’il y a un quartier, à Béjaia-ville, qui n’est jamais visité par les élus de la commune que lorsque qu’il s’agit de faire des campagnes électorales, c’est bien le nôtre”, nous lance tout de go Mourad Sali, habitant du domaine Dahas de la cité Sidi Ali Lebhar. Bâti entre la résidence universitaire d’Irayahen et l’aéroport Abane Ramdane, le quartier était, à l’origine, un centre de torture des moudjahidines. Aujourd’hui, il ressemble à un baraquement en ruine plutôt qu’à une cité peuplée. En cette matinée du lundi 02 avril, seules les braves filles qui nous ont attendus patiemment prés de ce bidonville, dans le but de rapporter leur misère quotidienne, apparaissaient au loin comme des spectres ressuscitées. La cité morte offrant une image fantôme, est là à accueillir les quelques passants indifférents.

Le décor, enlaidi par une décharge d’ordures, est désolant. “Nos requêtes et doléances tombent dans l’oreille des sourds, comme si ce décor fait partie de l’image de la ville”, se désole encore Mourad. Comme pour illustrer ses propos, il pointe du doigt les ordures accumulées jusqu’à obstruer le passage. “Pour les odeurs écœurantes, on fait avec. D’ailleurs, même les étudiants de la résidence universitaire ne sont pas épargnés pas ces émanations pestilentielles”, ajoute notre guide.

En somme, ces familles n’ont d’autre choix que de partager ces baraques avec les rongeurs qu’attirent cette décharge et les animaux de l’étable implantée au milieu des maisons. La peur au ventre, les huit propriétaires qui habitent le quartier depuis 1963, craignent de voir leurs demeures s’effondrer un jour ou l’autre, car l’état de ces maisons délabrées inquiète au plus haut point. Ils s’affolent chaque fois que le mauvais temps est annoncé. Lors des journées pluvieuses, c’est tous les membres de la famille qui se mobilisent pour évacuer l’eau rapidement de l’intérieur des foyers avant de se voir déborder par les inondations.

La plupart d’entre eux, sans travail, déboursent des sommes importantes pour aménager un tant soit peu l’intérieur des domiciles, chaque fois que les murs se fissurent. Si ce n’est pas les murs qui se lézardent, c’est le plafond qui présente des fêlures et qu’il faut à tout prix refaire avant l’arrivée de l’hiver prochain. 44 ans après, ces familles n’ont bénéficié d’aucune aide ou subvention pour réaménager ces maisons qui menacent ruine. Privé d’électricité et d’eau, les huit foyers sont éclairés à la lueur des bougies et sont contraints de se déplacer pour chercher l’eau à des kilomètres plus loin. Il n’y a pas péril en la demeure, jugent pourtant les autorités. Dans la maison qu’il partage avec son frère, également père de quatre enfants, Mourad ne cache pas son dénuement. Bien au contraire, ce père, accablé par les lassitudes engendrées par le poids des années, ne trouve pas de mots pour décrire le quotidien miséreux qu’il partage avec ses huit enfants dans trois pièces étriquées, caverneuses, où les coins sont disputés entre meubles et membres de la famille. “Ma maison est peut être la meilleure de toutes. Regardez l’état des autres, vous constaterez de vous-même” dira-t-il. Ici, toutes les maisons sont identiques et les pièces se ressemblent. Plafonds noircis par l’humidité, murs marqués par des fissures occasionnés par les nombreuses secousses telluriques qu’a connues la région, telle est la situation des habitations. Et comme si ce décor ne suffisait pas à appesantir sur leurs situations, une écurie de vaches dressée entre ces vielles bâtisses, vient apporter sa touche, polluant ainsi l’aire et l’atmosphère, déjà suffoquante. La famille Sali, ne pouvant supporter ces odeurs qui se dégagent de l’étable, a tout bonnement fermé cette chambre qui donne sur cet abri, privant ainsi leur progéniture d’un coin pouvant servir à étaler leurs couches.

Les deux filles Saida et Chabha, sans travail mais plutôt bien habillées, qui nous ont accueillis pour nous laisser entre les mains de leur père, nous ont signalé, comme pour corroborer tout ce qui a été dit, la fosse creusée au milieu de la cour pour contenir les eaux usées, en l’absence de conduite d’assainissement. Ces canaux, nous dit-on, sont loin d’engranger toutes les eaux des pluies en hiver, ce qui déclenche dans la majorité des cas de débordements indésirables. Si la famille Salhi dispose de trois pièces ou tout se fait dans la promiscuité, la famille Larouri, dont la misère se constate du premier regard, ne verra pas le bout du tunnel de si tôt, puisqu’elle est nombreuse et sans ressources. Pour accéder à son domicile, celle-ci doit partager la cour interne et même l’entrée avec les animaux de l’étable. Ses déboires s’accroissent en hiver, lorsque l’intérieur de la “maison” est noyé par les quantités d’eau qui s’infiltrent des trous du plafond. Les infiltrations sont si importantes que l’eau coule carrément par le parterre. “Il vaut mieux passer la nuit à la belle étoile que de s’amuser à évacuer l’eau sous nos lits toute la nuit”, nous dit M. Larouri.

La vie de tous les jours de ces habitants n’a donc rien d’exceptionnel, leurs histoires se ressemblent au point où il suffit d’écouter une personne pour généraliser le même quotidien aux autres familles. D’après ces pères et mères désespérés par la mal vie et les conditions qui se dégradent du jour en jour, sans que cela n’inquiète les autorités, c’est depuis 1981 qu’ils ont commencé à signaler et à écrire aux différents élus qui sont passés à la tête de la commune de Béjaia, mais sans que cela n’aboutisse à résoudre leurs problèmes de fonds.

Les demandes de logements qu’ils déposent annuellement auprès des services concernés sont nombreuses pour être comptées, nous signale-t-on. Au domaine Dahas, les responsabilités entre pères et mères sont partagées avec équité ; tandis que les hommes sont occupés à satisfaire les besoins de toute une famille, les femmes quant à elles, attendent les 15 de chaque mois pour se présenter au siège de l’APC de Béjaia, rappeler au maire ses promesses vaines. De retour chez elles, comme à chaque fois, ces dernières guettent désespérément le geste des autorités locales.

Dans cette cité traîne-misère, outre les problèmes qu’endurent les résidents au quotidien, et en l’absence de pièces justificatives telles que des reçus d’abonnement à la Sonelgaz ou à l’EDMIA, nécessaires pour constituer un dossier administratif, ces derniers se voient déniés du droit de se munir de carte d’identité et autres papiers administratifs. En somme, les habitants rencontrés se demandent s’ils sont réellement citoyens de la commune de Béjaia ou des nomades implantés-là, en attendant que leur avenir se décide.

Fatiha Lahiani

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