De l’eau pour la Kabylie

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Du Djurdjura jusqu’aux Babors, la Kabylie a hérité de la colonisation le barrage d’Ighil Temda à Kherrata, des stations hydro-électriques de Souk El Djemaâ (Yatafène) et de M’chedallah et de l’aménagement de quelques sources et bornes-fontaines. Ces infrastructures et équipements en plus des eaux libres de surface s’écoulant dans des cours et ruisseaux qui n’étaient pas encore pollués, avaient pu suffire à l’économie et aux ménages des années 1950 et 1960 du siècle dernier.Cependant, le boom démographique des années 1970 et l’évaluation de la vie sociale ont entraîné des besoins de plus en plus incompressibles en matière d’eau.A ces nouveaux besoins en liquide précieux exprimés par les ménages, l’agriculture et l’industrie naissante, se sont adjoints les phénomènes climatiques d’aridité persistante pendant les années 1980 sur l’ensemble de l’Algérie du nord.Parmi les facteurs de perturbation du cycle de l’eau, il convient de citer celui de l’érosion des sols et du déboisement. Ces deux phénomènes anthropiques, générés par une “modernisation” anarchique des activités économiques et sociales (urbanisation, ouverture des routes) et les incendies de forêts, ont fortement contribué à la perte de beaucoup de sources, une mauvaise infiltration des eaux en profondeur et un ruissellement torrentiel des cours d’eau. Sur une douzaine de milliards de mètres cubes de pluie tombant annuellement sur le nord du pays, seule une infime quantité est récupérée dans les barrages et les retenues. Le reste, c’est-à-dire presque 80% de ce volume, retourne à la mer.Pendant des dizaines d’années, des centaines de villages de la Haute et de la Basse Kabylie ont souffert le martyre pour s’approvisionner en eau. En été, la situation atteint parfois des pics dramatiques avec des conflits qui naissent autour d’une source ou borne-fontaine commune à deux ou trois villages. Le spectacle des femmes portant de lourds jerricanes sur la tête ou sur le dos est devenu si habituel sur les routes et les pistes de nos campagnes qu’il a fini par faire partie du décor familier. L’âne, bête de somme disparue un certain moment de nos paysages, se trouve réhabilité et revalorisé par ses fonctions de transporteur d’eau conduit par des enfants de 10 à 14 ans. Au cours des années 1980, beaucoup de villages ont bénéficié de l’installation de l’eau courante dans les foyers. Mais, dans la plupart des cas, les conduites apportent du “vent”, au propre comme au figuré. Les branchements anarchiques et illicites, la mauvaise répartition des flux et les énormes pertes des réseaux ont fini par donner une piètre image des installations d’eau potable.Au moment où le gouvernement envisage une nouvelle tarification de l’eau selon le type d’utilisateur (ménages, industrie, agriculture) et au moment où dans certaines régions du monde une guerre de l’eau se profile à l’horizon (Turquie, Syrie, Irak, Israël), il convient de jeter un regard scientifique sur les potentialités hydriques de la Kabylie. Sur ce plan, cette région est prédestinée à un avenir florissant lorsqu’on se met à sérier les différents gisements d’eau qu’elle recèle en son sein.Recevant parfois jusqu’à 2 000 mm de pluie par an, le territoire kabyle est considéré comme un château d’eau naturel. Le bassin versant du Sebaou est alimenté par tout le versant nord du Djurdjura. Terminant sa course à Tagdemt (Dellys), ce cours d’eau se prête, dans sa partie amont, à la construction de barrages et, dans sa partie aval (Draâ Ben-Khedda, Sidi Naâmane, Baghlia) à l’exploitation de la nappe par le moyen de forages. Il a fallu attendre le XXIe siècle pour voir s’ériger le barrage de Taksebt sur l’affluent de Oued Aïssi. Cet ouvrage d’une capacité de 170 millions de mètres cubes — dont les canalisations sur Alger et Azazga viennent d’être lancées — constitue un fleuron de la région en matière de stockage de l’eau et sur le plan esthétique et touristique.Systématiquement, de l’autre côté du Djurdjura, le barrage de Tilesdit (165 millions de mètres cubes ) est construit sur la haute Soummam (Oued Sahel) pour alimenter la région de M’chedallah, Bouira et Bordj Dehriss en AEP et en eau d’irrigation.Sur l’un des affluents de la Moyenne Soummam (Oued Bouselham), dans La wilaya de Bgayet, se construit depuis presque 20 ans le barrage de Tichi Haf. Par les péripéties qui ont marqué son “parcours”, ce barrage ne cesse de défrayer la chronique. Le Bousellam, qui prend naissance au sud de Sétif, déverse des volumes considérables d’eau dans la Soummam en face de la ville d’Akbou. Le barrage de Tichy Haf est destiné à l’alimentation du couloir Akbou-Sidi Aïch-El Kseur-Bgayet. Financé par les Koweitiens, il sera pris en charge par des yougoslaves pour finir dans le “giron” de Cosider. D’une capacité de 150 millions de mètres cubes, il constitue un véritable espoir pour cette région enserrée entre La Soummam et les Biban.Le plus grand barrage du Centre du pays est en chantier depuis 2 ans dans la daïra de Lakhadaria. Il s’agit de Koudiat Acerdoune, doté d’une capacité de 640 millions de mètres cubes et construit sur le cours de l’Isser. Ses eaux seront canalisées sur Boumerdès, Alger, Médéa et Bouira pour les besoins en irrigation, en industrie et en eau potable.La nouvelle politique de mobilisation des eaux de surface en Kabylie a révélé d’énormes potentialités non encore exploitées. C’est pourquoi, des études sont envisagées pour de nouveaux barrages dans la wilaya de Bgayet (Akbou et Addekar) et de Tizi Ouzou (Souk n’Tleta, Sidi Khelifa, Oued Rabta, Tamda, Tala Athmane, Oued Fali…). Avec le nouveau dynamisme économique qui commence à se dessiner en Kabylie (PME, PMI, agriculture des montagnes, périmètres irrigués…), la mobilisation des ressources hydriques constitue — avec le chemin de fer les routes et l’électrification -— l’un des plus importants investissements structurants.

Amar Naït Messaoud

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