l Le destin peu enviable réservé à l’école algérienne depuis une vingtaine d’années — du primaire jusqu’à l’université — a fait subir de dommageables revers aux ambitions les plus déterminées. Que l’on se détrompe surtout à propos des chiffres de la réussite au bac cuvée 2006. Au lieu de nous rassurer sur la “santé’’ de nos institutions éducatives, le taux de 5% de réussite doit, au contraire, nous inquiéter et interpeller les pouvoirs publics et tous ceux qui s’attachent encore à une formation de qualité capable de faire insérer les jeunes diplômés dans le monde du travail. Ayant pris conscience de cette situation ubuesque où l’on se prend et se perd à mentir à soi-même, beaucoup de parents d’élèves, aux revenus pourtant modestes, se sont résolus à se “saigner aux quatre veines’’ pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées aujourd’hui prises dans le collimateur du département de Benbouzid.
Ces établissements constituent une réponse franche à la volonté de laisser l’école publique s’enfoncer dans une déliquescence historique faisant d’elle une machine à fabriquer des chômeurs. La mise à nu du système éducatif algérien a commencé à ‘’crever les yeux’’ suite à la libéralisation de l’économie — qui induit des besoins nouveaux en personnel qualifié — et aux restrictions drastiques ayant affecté la Fonction publique en matière de recrutement. Pour un salaire de misère (7000 DA), des pots-de-vin ont été versés pour l’obtention de postes précaires de pré-emploi dans certaines wilayas alors que des entreprises privées souffrent d’un déficit en cadres.
Dans ce contexte qui voit de plus en plus se profiler une véritable impasse, le potentiel humain de l’Algérie, naguère fertile et ouvert, est en train de subir de sombres coupes au vu de la fuite accélérée de ses meilleurs éléments vers d’autres horizons- l’Europe et l’Amérique- où le savoir et la compétence sont les seuls critères d’insertion et de promotion sociales. Ce n’est pas alors sans raison que l’on est amené à se poser la question de savoir quel sera l’avenir de l’encadrement de l’économie dans un contexte de médiocrité du système de formation, de crispation politique, de décrépitude du climat social, d’illusion de prospérité induite par la rente pétrolière et d’exil des meilleurs cadres du pays. En se penchant dimanche dernier sur les secteurs de l’education et de la formation professionnelle, deux ministres et le chef du gouvernement lui-même semblent s’alarmer de la situation et s’apitoyer sur le sort délicat que l’avenir réserve à l’adéquation entre formation, emploi et économie. Pourtant, un diagnostic sans complaisance a été fait au moins depuis le début des années 1990 lorsque le champ économique commençait à s’ouvrir à l’entreprise privée.
Dans une situation économique comme celle que traverse l’Algérie, caractérisée par une lente et laborieuse transition vers le libéralisme, l’on ne peut s’offrir le ‘’luxe’’ de continuer à former des licenciés, des ingénieurs et des médecins chômeurs. Le problème se pose en termes d’adéquation entre le système d’enseignement et le marché du travail. Cette dernière notion a, il est vrai, fait défaut par le passé du fait que l’ensemble des diplômés avaient leurs débouchés pris en charge par l’Etat, principal employeur du pays. Les ébauches de ‘’passerelles’’ entre les différents domaines de la formation ont déjà été échafaudées en juillet 2004 par les responsables des secteurs de l’Education, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle dans des ateliers communs. Les analystes les plus indulgents ont conclu à la faillite du système de la formation professionnelle dans notre pays. Les symptômes commencent à apparaître au grand jour : les ateliers et usines privés ayant vu le jour au cours des dernières années ne trouvent pas le personnel technique et d’exécution sur le marché du travail. Les offres d’emploi par lesquelles des employeurs cherchent des ouvriers spécialisés, des contre-maîtres et agents de maîtrise (charpentiers, chauffagistes, plombiers, …) traînent pendant des semaines sur les pages publicitaires des journaux sans pouvoir mettre la main sur l’oiseau rare. C’est que depuis longtemps, la formation professionnelle est vue par la société et même par les pouvoirs publics comme “simple réceptacle des exclus du système éducatif” (dixit Belkhadem). Au lieu qu’elle soit un choix dicté par les préférences d’un cycle court ou par des prédispositions et aptitudes particulières- comme cela se passe dans les autres pays du monde-, la formation professionnelle est vécue plutôt comme un moindre mal par rapport à l’exclusion scolaire et un morose stand-by avant le service national et l’âge adulte. Il faut dire aussi que cette médiocrité et cette faillite sont les conséquences d’un système rentier qui avait plutôt besoin d’un personnel docile que d’un personnel qualifié. Aujourd’hui, les données sont en train de changer radicalement. Le nouveau patron ne se souciera plus d’une façon obsessionnelle du “papier-diplôme’’ de son employé, mais, comme disent les Américains, de “ce qu’il sait faire avec ses dix doigts’’.
Amar Naït Messaoud