Ce gros bourg des Ath Irathen, connu jadis pour son huile “zith thafrahth” qui, sous d’autres cieux, aurait pu se voir décerner un label, a dernièrement vu la création d’une association à vocation culturelle. C’est en réaction au marasme général, au vide culturel ambiant, qu’un groupe de jeunes a décidé d’allumer les lanternes de l’espoir. Rien en effet n’est disponible ici pour la jeunesse : pas un stade, pas un Centre culturel, pas une modeste Maison de jeunes pour servir de pôle de regroupement, de lieu de détente, de sas d’aération dans une société étouffante. On doit attendre les fêtes estivales de mariage pour que le village sorte un peu de sa léthargie. Pour taper du ballon, il faut descendre jusqu’à l’aire de jeu de la rivière, à plus de 4 km. En attendant, c’est le vide sanitaire de l’école, à plafond bas, aménagé pour abriter toutes les réunions du comité de village, qui sert en même temps d’abri à l’équipe de jeunes, armés de leur simple volonté pour relever le défi de créer un peu d’animation. Les adultes oublient vite leurs années de jeunesse et les offrandes multiples (bœufs gras, moutons, argent à profusion) ne paraissent légitimes et généreuses qu’enrobées de la couverture religieuse. On ne donne rien pour un stade, une bibliothèque ou un foyer de jeunes. Conséquence : il n’y a absolument rien pour la jeunesse qui erre, désœuvrée, à travers les cafés pour jouer aux dominos. L’Etat est quasiment absent ici et les jeunes ont les mêmes loisirs que leurs grands-parents. Rien n’est plus affligeant que de voir des adolescents, à l’aurore de leur vie, dans cette période riche de tous les espoirs, de tous les enthousiasmes, s’engluer dans les filets de la désespérance. Et l’on s’étonne que certains d’entre eux soient attirés par le chant des sirènes moyenâgeuses mues par une orthodoxie désuète et stérile, prônant la vanité des choses d’ici bas. C’est en réalité une réaction de défense à l’inaccessibilité d’un bonheur élémentaire. L’association culturelle d’Aït Frah, portée par des jeunes enthousiastes, a le mérite d’abord d’exister puis d’être spontanée, si cet adjectif a encore un sens en nos contrées.
Hébergée au quartier “Alma”, ce noyau essaie tant bien que mal d’insuffler un peu de vie à la communauté juvénile. Des activités sont en cours, l’association aura à se produire dans la Fête des cerises annoncée pour le début juin. Et on s’essaie au théâtre, à la danse, à la chorale. Un tournoi de football est en projet, ils veulent créer une bibliothèque et font appel aux éventuels donateurs de livres. Un stade digne de ce nom est une urgence, une thérapeutique sociologique. L’emplacement de Thighilt Ouvahri, terrain mechmel, peut bien abriter un foyer de jeunes puisque cet endroit constitue le centre géographique du village. De toutes les façons, les décideurs ne peuvent faire l’économie d’une prise en charge à bras le corps des aspirations élémentaires de la jeunesse à une vie de notre époque. Et Aït Frah, à l’instar de tant de bourgades des montagnes kabyles est un exemple type de village où le malaise juvénile est frappant.
Amarouche
