A deux mois des labours, un vieux Kabyle mal inspiré décide, raconte-t-on, de vendre sa paire de bœufs. Quelques jours après la transaction, il se rend compte de son erreur. Chaque nuit, avant de fermer les yeux, il fulmine et rumine. « nagh a Rebbi ! j’ai vendu mes beaufs alors que j’en ai besoin », regrette-t-il. Une nuit, ne pouvant supporter davantage les gémissements de son mari, sa femme lui propose avec une pointe de lassitude : « écoute, tu as fait une erreur d’appréciation, mais tu peux te rattraper : tu n’as qu’à vendre la vache et les quatre moutons pour acheter une autre paire de beaufs que tu revendras après le labourage, si ça te chante. Maintenant, laisse-moi dormir. Ihuh ! ».
La proposition semble passer à côté. Le vieux Kabyle continue avec son ‘’nagh a Rebbi… !’’. Sa femme revient à la charge : « mais je t’ai proposé de vendre… ! ». Après quelques secondes de silence, il lui répond : « ton idée est bonne mais ce n’est pas moi qui l’ai trouvée. Ihi, je ne vends rien et chah yehwayi ! » Dans son entêtement à n’écouter que son ego, le vieux Kabyle ressemble comme deux gouttes d’huile d’olive à nos politiques qui plus ou moins cavalent pour la République. Jusque-là, eux aussi trouvaient que l’idée de se rassembler autour du smig républicain est un impératif sans lequel la République est, dans les meilleurs des cas, écrasée sous le poids d’une forme de ‘’démoctature’’ inventée par des islamo-conservateurs funambulistes dont le seul souci est de ne pas chuter du câble tendu à grande hauteur.
Mais cette unanimité à trouver que le rassemblement est impératif ne va pas plus loin que la profession de bonne foi.
Il butera contre l’ego du vieux Kabyle de tout à l’heure. « Protéger la République est plus que vital à la condition que ce soit moi qui mène la barque », pose sa condition sine qua non l’ego. Pendant ce temps perdu à contempler son nombril républicain, l’islamisme nous invente des kamikazes et ce faisant, il élargit et élève davantage le câble tendu. Cependant, la République est toujours là à attendre de changer de camp. Pour la première fois, depuis l’avènement du multipartisme, deux Républicains ont enjambé les professions de foi. Rédha Malek et Amara Benyounès, les deux générations qui se reconnaissent, sans rupture, dans le même idéal ont mis en place le pôle tant espéré. Les deux hommes, rejoints par Ali Hocine du MDS, ne focalisent pas sur les législatives. Idem pour les candidats de l’Alliance qui ne ratent aucune occasion pour affirmer que les élections ne sont pas une fin en soi. Chose qui n’a pas manqué de susciter de l’intérêt parmi des citoyens qui commençaient à désespérer quant à un sursaut républicain.
Sceptiques, d’autres citoyens plus ou moins structurés sont dans une position de wait and see.
Pour eux, l’enthousiasme des uns et des autres ne durera que le temps d’une lune de miel : l’ego finirait par rattraper l’idéal. Cet état d’esprit est bien entendu nourri et forgé par une suite de désillusion qui avait caractérisé la vie politique. Ce pessimisme justifié ne renvoie aucunement au défaitisme. Les réflexes républicains sont intacts chez le citoyen. On ne peut pas parler non plus d’ancrage sociologique de l’islamisme. Mais cela arrivera un jour si la République n’est pas récupérée par les Républicains.
T. Ould Amar
