Deux amis, l’un enseignant et l’autre à la retraite, ont édité un lexique de la nature en tamazight et en français. Cet ouvrage se veut un recensement assez exhaustif des espèces végétales et animales présentes en Kabylie et dans d’autres régions sur le territoire national. On y trouve le nom scientifique de la plante ou de l’animal concerné, accompagné du nom vulgairisé en langue française ainsi que son appellation en tamazight. Une espèce peut se décliner sous plusieurs appellations d’ailleurs et les auteurs précisent parfois la région correspondant. On y apprend que le cachalot s’appelle “agelmum”, le saumon “amellah” et la sardine “tidlut” en tamazight. L’ouvrage est réparti en chapitres comprenant des espèces voisines : poissons, reptiles, batraciens, oiseaux, insectes. Le chapitre des mammifères comprend les animaux vivant dans la région méditerranéenne, sauvages ou domestiques.
Le monde végétal se taille la part du lion. On y trouve les arbres forestiers ou cultivés, les arbustes, les plantes sauvages et les cultures diverses. Toutes ont au moins un nom dans la langue de Jugurtha. Le romarin se décline sous pas moins de neuf appellations amazighes.
On y apprend aussi que le volcan s’appelle Adekar. Et on ne s’empêche pas de penser à l’agglomération frontalière entre Béjaïa et Tizi Ouzou. Il n’y a finalement aucun nom de village ou de lieu dit qui n’ait un sens. Il suffit de remonter à la source des mots. Et c’est ce que viennent de faire les deux compères dans cet ouvrage dont on ne finit pas de mesurer toute la valeur didactique et informative. Selon Omar Kerdja “cet ouvrage est en fait le fruit d’une vingtaine d’années d’exploration, d’identification, et d’enquêtes auprès des personnes âgées du terroir. Il fallait à chaque fois procéder d’abord à l’identification de l’espèce végétale ou animale, rechercher son nom kabyle auprès des connaisseurs, puis trouver son nom latin et français”. Les enquêtes sur les espèces marines ont été faites dans la région des Ath Djennad et d’Iflissen. Le chapitre de l’ornithologie a nécessité des investigations dans le territoire des Ath Mlanguel et d’Ath Fraoucen, le reste des recherches ayant eu essentiellement pour théâtre la région des Ath Irathen.
Cela a été long, laborieux et a nécessité la consultation d’ouvrages de botanique, de zoologie, d’herbiers… Internet a aussi apporté son efficacité en la matière. L’ouvrage étend au corps humain, aux maladies, et à d’autres appellations diverses mais utiles dans la vie de tous les jours. Son édition a été prise en charge par le Haut Commissariat à l’amazighite, soulageant ainsi les auteurs des frais prohibitifs d’une édition à compte d’auteur.
Les auteurs avertissent que la disparition progressive du mode de vie paysan montagnard risque bel et bien de prendre dans son reflux les appellations de toutes les choses de la vie quotidienne. Les générations actuelles ayant certainement d’autres modèles d’identification, d’autres sources de revenus que la vaste nature, ce qui n’est pas nécessaire sombre dans l’oubli. Rares sont aujourd’hui les jeunes qui connaissent les noms kabyles des arbres de la forêt, des plantes et des oiseaux. Cet ouvrage est justement une contribution à sauver de l’oubli les noms de toutes les choses qui ont fait le quotidien de nos ancêtres.
Quand on découvre que le crocodile du Nil a bel et bien son nom amazigh “azayez”, cela conforte les données historiques qui fixent l’aire de répartition de cette langue à toute l’Afrique du Nord et même au delà. On ne peut que remercier les deux auteurs pour cet excellent ouvrage concocté loin des feux de la rampe et de visées mercantiles.
Amarouche
