L’équilibre et la fertilité des sols en question

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D’une superficie de 4 456 m2, la wilaya de Bouira est écologiquement partagée en trois zones distinctes : l’extrême Nord (versant du Djurdjura) avec un climat à variantes humide et subhumide, la dépression centrale avec un étage bioclimatique semi-aride, et les Hauts-Plateaux du sud de la wilaya situés dans les étages semi-aride à aride. Jusqu’au début des années 90, la ‘’plaie’’ de la wilaya en matière d’érosion des sols et de désertification était localisée au niveau de la dernière zone. Tous les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre la désertification étaient concentrés dans cette bande, plus précisément dans sa partie centrale. Des actions d’envergure étaient initiées dans le cadre du Barrage vert (reboisements, arboriculture fruitière, améliorations pastorales, infrastructures de desserte). Cependant les résultats sont des plus maigres. Cela est dû à un manque de coordination avec les populations locales dont la sociologie et le mode de vie sont purement pastoraux. Les zones de parcours (pâturages sauvages) sont des espaces ‘’sacrés’’ qu’on ne pouvait pas fermer impunément par la mise en place d’autres cultures qui excluraient l’élevage ovin. Les deux logiques qui se sont affrontées sur le terrain ont fini par avoir raison des efforts des pouvoirs publics tendant à ‘’moderniser’’ l’occupation et l’exploitation des espaces steppiques.

Depuis une dizaine d’années, le phénomène des pertes du sol se sont aggravés en touchant des territoires jusque-là épargnées. De proche en proche, des monticules se dénudent, des versants s’offrent à l’action destructrice de l’eau et du vent et des volumes importants de terre arable se retrouvent dans les plaines alluvionnaires ou au…fond de certains ouvrages hydrauliques (retenues, barrages) sous forme de vase. La dégradation de l’environnement est devenue une réalité inquiétante qui risque de neutraliser tous les efforts de la collectivité si une stratégie efficace n’est pas développée pour la stabilisation des sols et la protection des ressources naturelles.

Le capital foncier en danger

On estime qu’au niveau mondial, l’on perd chaque année 25 milliards de tonnes de sol, et il faudra 1 000 ans pour en reconstituer deux centimètres d’épaisseur. On peut donc considérer que la terre perdue par l’action de l’érosion l’est presque définitivement. Toutes les actions de l’homme tendant à réparer cette calamité ne pourront, dans les meilleurs des cas, que freiner le cours du désastre. De toutes les formes d’érosion, c’est celle des eaux courantes que l’on connaît le mieux. On l’appelle érosion pluviale, provenant de la pluie, ou érosion fluviale, causée par les eaux courantes. L’érosion va du ruisseau d’eau de pluie qui serpente quelques minutes à la surface d’un tas de sable, jusqu’au fleuve qui ronge ses barrages, en passant par le torrent de montagne qui peut arracher à son lit, d’un seul coup, des centaines de mètres cubes de matériaux solides. Le ravinement se produit lors de fortes averses sur les terrains mal protégés ou carrément dénudés. Ce climat agressif devient plus dangereux lorsque des pluies torrentielles atteignent les 30 mm par 24 heures ou bien 20 mm en 2 heures de temps. Ce genre d’averse a déjà occasionné des dégâts dans certains points de la wilaya de Bouira. En septembre 1999, une voie de chemin de fer a été déchaussée à Bechloul au point où les rails étaient suspendus entre ciel et terre comme des câbles électriques. Un train de passage se renversa sur le coup. En 1994, la région de Hammam Ksenna, une vieille station thermale aux installations rudimentaires, fut dévastée complètement par des inondations automnales au point où toutes les infrastructures furent rasées.

Cependant, les espaces qui souffrent le plus du phénomène d’érosion demeurent sans aucun doute les terrains agricoles situés sur les versants des montagnes, aux piémonts ou sur les collines modérées. Les terrains céréaliers de Ridane, Taguedite et Lakhdaria sont affectés par un ravinement irrémédiable qui porte un coup fatal à leur fertilité par la disparition de la couche arable supposée contenir le maximum d’éléments nutritifs. Ainsi, les rendements, pendant les années où le phénomène de sécheresse n’est pas signalé, ne dépassent guère les 20 à 25 quintaux à l’hectare. Il faut dire ici que l’inadaptation des méthodes culturales a joué un mauvais tour pour les agriculteurs : céréales sur des terrains trop pentus, labours dans le sens perpendiculaire des courbes de niveau…,etc.

La dynamique torrentielle à l’œuvre

Le torrent constitue un organisme élémentaire qui concentre et évacue sur les fortes pentes des montagnes les eaux provenant des pluies ou de la fonte des neiges. Il ne travaille pas de manière continue parce qu’il n’est pas alimenté régulièrement. Si on prend Ighzer Aghbalou et Ighzer n’Selloum dans la région de M’Chedallah, ils illustrent parfaitement le cheminement de torrents qui ne formeront une rivière plus ou moins stable qu’à partir du village de Selloum. Ce sera Assif Tiksighidène qui débouche dans la haute Soummam. Dans la partie supérieure, le bassin de réception du torrent se présente en forme d’amphithéâtre ou demi-entonnoir. Il est formé et sans cesse agrandi par les eaux de ruissellement qui creusent sur les pentes des rigoles convergentes en érodant la roche. Dans la partie médiane, le chenal d’écoulement est formé par un défilé aux fortes pentes et aux versants raides. C’est par le chenal que se fait l’évacuation des eaux concentrées dans le bassin de réception et de tous les matériaux solides qu’elles transportent provenant du creusement du bassin de réception. Lorsqu’il se produit une réduction du volume de l’eau à évacuer, les eaux ne peuvent plus transporter la charge solide ; les éléments les plus lourds se déposent dans le chenal d’écoulement, les pierrailles et graviers étant seuls entraînés. C’est ce que l’on peut constater dans les cours médians de Assif Assemadh, provenant du Djurdjura, et du Soufflat, alimentant le cours de l’Isser. Dans la partie inférieure du torrent, la pente diminue brusquement à la rencontre du fond de la vallée principale. De plus, alors que la masse des matériaux à transporter ne cesse d’augmenter de l’amont vers l’aval du chenal, le débit liquide n’augmente pas. Aussi, cette section est considérée comme zone d’accumulation : le torrent dépose les matériaux qu’il charrie en formant un cône de déjection à profil transversal convexe. Les eaux, au sortir du chenal d’écoulement, s’y divisent en bras instables à la surface du cône et s’y infiltrent en partie. Ces parties de torrents sont visibles à Haïzer où passe Assif Lemroudj et à Taghzout où passe Assif Tessala, tous les deux descendant du massif de Haïzer (2 123 m d’altitude au pic de la Dent du lion).

Mécanismes de l’érosion hydrique

« L’érosion hydrique présente son action maximale dans les zones montagneuses « , écrit François Ramade dans l’ouvrage Ressources et richesses en péril. Il ajoute :  » Le déboisement de fortes pentes favorise le ravinement lors des précipitations. Il se crée de la sorte de nouveaux torrents tandis que ceux qui existaient antérieurement dévastent de plus en plus les sols situés de part et d’autre de leur lit. En effet, l’absence de végétation favorise le ruissellement et l’écoulement de masses d’eau considérables collectées dans le bassin versant, dont l’action destructrice est amplifiée par la dénivellation. Le pouvoir régulateur de la végétation, en particulier des forêts, sur le cycle de l’eau est connu depuis la plus haute Antiquité. L’érosion du sol est absente là où une végétation arborée existe, elle est négligeable en prairie, même sur de très fortes pentes. Le couvert végétal exerce son effet régulateur par de multiples modalités qui entravent l’érosion hydrique. Un hectare de forêt méditerranéenne retient quelque 400 tonnes d’eau après un violent orage. Celle-ci sera en partie évapotranspirée, le reste s’infiltrera lentement et sera peu à peu restitué aux nappes phréatiques, tandis que le ruissellement sera nul. À l’opposé, la destruction de la forêt se traduira par une érosion accélérée due à la violence de l’impact des gouttes de pluie sur la terre dénudée et au ruissellement intense « .

Le couvert végétal mis à mal

Le couvert forestier de la wilaya de Bouira est estimé à quelque 112 000 hectares. Il couvre les massifs du Djurdjura, l’Atlas blidéen (daïras de Lakhdaria, Kadiaria et Souk Lekhmis), les Bibans (Bechloul, El Hachimia, Bordj Okhriss) et le Titteri-Hodna (Sour El Ghozlane, Dechmia). Ce espace a subi une forte dégradation au cours des treize dernières années suite aux grands incendies criminels ou générés par la lutte antiterroriste. Il a subi également d’autres types d’agressions dues aux coupes illicites, défrichements et occupations illégales par certaines constructions. D’immenses efforts sont fournis par la Conservation des forêts de la wilaya pour réhabiliter ce patrimoine et cela par les nouveaux programmes mobilisés par le gouvernement : Plan national de reboisement, programme des Hauts-Plateaux, Projets de proximités de développement rural, Projet d’emploi rural (PER II) cofinancé par la Banque mondiale et les travaux d’utilité publique financés par la Direction de l’action sociale (DAS).

Cependant, des signes d’érosion n’ont pas manqué de se manifester là où la forêt a reculé. C’est le cas à la périphérie des maquis de chêne-vert d’Aghbalou et sur les contreforts de Bouseddar à Ridane où les ravines nouvellement creusées dans les sols commencent à tracer leur horrible architecture. Même les terres de Gurrouma situées dans une zone de montagne, autrefois verdoyantes et humides, enregistrent les premiers signes d’érosion. Signe des temps, le sol rocailleux des falaises de Lakhdaria, supportant naguère des maquis denses, a connu un phénomène d’affaissement et de glissement qui a été à l’origine de plusieurs éboulements lesquels ont conduit plusieurs fois à la fermeture de la RN 5 de part et d’autre du tunnel. La lutte contre les phénomènes érosifs a toujours constitué un axe majeur de la politique de l’administration des forêts. Plusieurs actions ont été menées dans ce sens : reboisements, fixation de berges, corrections torrentielles (gabionnage), arboriculture fruitière en substitution aux céréales, amélioration foncière pour diminuer la vitesse de ruissellement et augmenter les rendements des cultures.

Mais, une véritable politique de protection du patrimoine foncier exige beaucoup plus d’efforts et de coordination dans le cadre d’un aménagement rationnel du territoire pour un développement durable. Les plus grands aléas qui pèsent sur le couvert végétal dans ses différentes variantes demeurent les pacages non réglementés et les incendies de forêts.

Les surpopulations de bétails élevés en mode extensif non seulement s’attaquent aux jeunes plantations forestières et fruitières, mais elles épuisent et dénudent le sol en lui arrachant les plantes herbacées. À la longue, avec la diminution drastique de l’offre fourragère, c’est l’élevage lui-même qui sera remis en cause. Le spécialiste Eric Echholm, dans son ouvrage La Terre sans arbres, écrit :  » Les scientifiques et les ordinateurs élaborent des modèles de régénération rurale, mais les paysans et les chèvres agissent autrement. Dans de nombreux pays, la détérioration du sol ne sera pas stoppée avant qu’une transformation du système foncier et une redistribution des priorités économiques nationales n’interviennent « .

Amar Naït Messaoud

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