Figer la vie dans une photo

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Pourquoi écrire ? Cette question est devenue une occasion à ne pas rater pour les écrivains et poètes de lancer, à tort et à travers, des réponses surréalisées à souhait, histoire de faire un exercice linguistique souvent dénudé de sens. Si Gabriel Garcia Marquez écrivait pour se faire de nouveaux amis et Woody Allen pour se payer un psy gratos, le mystère de l’écriture n’en demeure pas moins non élucidé ! En vérité, la meilleure réponse à cette question est la suivante : écrire pour découvrir pourquoi le faire. Autrement dit, en langage commun, l’appétit vient en mangeant !

Mais loin de savoir la raison de ce crime passif qu’est l’écriture, loin de vouloir s’en justifier vis-à-vis des autres, il s’avère qu’en écriture, comme en politique, il y a toujours une hiérarchie sociale, un genre supérieur à l’autre, une écriture majeure et une autre mineure.

Malheureusement, dans les milieux francophones surtout, la nouvelle se situe dans la seconde catégorie. Elle se trouve écrasée par la popularité et le succès du roman et ne devient appréciable que venant d’un grand écrivain qui aurait déjà fait ses preuves à coup de romans copieusement vendus et dont les écrits sont naturellement courtisés par les éditeurs.

La question est de taille : pourquoi l’art de la nouvelle est-il tellement mis à l’écart dans le milieu littéraire francophone ? Suivant la logique des éditeurs, on pourrait immédiatement penser aux lecteurs. Lesquels apprécient beaucoup plus le roman et le recueil de poésie en raison de leur construction abordable et la façon dont leur auteur sait maintenir ses lecteurs en haleine et les tenir suspendus au panache des événements avec cette soif parfaitement légitime d’atteindre le dénouement de l’histoire.

La nouvelle, quant à elle, par sa structure totalement différente et son défi lancé aux formes classiques de l’écriture, se trouve repoussée de façon plus ou moins voyante par les éditeurs et les lecteurs. L’habitude en serait probablement la raison essentielle. Les lecteurs francophones sont habitués, familiarisés et rassurés par le roman et le poème.

La nouvelle est un étrange troubadour qui s’amuse parfois à leur réciter des histoires courtes et essoufflées qui condensent la lenteur, la longueur et la langueur du roman en une ou deux pages essentiellement destinées à figer la vie, ses phénomènes, ses gens et ses bêtises dans une photo express. Laquelle, dans le cas de beaucoup de nouvellistes comme Kafka, réussit à transcender la réalité, lire entre ses lignes et démontrer par la sorte toutes ses lacunes cachées, ses points noirs et ses espaces vides…

Quand on écrit une nouvelle, chaque mot devrait avoir un sens et renvoyer à une image. Contrairement au roman qui, bien qu’étant écrit par des plumes talentueuses, contient souvent des passages à vide et des zones non aliénées faisant tache dans l’ensemble. La nouvelle n’est pas une longue histoire presque interminable dont certaines pages nous paraissent vides malgré la noirceur éclatante de l’encre. La nouvelle déclare une guerre contre le temps pour prouver que pour dire ce que l’on a à dire, d’une façon intense et authentique, seulement deux ou trois pages nous suffiront. Ecrire des centaines de pages est réservé aux palabreurs et polémistes qui éprouvent le besoin de remettre sans cesse une idée que l’on pourrait passer en quelques mots.

La force de la nouvelle est semblable à celle d’une allocution brève et précise qui fait vibrer l’auditoire par son éloquence et sa souplesse.

Ce n’est, évidemment, pas pour dénigrer la valeur artistique du roman et sa place indéniable au sommet des genres littéraires mais seulement pour donner à cette petite fille négligée et malmenée de la littérature qu’est la nouvelle, l’affection et la tendresse dont elle a besoin pour s’épanouir, pour éclore parmi les fleurs de la création…

Sarah Haidar

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