“La France des couleurs” pour consacrer le berbère dans l’universalité

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Idir est en plein promotion de son nouvel album « La France des couleurs », sorti le 4 juin dernier. Une grande et fantastique œuvre que partage avec lui un panel d’artistes, quarante deux exactement. On citera entre autres Willy Denzy, Pascal Obispo, Mélissa, Guismo, Sweety, Sniper, L’Skadrille, Yannick Noah, Zineddine Zidane… Toujours fidèle à sa modestie légendaire, Idir insiste pour ne pas s’attribuer la palme de la consécration de l’entreprise. « C’est un travail collectif. Mon album en solo, je le prévois pour après », précise t-il. « C’est eux qui m’ont fait appel. Ils m’ont choisi et j’ai été flatté. A partir de là, on a trouvé ce concept de la France des couleurs qui me permettait, disons, d’installer à travers les chansons du disque un reflet aussi fidèle que possible de ce qu’est la France d’aujourd’hui, c’est-à-dire métissée ou alors qui n’existerait pas du tout », explique l’idole sur les plateaux des différents médias dont il a été l’hôte de marque ces derniers jours.

«Ca m’intéresse beaucoup que la France des couleurs soit portée par le berbère»

« La France est faite avec les carolingiens, les mérovingiens, les italiens pour les immigrations plus récentes, portugaises ou espagnoles sans compter les colonies et les protectorats d’Afrique ce qui fait qu’on a abouti aujourd’hui à un paysage français multicolores, multi ethniques et multi culturel. Alors la problématique est, si chacun doit vivre son identité seul, quelle est leur contribution à cette France, c’est ce reflet là qu’on a voulu illustrer ». Revenant sur la naissance de cette initiative, Idir avoue qu’il a eu quelques appréhensions à se jeter tout de suite à l’eau. « C’est par le biais de la boite qui me produit qu’un contact a été noué avec ces jeunes rappeurs. Avant, on avait proposé à d’autres chanteurs de prendre ma place car ils sont quand même quarante deux et je suis le seul kabyle. Cela ne peut que me réjouir car à la limite, je dirais que la personne qui fédère tous ces gens là aussi illustres les uns que les autres avec des musiques variées, est quand même un kabyle qui a réussi à les réunir tous. Donc, comme lui, il chante en kabyle, la langue qui devait être retenue pour porter cette « France des couleurs » ne sera pas le français mais le berbère. Et dans ce cas là cela m’intéressait beaucoup. Car au départ, ce n’était pas une chose évidente pour moi de m’associer à cette musique des machines qui m’est étrangère. Je n’en savais rien du Rap. A la limite avec Noah et Obispo mais avec ces jeunes là, c’était de l’inconnu pour moi. Mais au bout des rencontres et des échanges, on a convenu de partager ce plan ». Un plan qui a donné naissance depuis le 4 juin à « La France des couleurs » à travers laquelle les mélodies et voix des Obispo, Noah, et autres se mêlent pour s’articuler extraordinairement autour d’un « vestige » kabyle. Il n’y a que Idir qui pouvait réaliser cela pour la culture kabyle, et il l’a fait. Sans diminuer le mérite aux illustres anciens artistes kabyles qui gardent leurs palmes chacun dans son registre, Idir reste le seul à avoir fait chanter le berbère aux Goldman, Khaled, Mami, Leforestier… Cette fois le nouveau monde de Idir est convié à dire chacun son identité sous un air dominant qui fait repenser à « Zwit arwits ». « C’est un ancien titre à moi qu’on a retenu. Ce ne fut pas ma proposition mais celle d’une Algérienne vivant au Canada qui a voulu résumer cette idée de la France des couleurs à travers cette chanson ».

«Oui les équipes de Ségolène et de Sarkozy m’ont approché»

L’œuvre est sublime, la musique prête à une balade sans frontières, le sujet sensible attise une douce révolte d’affirmation, d’existence, celle du petit peuple. Forcément, cela ne laisse pas indifférent la sphère d’en haut. Idir le confirme d’ailleurs : « Oui on a essayé de m’approcher, l’équipe de Ségolène comme celle de Sarkozy, mais de toutes les façons je suis irrécupérable. Je suis algérien de nationalité donc je suis tenu par un devoir de réserve, et encore ce n’est pas dans ma nature d’aller m’immiscer dans l’intimité des gens pour leur dire d’aller voter pour tel ou tel autre. A la limite de ma place je pourrai donner un avis, ma position, mais pas m’afficher avec quelqu’un en particulier. Idir a catégoriquement refusé que la sortie de cet album coïncide avec l’élection présidentielle qui a fini par consacrer le candidat Sarkozy. « J’ai effectivement refusé à ce que l’album sort entre les deux tours de la récente élection présidentielle française. Nous sommes des artistes et nous ne sommes viables qu’à travers les émotions qu’on est censés s’échanger les uns les autres, la politique est un métier à part. Et il y’a la politique politicienne qui a ce souci particulier de tenter de récupérer ce qui est beau, ce qui est susceptible de conforter une adhésion. Moi je me situe en dehors et c’est pour cela que je n’ai pas voulu que ce leitmotiv de « la France des couleurs défendra les couleurs de la France » puisse faire l’objet d’une récupération pour tel ou tel, peu importe quelle partie. Donc j’ai voulu m’éloigner de ce tumulte électoral et puis de présenter cette France là dans le calme le plus serein ». Idir était bien conscient de ce qui se tramait autour de cette joute ou d’ailleurs le débat sur « l’identité nationale » avait fini par prendre une bonne place avant d’être agrégé d’un ministère !

«Quand on me dis si je suis militant de la cause berbère, j’en rajoute…à fond »

Maintenant que le match est fini, Idir dit ce qu’il pense de la question : « C’est un trait électoraliste quand même, c’est à dire s’il s’agissait de flatter une partie d’un certain électorat sensible à ce genre de choses, mais je ne suis pas sûr qu’il en pense plus que ça (…)En fait identité est un mot qui est très évasif, ce n’est pas précis parce qu’une identité est censée se remettre sans cesse en question. Mon père est kabyle d’une certaine manière comme moi je ne le suis pas. Mon fils ne le sera pas comme je le suis moi, parce que le temps fait son affaire, on charrie des choses nouvelles qui nous donnent une nouvelle identité à chaque fois. Mais ma culture je l’aime et je l’ai dans le sang. Quand on me dit, si je suis militant de la cause berbère, j’en rajoute « à fond ». Maintenant en ce qui concerne cette identité française dont on parle tant, je crois que la meilleure définition est de voir ce que peut amener chacun dans le creuset commun de la culture française, à sa langue, et à partir de là, tout ce qui est beau est à retenir et rentrera dans l’usage de cette langue. C’est comme ça qu’elle évoluera (…) Je citerai un petit exemple : Le couscous est aujourd’hui rentré dans l’identité française alors qu’il n’y était pas. Tout le monde sait que c’est une tradition berbère. Mais il passe de nos jours pour le premier ou deuxième plat national de la France. C’est cela la France des couleurs ». En fin, sur son enrichissante collaboration avec les autres artistes des divers horizons, le chanteur kabyle s’en félicite à demi mot d’avoir accompli un autre pas dans la mission qu’il s’est constamment tracé depuis qu’il a acquis la notoriété envers sa culture : Celle de l’ouvrir d’avantage sur l’universalité. « Ils m’ont énormément posé de questions sur la musique berbère. Et ils se sont rendu compte que ce qu’ils ont l’habitude d’écouter, les clichés qu’ils avaient de la culture algérienne en générale se résumaient plutôt à la chanson arabophone dont le raï est une des représentations les plus évidentes. Ils ont réalisé que là, on était dans un autre univers beaucoup plus mélodique, et à force d’y creuser ils ont découvert que derrière ces belles mélodies, il y’a aussi des revendications, des textes d’une conscience politique qu’à mon avis ils ne retrouvent pas ailleurs. Alors à ce moment là, cela les a intéressé et n’ont pas manqué de chercher à savoir plus » expliquait avant hier Idir chez nos confrères de Berbère télévision qui lui consacre une semaine à l’occasion de la sortie de ce nouvel album. La chaîne lui consacrera dès ce mercredi la diffusion du documentaire « Entre scène et terres » de 92’ qui retrace la vie de l’artiste depuis son jeune âge au départ de son village, Ath Lahcène en kabylie. Le vendredi 15 juin, se produira en concert, alors que le lendemain, samedi 16 juin, BRTV diffusera en exclusivité le clip de « la France des couleurs » lors d’une émission spéciale de 90’ à partir de 21h30 (heure française). Le dimanche 17 juin à partir de 15 heures, l’artiste tiendra une séance dédicace publique au siège de la chaîne.

Djaffar Chilab

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