Catastrophe écologique au port de Béjaïa

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Dorades, brochets, anguilles, autant d’espèces à la chair fine et délicate particulièrement prisées des gourmets ! Il en est jusqu’aux crabes, réputés, grâce à leur carapace, pour leur résistance, à gésir par grappes entre les rochers. L’eau trouble et nauséabonde laisse quelquefois entrevoir au fond de la mer, entre deux ressacs, quantité de poissons morts. La catastrophe remonte aux premières heures de l’aube du mardi 17 mai, affirme Zadir Abdallah, président de l’Association des pêcheurs amateurs à la ligne, qui continue sur sa lancée. “J’ai immédiatement alerté les services concernés de la wilaya ainsi que la Direction de la pêche. La Direction de l’environnement relevant de la wilaya a dépêché une équipe sur les lieux pour procéder à des prélèvements d’eau et de poissons. Puis… plus rien. Ce qui est important et grave en même temps, c’est que des quantités de poissons sont sorties de cette zone pour alimenter foyers, restaurants et peut-être même les marchés. Je ne saurai cependant vous dire s’il s’agit de poisson pêché ou de celui gisant mort au fond et à la surface de l’eau”. Quel que soit le cas de figure, ce poisson est impropre à la consommation puisque sorti d’une eau hyper polluée, à en juger par les dégâts considérables infligés à la faune marine…Ce qui est par ailleurs frappant dans cette histoire qui sent le souffre, c’est l’espèce de black-out qui entoure des faits que même la rumeur publique n’a pu connaître et rapporter. Mieux ou pire, aucune mesure n’a été édictée à titre conservatoire et l’accès aux lieux demeure libre. De même, les pêcheurs n’ont à aucun moment été priés d’aller voir ailleurs. Nous avons pu franchir, allègrement, jeudi, l’espèce de barrage installé à l’entrée de la jetée sans coup férir et sans avoir eu à montrer patte blanche. Sur place, rien de bien anormal. Les cueilleurs de “clovisses”, immergés jusqu’à la ceinture, s’adonnent le plus normalement du monde à leur gagne-pain puant et dangereusement mortel et les pêcheurs au moulinet, l’œil rivé sur le flotteur, usant de la patience infinie qui est la leur, attendent, une clope vissée au bec, que le poisson vienne mordre à l’hameçon. Un poisson qui ne viendra pas ! C’est à quelques encablures de là que nous avons pu mesurer toute l’étendue de la catastrophe. Sur place, une équipe de la Direction communale de l’environnement, dans l’attente des préposés aux prélèvements, fulmine contre la Direction de wilaya qui ne les aurait prévenus que 48 heures après que les dégâts ne soient survenus. La Protection civile et la Sûreté de wilaya, arrivées en même temps, prennent connaissance de visu de l’ampleur de la catastrophe. Eux aussi n’ont été mis au courant que le jour-même, c’est-à-dire le jeudi 19 ! Le mal est fait et personne ne peut présumer à l’heure actuelle ni des causes de la catastrophe, ni de ses conséquences à court et moyen termes sur la faune et la flore marines, mille fois malmenées. Les pêcheurs, d’habitude si volubiles, sont muets comme des… carpes. Et pour cause, le poisson, leur compagnon, l’est aussi ! C’est à peine si Abdallah ose une hypothèse. Pour lui, la pollution d’un type nouveau est indiscutable. Et de pointe du doigt l’espèce de navire-barge, aux excroissances métalliques qui partent dans tous les sens : “Voilà le responsable”. Le responsable, c’est le bateau de dragage dont les travaux ont démarré il y a quelques temps. Il aurait, selon les explications de notre quidam, en raclant le fond de la mer, éventré un ou plusieurs récipients contenant des produits toxiques, qui, en se libérant, ont produit l’effet que l’on sait. De toutes manières, les résultats des analyses vont tomber incessamment et nous espérons qu’un coin d’opacité sera levé sur cette affaire pour le moins curieuse où la transparence n’a, à aucun moment, fonctionné, mettant en péril la vie des citoyens.Les questionnements et les pourquoi, même vains, reviennent, lancinants. Pourquoi le réflexe de mise en quarantaine d’un espace dont la fréquentation en jours de semaine est réduite à sa plus simple expression, n’a-t-il pas fonctionné ? Plus prosaïquement, pourquoi la population a-t-elle été tenue à l’écart d’un problème qui la concerne au premier chef ? Pourquoi enfin avoir pris autant de temps avant de mettre au parfum les autres acteurs, partie prenante des équilibres et de la bonne marche de la cité ? Il y aurait eu quelque chose de gravissime à cacher que l’on ne se serait pas pris autrement ! Le citoyen, cet éternel gogo, “flouable et grugeable” à merci, n’a même pas eu droit à une information juste, donnée en temps réel. Le fait qu’il s’agisse de son cadre de vie, de son bien-être, de sa santé ne change absolument rien.

Mustapha R.

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