“Il s’agit d’une réparation historique”

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La Dépêche de Kabylie : Le Conseil du gouvernement vient de siéger et a adopté deux projets relatifs à la création de l’académie de langue berbère et un centre pour son aménagement…

ll Abdenour Abdesselam : Franchement, la nouvelle m’a beaucoup enthousiasmé. C’est un des évènements majeurs de la réparation d’une injustice historique dont ont été victimes la langue et la culture berbères. Toutefois, je reste prudent et attentif en même temps pour voir s’éclaircir et se clarifier dans la pratique les missions dévolues à chacune de ces nouvelles institutions. Il est bien entendu nécessaire de signaler que c’est le résultat d’un long combat chèrement payé par la famille militante.

Quelles sont, d’après vous, les missions d’une académie ?

ll Il y a plusieurs types d’académies. Il y a l’académie des arts, celle de la musique, celle des sports, etc. Dans notre cas, il s’agit d’une académie de lettres (entendre langue). Elle devrait comprendre en son sein des membres permanents, des membres consultants, voire même des correspondants. La mission d’une académie n’est pas d’inventer une langue ni une culture. Elle n’impose rien. Elle est normalement une institution consultative qui rempli plutôt une mission d’observatoire et d’écoute. Elle recommande, propose, suggère. Elle n’est pas pour autant symbolique puisqu’elle peut jouer aussi le rôle d’autorité scientifique qui émet des avis et surveille l’état de la langue en l’améliorant.

Quel est justement aujourd’hui l’état de la langue berbère ?

ll Je ne risquerai pas de me répéter et je ne cesserai jamais d’insister de faire remarquer que la langue berbère est une langue parfaitement et naturellement structurée. Son naturel tient de ce qu’elle a inventé ses propres articulations appelées outils linguistiques. Ses formes verbales, nominales, adjectivales, etc. Obéissant scrupuleusement à des règles charpentées où domine le sens. Tous les éléments qui forment une langue sont là et bien installés. Les règles fonctionnent selon une logique de formation totalement populaire aujourd’hui attestée et confirmée par la formation savante. Elle ne vit pas de dualité embarassante entre une langue dite ancienne ou classique et une langue dite savante. Nous sommes plutôt en présence d’une même langue depuis des siècles, vivante, de communication, de travail, qui évolue et qui fonctionne dans ses diverses expressions. Le petit berbérophone qui apprend intuitivement dès son enfance et auprès de sa mère une langue structurée avec laquelle il rentre directement dans le monde de la communication a certes besoin aujourd’hui d’une consolidation de ces acquis. La mission de l’école et autres institutions, justement une académie, est de prolonger ces atouts et d’organiser le développement de la langue. Le berbère est une langue disponible dans son état naturel, apte à affronter une vie moderne sans cesse dynamique. L’essentiel dans tout cela est que les nouvelles institutions ne soient pas de nouveaux facteurs de blocage.

Pourquoi cette attitude de prudence et de méfiance ?

ll Je reste effectivement prudent et méfiant sur les véritables objectifs que l’on veut assigner à ces institutions. La légitimité de ma prudence tient des expériences vécues par le passé où on a constaté que la mise en place d’une institution a plus été orientée sur des subjectifs à caractères idéologiques et subjectifs plutôt que scientifiques et objectifs. Il y a une question fondamentale et cruciale qui se pose et autour de laquelle s’articule toute décision de création d’institutions. Il s’agit de la question de la transcription. Il y a une franche opposition des pouvoirs publics face à l’historique usage des caractères latins pour transcrire le berbère. Ce n’est nullement une focalisation sur le sujet mais l’enjeu est de taille dans la mesure où les autres questions vitales d’ordre pédagogique et scientifique sont alors élidées et sacrifiées. On veut absolument et coûte que coûte arrimer la transcription de la langue berbère à la graphie arabe, pendant que des spécialistes de langue arabe, eux, préparent l’adaptation d’une graphie latine à la langue arabe elle-même. La dernière réunion s’est d’ailleurs tenue à Beyrouth au Liban. De plus, les opposants à l’utilisation de la graphie latine s’évertuent à attirer notre attention sur le risque que nous encourons de latiniser le berbère. C’est là une attention trop généreuse de leur part pour qu’elle ne dissimule pas des feintes et des freins à son développement. Ils feignent d’ignorer bien sûr que nous risquons alors, et selon donc leur propre logique, d’arabiser le berbère avec la graphie arabe. Mais nous dépassons toutes ces contrefaçons de la pensée car le train de la modernité ne peut hélas s’accommoder de questions qui relèvent plutôt d’hypocrisie politique. Non ! Un système de transcription ne se décrète pas et ne s’impose pas. Il est choisi sur la base d’arguments qui tiennent de la raison et de la logique ce que nos aînés ont su bien faire. L’adaptation et l’application de la graphie latine a connu des étapes de développement d’études et d’ajustements qui ont abouti à une forme aujourd’hui stable, adéquate et surtout renforcée par l’apport de l’outil informatique. Nous sommes alors face à un cas d’atteinte à notre liberté d’exploiter simplement un choix rationnel et cohérent d’un héritage séculaire. C’est également une atteinte à notre désir d’universialité. De grâce, que l’on ne revienne plus sur cette question-piège au demeurant définitivement tranchée sur le terrain.

Pourtant la langue berbère est nationale et des régions berbérophones utilisent bien la graphie arabe ?

ll Tout porte à croire que le caractère nationalitaire de la langue berbère est justement utilisé pour frayer un passage obligé à la graphie arabe, et ce par institutions interposées.Or les statistiques montrent bien que plus de 95% des élèves et des enseignants de langue berbère sur tout le territoire national sont circonscrits en Kabylie (Bouira, Tizi Ouzou et Bgayet) où la graphie latine est effective et irréversible. Nous sommes donc face à un chantage politique qui n’est pas fait pour arranger les choses. Les pouvoirs publics veulent nous imposer de faire du “sur-place” sachant que le temps est un facteur aggravant et impitoyable pour les langues et les cultures contrariées.Voilà pourquoi la multiplicité des institutions me laisse quelque peu perplexe mais j’espère que l’objectivité l’emportera enfin sur le subjectif retardataire. Notre langue s’est développée jusque-là sans la contribution de l’école,s ans soutien étatique. Bien au contraire, elle en a été même privée et dépossédée. Il n’est alors jamais trop tard pour bien faire et de nouvelles institutions étatiques sont les bienvenues si elles ont pour mission de consolider l’acquis et de postuler, des évolutions nouvelles et utiles pour la langue.

Vous êtes consultant à la Bibliothèque nationale, qu’en est-il ?

ll Je suis effectivement consultant à la Bibliothèque nationale depuis une année où je mets en place une bibiolthèque du domaine amazigh (langue, culture, histoire et civilisation). J’ai pour le moment remis plus de 4 500 références bibliographiques qui feront l’objet d’acquisition.Les étudiants peuvent dès à présent en consulter quelque unes.

Des projets d’écriture ?

ll Je peine à terminer mon dictionnaire des citations des philosophes et penseurs berbères de Kabylie tellement je découvre chaque jour et sans cesse des nouveautés à ressusciter. Il paraîtra peut-être dans trois années au plus tôt.

Entretien réalisé par Khaled Zahem

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