Un micro sur scène et un autre à la radio

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Bélaid At Mejqan pour les auditeurs de la chaîne II ou Bélaid Tagrawla pour les amateurs de la chanson kabyle moderne fait partie de cette génération. Celui qui dit n’avoir jamais donné une longue interview s’est montré plutôt ouvert que réservé quant nous l’avons abordé. Sans hésiter, notre invité s’est plongé dans ses souvenirs d’enfance, de son village, Taddart Oufella à Larbaa Nath Irathen mais aussi des contes que sa mère lui contait alors qu’il était écolier à El Biar.

Acewiq ou les premières notes de musique « J’ai quitté le village natal à l’âge de quatre ans. On s’est établis à El Biar. J’avais un avantage de vivre dans un quartier habité essentiellement de Kabyles ce qui me permet de sauvegarder intacte mon vocabulaire ». C’est comme cela que Bélaïd commence son récit non sans nostalgie. La nostalgie de l’enfance d’abord, de l’innocence, et puis de ces nuits autour du feu durant lesquelles sa mère lui racontait des contes. « On s’endormait sans que le conte ne soit fini. C’était notre télévision. C’était tellement beau et fantastique qu’on croyait vrais les personnages que ma mère nous présentait. A croire que ce sont des contes de fées. C’était sublime », se souvient-il. Et puis, il n’y avait pas que la mère. Le père avait mis du sien. « A l’école, tu leur diras que tu es berbère », lui conseillait-il. Berbère ? Le jeune Bélaid ne savait pas ce que cela voulait dire, surtout que ses camarades de classe se moquaient de lui et allaient en dire à leur maître car ne comprenant pas, eux aussi, le sens de cette phrase.Mais ce qui sublima plus Bélaid c’était les chants que sa mère chantonnait alors qu’elle effectuait les travaux du ménage. « Ma mère chantait beaucoup. Je ne savais pas ce que cela voulait dire mais c’était très beau. Je regrette d’ailleurs que je n’aie pas enregistré cela ». Maintenant qu’il est adulte, Tagrawla dit qu’il aurait aimé garder ce patrimoine si riche et irrécupérable. Trop tard puisque la vieille n’est certainement pas en mesure de raconter cela. Peu importe cependant, puisque ce qui était un rêve refoulé est devenu réalité. Bélaid est devenu chanteur, pas par défaut mais par vocation.

Et la radio arriva…Les At Mejqan avaient la chance d’être parmi les rares personnes à avoir un poste radio au village. C’était un miracle dans une Algérie qui venait de sortir de la colonisation. Bélaid se souvient de cette misère qui obligeait les gens à rafistoler leurs souliers par des fils de fortune parce qu’ils n’avaient pas de moyens d’en acheter du neuf. Une situation que notre interlocuteur a vécue lui-même puisqu’il se souvient toujours des pièces que sa mère mettait sur ses vêtements, son père ne pouvant que subvenir aux besoins nécessaires de ses enfants. Cette situation ne l’empêcha pas d’écouter la radio et d’apprécier les chansons phares de l’époque. « Nos voisines étaient surprises d’entendre des sons étranges chez nous. Elles venaient demander à ma mère qui était cette fille que mon père avait ramenée à la maison. Il était pour elles difficile de croire qu’un son pouvait sortir d’une boite ». A lemri de Chérif Kheddam et tant d’autres chansons encore constituaient le menu de la radio kabyle à cette époque-là. Le répertoire de cette chaîne n’était pas riche mais cela suffisait à Bélaid de se mettre en contact avec un monde qu’il ne connaissait forcément pas avant. Il se souvient d’ailleurs des coups de gueule de son père qui lui intimait l’ordre d’aller s’endormir alors que la pièce du théâtre radiophonique qu’il écoutait n’est pas encore terminée. « Je collais mon oreille au transistor pour que mon père n’écouta pas. Mais à chaque fois, il me demandait de m’endormir ce qui me laissait sur ma faim… « , raconte-il tout en se souvenant des pièces de Mohamed Hilmi.Parallèlement à cette vie familiale, Bélaid At Mejqan commençait déjà à chanter à l’école lors des fêtes de fin d’année « toujours en kabyle ». Même lorsque le maître d’école ramenait de disques, Bélaid choisissait toujours Mohamed Hilmi. Avec l’âge, le chanteur du groupe Tagrawla découvre des émissions radiophoniques de haute portée pédagogique à l’instar de l’émission enfantine présentée à la fin des années 1960 par Madjid Bali, Belhanafi ou Nouara, ou l’émission sportive qui a été supprimée quelque temps après. C’était la même carrière au collège où Bélaid apprend pour la première fois à écrire les notes de musique. « J’avais commencé par les chansons de Idir qui étaient à la mode à l’époque. » Il n’y avait cependant pas que Idir, puisque même Amar Mezdad, un parent à lui, qui lui avait offert un premier livre d’accords musicaux. Mais auparavant, Bélaid At Mejqan est passé par là où sont passés presque tous les jeunes de Kabylie. Il avait fabriqué, lui aussi, sa guitare à l’aide d’un bidon de l’huile et des fils d’hameçon. C’était un passage obligé vers l’acquisition d’une véritable guitare malgré la farouche résistance du père. Les tabous imposés à l’école pesaient bien lourd qu’une simple opposition d’un papa soucieux d’abord de la scolarité de son fiston. Des résistances qui n’auront cependant pas raison de la ferme volonté de l’adolescent à chanter. « Tu es triomphal », lui disait son directeur d’école. « Tu feras une bonne carrière », s’adressa à lui, Mme Belhouhou, son prof de musique. Sans grande conviction, puisque Bélaid ne pensait toujours pas qu’il fera un jour une carrière artistique, même s’il ne tardera pas à composer ses premières chansons qu’il n’éditera que des années plus tard lorsqu’il intègrera le groupe Tagrawla, dont il épousera le nom au même titre que ses autres camarades.

Un début mi-figue mi-raisin à la radioLa passion que Bélaid avait de la radio l’avait poussé à participer à plusieurs reprises à l’émission  » Ighenayen uzekka  » présentée par Farid Ali. Il ne tardera pas à animer sa première émission à la fin des années 1970. « Je n’avais pas hésité à accepter la proposition de Djamila de la seconder dans une de ses émissions », se souvient-il non sans se rappeler de la remarque de la présentatrice qui lui disait que sa  » voix était aigue « . Bélaid At Mejqan ne fera que quelques mois à la radio avant de la quitter. Pas pour toujours, puisqu’il formera par la suite un couple inoubliable avec Sidi Ali Naît Kaci. Mais avant d’arriver là, il nous raconte d’abord comment il a rejoint le groupe Tagrawla en 1981 et le grand succès enregistrer dès le premier enregistrement en France. Et les tournées nationales qui ont suivi au même titre que le festival de Moscou ou celui de Lituanie en 1989, une tournée de laquelle il garde le souvenir de l’accueil des télévisions de ces deux pays.Le couple Bélaid-Sidi Ali Naît Kaci s’est formé avec  » Tidyanin  » dès 1984 et deviendra des années durant l’attraction de la majorité des auditeurs de la radio kabyle. « Avehri n Tmeddit », « War isem », et d’autres émissions constitueront pour de longues années, durant lesquelles l’animateur vedette de la chaîne II gardera la censure des autorités et l’affection du public qui ne cesse de le demander mais aussi « 40 di tawla » ou il a passé des chanteurs au crible en leur posant des questions gênantes. Avant de nous quitter, Bélaid insiste pour rendre hommage à Mohia qu’il a rencontré une seule fois dans sa vie « sans pouvoir lui faire d’interview  » et d’autres. Il dit être exigeant même s’il « ne peut pas plaire à tout le monde ». Après une absence de deux ans, At Mejqan revient à la radio avec  » tameddit n was  » qu’il anime en solo après s’être séparé avec Ahmed Nat Kaci Ouamar. Il continue à animer à la radio comme en classe avec ses élèves. Quant à Tagrawla, la carrière est loin derrière, malgré l’existence de  » yemma tedda hafi « .

A. B.

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