(Nouvelle)
Par : F. Papi:
-Sois sans crainte ! Depuis longtemps, le désir m’a quitté. Ne te trouble pas petite, approche, laisse-moi te regarder, laisse-moi te respirer, laisse-moi poser mon visage dans tes cheveux ! Le sexe ne me hante plus.
L’âge a nettoyé mon âme de ces vilénies. Vois mes mains, les années y ont tracé leurs sillons compliqués. Les tiennes par contre sont si petites, si fragiles ! Elles palpitent comme l’oiseau blessé. Laisse-moi déposer dans la paume de ta main mon dernier souffle de vie.
Approche petit ange aux yeux de feu, ton regard fuyant bat au rythme de ton émoi. Laisse-moi l’accrocher. Entre dans mon âme, contemple mes souvenirs, brûle ceux qui ne te plaisent pas et garde les autres.
Tu trouveras ceux d’un homme étonné et horrifié par son amour sacrilège, ceux d’un adolescent révolté par la misère des hommes, ceux d’un amant amoureux, ceux d’un amant trahi, ceux d’un père fou d’espoir, ceux d’un père déçu, ceux d’un époux au bonheur égaré.
Et puis…. les plus récents : ceux d’un homme fatigué, assis dans sa voiture, face à une petite fille, sous une pluie fine d’hiver des Hauts Plateaux et qui n’en finit pas de mourir. Approche encore plus près, ouvre la boîte de Pandore. A l’intérieur de moi règne l’inconscient auquel je n’ai plus accès.
Ouvre la boite et libère mes démons, toi qui viens d’entrer dans mon coeur et dans ma mémoire, si tu te sens assez forte pour en supporter le fardeau, cherche, fouille, pille sans vergogne. Et tu seras riche, petite fille ! Riche de mon adoration pour un petit ange du paradis. Approche petite fille, serre-moi très fort contre ton cœur.
La fillette était à présent confiante. Sa tête reposée sur l’épaule du vieil homme tandis qu’elle se promène dans sa mémoire. Avant d’entrer, elle se emparé est d’un grand sac dans lequel elle a jeté pêle-mêle ses trouvailles entre ses cigarettes et ses mouchoirs, certains souvenirs sont placés à part, bien en évidence, faciles à consulter.
Des traces d’usure en trahissaient l’emploi effréné, d’autres avaient forme de rêve, doux au toucher, d’autres encore étaient brûlants de fièvre, évoquaient l’homme et la femme incrustés l’un dans l’autre, agités de soubresauts furieux.
La fillette eut peur, elle lâcha ses belles reliures de cristal qui se brisèrent au sol en mille diamants solitaires. Un claquement de portière et elle s’en alla, aérienne, sans se retourner…
La gorge sèche, les yeux humectés, sur un bout d’étagère de sa mémoire, habillé d’une tunique rouge sang du passé, un gros volume attira sa main curieuse, elle l’ouvrit.
Le visage d’un enfant à l’image du vieil homme se dessina sur la page, il l’appelait, mais de sa bouche ne sortait aucun son. D’instinct, la fillette compris que l’enfant renié n’avait pu s’effacer.
Elle le glissa dans son grand sac entre ses cigarettes et ses mouchoirs, elle l’emporta avec les paysages de pays inconnus, la saveur de sucreries exotiques, les parfums de terre mouillée aux premières gouttes de pluie d’été. Elle saupoudra le tout de musique triste d’un adagio aux notes douloureuses. Elle s’en alla entre les travées du parking. Le temps passait sans qu’elle s’en rendît compte, elle s’essoufflait mais n’y prenait point garde tant sa soif de découverte était grande, et les souvenirs s’entassaient dans son sac dont le poids devenait d’heure en heure plus lourd. Ses jambes s’engourdissaient et une grande fatigue l’envahit.
Soudain, elle aperçut une boite en chêne massif, fermée à clef.
– Approche fillette, fit la voix du vieil homme. Charge-toi de l’Inconscient. Tu en prendras connaissance plus tard, rien ne presse !
Elle trouva dans sa poche une clé qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant, elle la mit dans le cadenas, la boite s’ouvrit. Elle happa, à la hâte, des souvenirs… Ils étaient sales, gluants.
Leur odeur fétide lui donna la nausée. Elle surmonta son dégoût pour contenter le vieil homme. Puis, elle s’enfuit aussi vite qu’elle put…
Une grande lumière inondait la pièce, de petits personnages sortis d’un roman que la fillette avait écrit, dansaient comme des lutins. Elle s’arracha des bras du vieil homme.
Il commença par se dissoudre dans cette blancheur éclatante, et son enveloppe, vidée des souvenirs innommables, s’éleva lentement dans une poussière d’étoiles multicolores au son d’un tocsin paradisiaque.
F. P.