Par : Amar Kancra:
Le TGV méditerranéen s’est enfin décidé à repartir après plus d’une heure et demie d’attente à Aix. Le retard serait dû à une »panne d’aiguillage » résultant d’une coupure suite à un incendie qui s’est produit quelque part sur la voie ferrée. » Le train sera bloqué pour une durée indéterminée, il aura donc certainement du retard « , annonçait une voix monocorde à l’intention des passagers.
Deux jeunes Anglaises apparemment monolingues, ne parlant que la langue de Shakespeare, ne comprenaient pas pourquoi le train ne repartait pas. Inquiètes, elles demandaient si quelqu’un parlait anglais pour leur expliquer ce qui arrivait. Personne ! no body ?
Après quelques hésitations et en dépit de mes notions limitées en anglais, je me jette à l’eau : » My english is bad but I trie to explain you what is happening : the train can’t go now because there is a fire in, euh…. (je suppose que mes hésitations et peut-être surtout le dernier mot que je venais de prononcer les inquiètent plus que ça ne les rassure)..euh.. the way « . Ouf, j’ai enfin pu trouver le mot ! »the way, the way », et pourtant c’est simple !
L’attente promet d’être longue. Pour mieux la supporter, j’insère une cassette dans mon baladeur. Zut ! Ça ne marche pas ! Une deuxième, une troisième. Rien ! Mon Sony est certainement taïwanais. Je fais alors défiler la bande du film de ma première traversée de la Méditerranée par voie maritime. Une queue aussi longue à l’embarquement qu’au débarquement. C’était épuisant ! La traversée en elle-même s’était bien déroulée. J’ai partagé la cabine avec un père de famille de 35 ans, venu de Ténès et »décidé à ne plus jamais y retourner quitte à crever en Europe ». » Il a été blessé jusqu’à la moelle » dit le Belcourtois de 32 ans, mon second colocataire d’une nuit qui n’a fait que »tchatcher » toute la nuit. Quant au troisième, je l’ai juste aperçu une fois : il est rentré à 2 h du matin et j’étais sur la terrasse quand il s’est réveillé.
Le souvenir le plus agréable que je garde de la traversée demeure incontestablement ma nuit de sommeil. J’étais bercé par le mouvement du bateau (j’allais dire du berceau). J’ai l’impression d’avoir rêvé toute la nuit. Ma sylphide restée de l’autre côté de la grande bleue était venue me tenir compagnie dès que je fus dans les bras de Morphée. Sur le fond bleu de ma nuit tanguant à souhait, s’est d’abord imposé au premier plan d’une toile indicible son sourire. Un sourire envoûtant dont l’éclat est rehaussé par la présence d’une incisive rebelle bouleversant l’uniformité de sa denture faciale. Devançant ses congénères, elle donnait l’image d’une sentinelle prête à défendre crânement ses langoureuses lèvres contre tout conquérant indésirable…
A ce moment là j’ignorais que j’étais moi aussi indésirable sur cette terre de nos ex-colonisateurs, pourtant réputée hospitalière, que je voulais naïvement conquérir… Le lendemain, après une douche matinale à bord du bateau, j’ingurgite rapidement un café au lait au bar-resto du Tariq puis je me rends sur la terrasse du bateau. De l’eau à perte de vue. Devant cette immensité, cet infini, je me rends compte du caractère insignifiant de ce que je suis, de ce qu’est l’être humain.
Je reste là à admirer et méditer jusqu’à notre arrivée au port de Marseille. Sur la terrasse, un groupe de jeunes Algérois, visiblement très contents d’avoir le pays loin derrière eux, chantent, dansent, gesticulent et crient des noms de villes occidentales : » Londres, Palma… ». Ils ne s’arrêteront probablement pas en France…
(A suivre).
A. K.