Entre cohabitation et discrimination

Partager

Au sein de la communauté universitaire de Béjaïa, une minorité d’étudiants africains, venus de contrées lointaines, remarquablement différents les uns des autres par la culture qu’ils véhiculent, ont réussi tant bien que mal en si peu de temps à faire de cette diversification un apport conséquent à la culture du pays d’accueil. Sans se soustraire à leur africanité, ces hommes Noirs cohabitent avec les étudiants algériens, en s’imprégnant des traditions et coutumes de la région par la participation à des activités culturelles et sportives organisées par des associations estudiantines. Sans doute, leur insertion n’a pas été facile particulièrement les premiers temps, mais en bravant tous les obstacles liés à la langue et aux coutumes. Ces derniers ont substitué racisme et discrimination par intégration et cohésion faisant de ce lieu de savoir un espace multiculturel.

Cependant, dans cet ensemble à la fois cohérent, compliqué et embrouillé, l’on se demande réellement si cette dissemblance est assumée entièrement par les uns et les autres sachant que cette tendance raciste latente est réelle dans toute société.

Ces questions pertinentes n’éveillent visiblement aucun écho chez la majorité des étudiants kabyles. Sur ce sujet, ces derniers, à l’unanimité, réservent plutôt leurs opinions et s’abstiennent, dans l’immédiat, de faire savoir ce qu’ils pensent réellement du phénomène. Certains d’entre eux, sur le point de terminer leurs cursus, pensent que le phénomène est en régression à Béjaïa. Pour eux l’apport de la communauté étrangère dans le domaine culturel est indéniable. De par leur contribution à l’animation de la vie culturelle au sein des résidences universitaires, ces derniers portent en eux les symboles d’une culture différente émanant des contrées de diverses origines. C’est vers ces ressortissants africains que nous sommes allés pour nous enquérir de leurs vécus quotidiens. Concernant les étudiants de Guinée, Mali, Tchad, Nigéria… leur intégration dans ce nouveau cartel universitaire s’est faite sans encombre. Boubekeur, 23 ans, étudiant guinéen en management partage l’avis de ses amis kabyles. Pour lui, les bourses qu’octroie l’Algérie à ces étudiants africains sont un signe de bonne volonté de la part des autorités de pays à renforcer les liens avec ces pays d’Afrique. La preuve, ce sont ces dizaines de milliers de cadre africains, aujourd’hui hauts fonctionnaires dans leurs patries à être formés dans les facultés et universités algériennes. Par ce geste d’ouverture sur d’autres cultures, l’Algérie matérialise son appartenance au continent noir. C’est pour cette raison, confie-t-il, que son choix s’est porté sur l’Algérie. “Entre la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, j’ai choisi le pays de la JSK que j’ai toujours rêvé de connaître”. Un rêve qui s’est concrétisé récemment lors du match opposant l’équipe nationale de son pays à la JSK. Ce jour là, Boubekeur fera connaissance avec certains joueurs de son équipe favorite. Plus tard, il se rend à Tizi Ouzou pour mieux assouvir sa curiosité. Dans cette autre région de la Kabylie, il s’imprégna des traditions et us des montagnards. De son pays d’origine, ce jeune étudiant dira avec amour et nostalgie que la Guinée, qui regroupe diverses religions qui cohabitent dans une interaction homogène, ressemble dans ses spécificités géographiques, culturelles à la société kabyle. “Sans cette ressemblance, il nous sera peut être difficile de nous adapter facilement dans ce milieu où se sont cristallisées des connaissances de par toutes les régions du pays et d’ailleurs” argue-t-il. A la question de justifier le comportement d’une minorité d’Algériens à leur égard, comme le soulignent d’autres, notre interlocuteur ne nie pas tout à fait l’existence de ces tendances discriminatoires. Ne voulant pas généraliser, ces esprits xénophobes, ni contredire les autres qui affirment, de prime abord, que ce pays ne peut pas échapper à ce phénomène de société, le Guinéen revient sur l’accueil qui leur a été réservé les premiers jours de leur arrivée, et met en exergue le rôle qu’a joué l’association des étudiants étrangers dans le rapprochement de ces derniers du mouvement associatif culturel. Il revient également sur la vie de cette minorité, ses rapports avec les Kabyles de Béjaïa et les étudiants algériens en général. Pour lui, tout rapport humain est susceptible de connaître ces situations compliquées qui entraînent parfois des malentendus. Il soutient également qu’à l’université de Béjaïa, à l’instar des autres, une association agréée par l’Etat, regroupant en son sein des ressortissants africains universitaires, se charge de la gestion quotidienne de leurs études surtout de résoudre les petits conflits et malentendus qui peuvent naîtrent entre ces derniers et les Algériens.

L’une des tâches principales de cette association, dont il est membre, appelée communément : Communauté des étudiants étrangers de Béjaïa (C.E.B, est d’orienter le nouvel étudiant dans sa nouvelle vie, allant de son inscription à son hébergement puis à son orientation dans la vie active et culturelle. En 2005, un groupe d’étudiants africains avaient pris part à la célébration du Printemps berbère. Une initiative qu’ils comptent reproduire en collaboration avec les associations locales, dira-t-il. Sur l’événement, notre interlocuteur dira que la fête célébrée conjointement a drainé un monde fou.

Un signe de cohabitation et d’entente. Amadou, cet autre Africain du Cameroun, n’est pas de cet avis. Les déboires, qu’il a eu à subir depuis son arrivée en 2004, l’ont presque persuadé de retourner chez lui. Au cours de ces années, Amadou a rencontré “des gens merveilleux et des gens dédaigneux. Certains n’accordant pas d’importance à ma couleur me traitent comme l’un des leurs, d’autres nous considèrent comme des bêtes sauvages qu’il faut chasser de leur terrain à tout prix. Je ne peux croire qu’on est dans un pays musulman ! Si on vient nous demander l’heure, c’est en nous insultant d’abord. Pis, durant les longues files d’attentes qui se forment devant le restaurant, on en voit de toutes les couleurs. Injures, insultes sont le lot de tous les jours” se désole-t-il.

Ces “malentendus ou petits conflits” sont pour les camarades d’Amadou, une preuve qui n’exclut pas l’hostilité et l’inimité de la population locale. Irrités probablement par ce mot “cohabitation” ces derniers ont vite réagi à cette “tendance calomnieuse”. Aissatou et d’autres qui refusent de décliner leur identité, ne l’entendent pas, en effet, de cette oreille. Pour ce groupe d’étudiants, il ne s’agit pas d’aggraver la situation, mais le racisme est un fait universel qu’on le veuille ou non. Dans ce sens et pour corroborer ses dires, ce groupe met en avant cet aspect manifeste, selon lui, dans les universités. Ce groupe dit que ces contradictions sont évidentes dans un même pays : entre les gens du Nord et ceux du Sud, entre sédentaires et nomades, les villes et les campagnes.

N’est ce pas là la meilleure preuve. “A Béjaïa, on nous parle avec le mépris des Blancs qui s’évertuent avec leurs humour à nous désigner avec un chapelet de qualificatifs : Nigro- Batata” clame un Camerounais qui raconte mieux la discrimination. Il explique qu’une bagarre entre un étudiant noir et un Algérien, survenue il y a de cela quelques mois à l’université de Bab Ezzouar, a fait le tour du pays. La presse a largement traité l’affaire. Il s’agit d’un accrochage entre deux étudiants de nationalité angolaise et algérienne. Pour une futilité, dira-t-il, les deux protagonistes se sont adonnés à une répugnante prestation. L’échange d’injures entre les deux a débordé au point de devenir “une insurrection ethnique” incluant des groupes d’étudiants. Dans cette réalité psychique, certains étudiants de cette communauté minoritaire et minorisée, attachés aux traditions de la population locale, à l’instar de cet étudiant guinéen, ne comptent repartir qu’une fois qu’ils auront reproduit par écrit ce qu’ils ont vécu à Béjaïa. Un roman pour retracer une vie d’étranger dans un pays aux coutumes étranges à leurs yeux.

Fatiha Lahiani

Partager