Hier, la petite ville de Yakouren grouillait de monde. Le centre-ville était animé. L’air, suffoquant d’ailleurs, lâcha des petites brises de fraîcheur qui balayaient en intervalles irréguliers es ruelles qui donnent toutes sur la vaste forêt de Yakouren havre de paix pour les singes.
A la vieille cité, les gens faisaient leurs emplettes dans les commerces bien achalandés. Les cafés maures sont pleins. L’on sirote son café d’une main et l’on tient un journal par l’autre. Les Une de tous les quotidiens ont titré sur l’événement que leur ville venait de vivre l’avant veille. C’est le sujet de toutes les discussions. Des discussions qui s’interrompent à notre vue. La suspicion gagne de facto toute personne étrangère qui y pénètre. Les regards deviennent de plus en plus durs à supporter. C’est comme si l’on s’apprêtait à vous tirer dessus. La peur et l’inquiétude se lisaient quand même dans leurs yeux.
Nous décidons de prendre la température aux villageois ayant subi quatre heures d’accrochage et une nuit d’horreur. Ça n’a pas été facile de faire parler des personnes qui se tenaient à leur vie. De là, nous apparaît l’imposant bâtiment faisant office de siège de la brigade de Gendarmerie nationale, théâtre d’un assaut des plus spectaculaire opéré par au moins une cinquantaine de terroristes au moment où leur acolytes sont embusqués dans différents endroits de la ville. L’édifice, qui date de l’époque coloniale, est érigé sur la plus haute colline de la ville. Il domine celle-ci, mais il la protège également car implanté juste au ras de forêt. Ses murs témoignent de la violence de l’opération terroriste. Les impacts des balles sont visibles de loin. Deux fenêtres de la partie supérieure du bâtiment sont entièrement calcinées. Elles étaient atteintes par les obus de roquettes tirés au début de l’opération à partir d’un crête, distante de moins de 300 mètres en vol d’oiseaux qui lui fait face de l’autre côté de la ville.
La façade donnant sur la forêt est entièrement éventrée par l’explosion d’une bombe que les terroristes ont fait exploser avant de donner leur assaut. Un peu plus haut, sur la route du lycée, un café est quasiment vide. Nous y entrons, et à notre surprise, nous ne rencontrons que deux jeunes à l’intérieur. L‘un d’autres eux est le propriétaire et l’autre, son voisin qui a marqué une halte de son retour du marché. Nous serons accueillis de la même façon qu’au centre-ville : méfiance et regards hagards. Nous déclinons notre identité avec un large sourire. Rien n’est fait, la méfiance est à son paroxysme. “Vous êtes journalistes ? Montrez-moi vos papiers…”, nous répliqua le tenancier du café non sans nous quitter des yeux une seconde. “Que voulez-vous ?”, dira-t-il ensuite. Alors nous nous déployant avec toute notre énergie pour le mettre à l’aise.
Leur but : réduire à néant la brigade de gendarmerie
Après longue hésitation, notre interlocuteur nous lâcha, “ce que je vais vous dire tout le monde le sait, c’est ce que j’ai entendu parler hier (avant-hier ndlr) dans la vielle ville, c’est ce que vous les journalistes vous avez d’ailleurs rapporter dans vos articles… enfin… les assaillants ont ciblé la brigade de gendarmerie et ont voulu la réduire à néant, la preuve, c’est qu’ils ont concentré toute leur artillerie sur ce bâtiment…”, le jeune homme éprouve du mal, plutôt de la peur, à nos témoigner ce qui c’est passé cette nuit-là.
Bégayant par moment il décida ensuite de trancher avec sa conscience “moi je n’ai rien vu, j’ai fermé tôt, allez au centre-ville si vous voulez avoir des témoignages”. A ce moment, son voisin intervient pour nous dire qu’il a entendu de chez lui un véhicule passer par cette route (la route du lycée qui mène vers la sortie sud-ouest de la ville). Il précise que le véhicule était une Peugeot J5 qui avait abordé la monté avec difficulté. “A peine les premiers coups de feu partis, j’ai entendu le moteur de ce véhicule “gronder”. A ce moment, j’ai décidé de sortir pour assouvir ma curiosité. Ensuite j’ai entendu le moteur s’arrêter au bout de cette piste. C’est là qu’un groupe de terroriste qui a dressé son barrage pour empêcher l’arrivée des renforts de l’armée de ce côté-là”, tenta d’expliquer le second jeune.
“Regardez cet immeuble ! C’est là que les terroristes se sont embusqués et d’où ils tiraient à laide des fusils mitrailleurs sur les gendarmes”, nous montra du doigt le jeune homme. L’immeuble en question est à peine à 30 mètres du siège de la brigade. Il fait parti des autres bâtiments qui forment la Cité EPLF, dont certains logements sont toujours inoccupés.
“Y a-t-il des familles qui y résident ?”, nous l’avions interrogé. “Tout l’immeuble est habité. Les familles ont été tenues à l’écart par les terroristes après avoir investi leur demeure. Certaines ont été carrément évacuées à l’extérieur, d’autres ont été contraintes de subir les tirs croisés échangés entre gendarmes et assaillants. Heureusement pour elles, aucune victime n’a été déplorée”. L’immeuble en question présentait en effet des traces de criblement de balles tirées par les gendarmes durant leur riposte.
“Les gendarmes étaient très courageux”
A en croire le témoignage des habitants de Yakouren, les terroristes ont planifié leur coup depuis plusieurs jours. Ils mettent en avant le fait que les membres d’El Quaïda au pays du Maghreb venus en très grand nombre ont investi tous les coins stratégiques de la ville et de ses alentours. “Ils ont pris possession de toutes les entrées de la ville en dressant leur barrage. Certains de leurs acolytes ont servi d’arrière-garde, d’autres flânaient librement dans les ruelles de la ville. Un des leurs avait sur lui un cartable et un pistolet avec lequel il donnait l’ordre de tirer”, témoigne un jeune qui dit avoir assisté aux débuts de l’opération via la fenêtre de son magasin.
Son copain raconte que les assaillants ont d’abord déposé des bonbonnes de gaz au pied de mur de la brigade qu’ils ont acheminé sur des brancards. Se sont ces mêmes bonbonnes utilisées en bombes qui ont explosé avant le début de l’accrochage, précise-t-il, en signalant que la déflagration était si forte que toute le monde a cru à un tremblement de terre.
“Ce qui me laisse pantois, c’est le fait que les assaillants aient tout leur temps pour investir l’immeuble de la cité EPLF qui fait face à la brigade et placer des projecteurs sans qu’ils ne soient repérés”, s’est-il interloqué avant de nous faire son commentaire. “Les gendarmes étaient très courageux ils étaient assaillis de partout. Toutes les armes de guerres en possession des terroristes étaient braquées sur eux. Les impacts de balles et les trous béants sur les murs de leur siège dénotent d’un déluge de feu des plus spectaculaires que ces gendarmes ont subi. Et avec tout cela, ils se sont sortis avec seulement deux blessés !”, a-t-il poursuivi. Les quatre terroristes abattus ont été présentés aux citoyens dès 6h 30 devant la brigade de gendarmerie. Ceux qui les ont vu, parlent de personnes habillées en anciens treillis militaires et en tenues afghanes.
A Yakouren tellement la peur et la psychose sont toujours vives, hier nos interlocuteurs tenaient à leur anonymat. “Qui sait, la situation est désormais périlleuse pour nous. Tout le monde a peur de tomber en sandwich entre les balles des militaires et celles des terroristes qui écument notre région. La présence des militaires est certes rassurante mais cela n’empêche pas les terroristes de faire leur irruption dans la ville”, diront unanimes nos interlocuteurs comme pour nous signifier la peur qui les ronge toujours. Une peur bien visible en somme sur tous les visages des citoyens de Yakouren qui ont vécu une nuit d’apocalypse un vendredi 13 comme l’on si bien dit.
Nous quittons la ville comme nous étions entré, en passant sur des barrages constitués par des éléments de l’ANP, de la garde communale et des gendarmes sans que nous soyons soumis au moindre contrôle. Peut-être que les forces de sécurité savent très bien que leurs ennemis sont dans le massif forestier dans lequel les hélicoptères de combats continuent à pilonner.
M.A.T
