Il y a une année disparaissait El Hachemi Guerouabi à l’âge de soixante-huit ans après un combat courageux et discret, contre une maladie qui l’a ravi aux siens, à ses nombreux fans et à sa passion pour le chaâbi.
Une année s’est écoulée depuis le départ de ce grand maître de la chanson chaâbi mais l’écho de sa voix résonne encore et partout, sa popularité est toujours aussi forte, ses chansons sont écoutées avec la même passion qu’elles l’étaient de son vivant.
Sa voix suave, divine et enchanteresse était devenue le symbole de tout un style, appelé « hachmaoui », une formule empruntée aux disciples de l’autre icône du genre chaâbi. Aujourd’hui disparue, El Hadj M’hamed El Anka, restés, eux, fidèles à l’école « ankaouie ».
El Hachemi Guerouabi se distinguait, en effet, par une voix toute singulière, une voix profonde, d’une rare intensité affective qui a fait de lui un chanteur au style inimitable.
C’est cette pureté de la voix qui a eu, cinquante années durant, à adoucir les âmes les plus coriaces et à bercer des générations entières de mélomanes. Car le mérite de Guerouabi est d’avoir été ce trait d’union entre les amoureux du chaâbi pur, celui du Qcid (poésie chantée) et les admirateurs du répertoire, un peu plus rythmé, que le regretté parolier et compositeur, Mahboub Bati allait mettre à la disposition de Guerouabi. Répertoire qui connaîtra un grand succès y compris parmi les puristes.
Qu’il s’agisse d’El Harraz, puisée dans la panoplie du répertoire du Qcid ou d’El Barah, chansonnette par laquelle Guerouabi allait réaliser un véritable coup de maître, le « feeling » auprès des mélomanes de différents âges produisait le même envoûtement car, à la base, la mesure était restée intacte. Incontestablement, Guerouabi aura été, l’interprète qui a le mieux développé ce registre, aux côtés de Boudjemaâ El Ankis et Amar Ezzahi, sans aucunement altérer l’âme du chaâbi. Et, le recul aidant, il est aisé de constater que le duo Guerouabi-Mahboub Bati s’était adonné à une véritable œuvre de rénovation du genre. Guerouabi avait, aussi, ce don d’enjoliver les poèmes chantés par d’autres artistes. Sa manière de restituer El Harraz, d’aller au-delà de l’interprétation, la sensibilité qu’il mettait à dire les mots, et cette communion qu’il établissait avec son public, en l’interpellant, comme dans la chanson du poète marocain Cheikh El Hadj Ben Qoreichi, est caractéristique de son style si particulier, si unique.
Un style que ses admirateurs se remémorent une année après sa mort. Une manière de revenir sur sa vie. Une manière de revisiter son oeuvre et la conforter dans la postérité. Une occasion, enfin, pour restituer le riche patrimoine d’une figure aussi populaire.
Les différentes personnalités de la culture qui l’ont connu, ainsi que ses admirateurs, éprouvaient une immense tristesse et une grande peine pour sa disparition, qui a laissé un énorme vide dans le champ musical chaâbi. Beaucoup en ont témoigné.
« Nous perdons un immense monument culturel », a déclaré la ministre de la Culture, Khalida Toumi, avec un grand regret. Chanteur très populaire aussi bien chez les jeunes que chez les personnes âgées, El Hachemi Guerouabi est considéré comme l’un des plus illustres cheikhs (maîtres) de la musique chaâbi (populaire), une sorte de blues qui a fait son apparition au cours des années 1920 dans les cafés maures de la Casbah d’Alger.
Par ailleurs, il est à rappeler, que » le cheikh « , est né le 6 janvier 1938 à El-Mouradia (sur les hauteurs d’Alger), El Hachemi Guerouabi a grandi dans le quartier populaire de Belouizdad (ex-Belcourt), où il a pu donner libre cours à ses deux passions : le football et la musique. Adolescent, il délaisse le ballon pour faire son entrée à l’Opéra d’Alger. Son parcours démarre réellement lorsqu’il est repéré par le dramaturge et ténor Mahiedine Bachtarzi qui propulse aussitôt Guerouabi sur le devant de la scène. Nous sommes en 1953, une année avant le début de l’insurrection.
Musicien doué, chanteur à la voix éraillée, El Hachemi Guerouabi avec ses divers talents artistiques a touché également à la comédie en interprétant des pièces de théâtre ainsi que des sketches aux côtés d’une pléiade d’acteurs populaires qui écumaient alors les salles d’Alger ainsi que les studios de la radio et de la télévision. Mars 1953, il sort son premier disque. Quelques années plus tard, il reconnaîtra que son passage sur les planches aura été déterminant. « Le théâtre m’a énormément aidé pour la chanson, au niveau de la diction, des intonations. Chanter du chaâbi, c’est comme chanter un conte, il faut avoir des qualités de comédien pour bien l’interpréter », révélera-t-il.
Sa voix prenante et son style unique l’ont fait excellé dans divers styles de la musique chaâbi, de la qassidat el medh (genre mystique) aux gharamiattes (poésie courtoise), en passant par les mouachahattes (textes classiques arabo-andalous datant du XVIIe et du XVIIIe siècles), Guerouabi accède à la notoriété en 1962 en chantant aux côtés du maître incontesté du genre, M’hamed El Anka. S’il fait montre d’une grande aisance dans l’interprétation des qassidates, des textes fouillés et puisés dans la tradition maghrébine – « je suis un chanteur à textes, j’aime la poésie, les chansons voulant dire quelque chose », avouera-t-il un jour -, l’homme n’était pas moins un précurseur. Grâce à sa complicité avec Mahboub Bati, un mélodiste hors pair, Guerouabi a su renouveler le chaâbi en y introduisant de nouvelles sonorités. Alger, juillet 1969 à l’époque considérée comme la Mecque des révolutionnaires du Tiers Monde, la capitale algérienne accueille le Festival culturel panafricain. El Hachemi Guerouabi profite de l’événement pour chanter El Barah (Hier). Le triomphe est immédiat auprès des jeunes, des vieux et même des femmes, une performance plutôt rare pour un genre musical réputé rétif à la gent féminine. C’est qu’en plus de ses talents musicaux, le chanteur est aussi un grand séducteur. Bel homme, Guerouabi a des airs de latin lover tant il est vrai qu’il ressemble à l’acteur italien Marcello Mastroianni, son idole. Après avoir fait l’essentiel de sa carrière en Algérie dans les années 1970 et 1980, Guerouabi est contraint à l’exil en 1995 lorsque le pays sombre dans la guerre civile. Réfugié à Paris, il n’en reste pas moins attaché à sa terre natale. En dépit d’un mal incurable, il signe son grand retour au pays le 4 juillet 2005. Dans l’enceinte du Théâtre de Verdure d’Alger, à deux pas de Soustara, son quartier bien aimé, il donne un récital de trois heures, pour le plus grand bonheur de ses admirateurs. Ce fut son dernier concert.
Enfin, l’hommage n’est pas rendu seulement à l’artiste, il s’adresse également à l’homme qui est resté profondément attaché à ses racines, à sa patrie, particulièrement à « sa » Bahdja qu’il saura dépeindre dans toute sa beauté. El Bahdja qui l’a vu naître, il y a soixante neuf ans, qu’il quittera, un moment, la mort dans l’âme, et au sein de laquelle il reviendra après des années passées en France pour mourir auprès des siens le 17 juillet de l’année écoulée.
El Hachemi Guerouabi, reste un modèle pour les jeunes chanteurs qui reprennent ses œuvres.
Bien qu’il nous ait quitté pour de bon, il sera toujours présent dans nos cœurs.
Kafia Aït Allouache