“Faire aimer la vie à l’homme”, tel est le message qu’a voulu transmettre le président de l’APC de Tizi n’Tleta, Hocine Souam, lors de la conférence-débat organisée à Aït El Hadj Ali, sous l’égide du comité de village en collaboration avec l’association Assirem et l’APC de Tizi n’Tleta, sous le thème “Les fléaux sociaux”. Cette rencontre a été donc une très bonne opportunité pour les présents de décortiquer les différents fléaux qui se bousculent aux portes de notre société.
Certains de ces fléaux ont même réussi à se faire une place de choix chez nous. Dans son intervention d’ouverture, le représentant du comité Aït El Hadj Ali dira : “On ne peut pas rester en spectateur face à ces maux qui dévastent notre société. Nous devons prendre conscience du danger réel qui nous guette, en parler est déjà bénéfique”. Il faut dire que cette région du sud de la wilaya de Tizi Ouzou ne fait pas exception en matière de fléaux, tout y est, et l’urgence d’une thérapie globale se fait ressentir sur l’ensemble du territoire de la wilaya. Cependant, il y a un phénomène qui restait vraiment étranger aux Ouadhias, qui s’est ancré le suicide. En effet, plusieurs parmi les chers enfants de la daïra des Ouadhias ont succombés à ce phénomène dévastateur qui a, déjà, sème le deuil dans une dizaine de foyers. Si les causes de cette maladie “sociétale” sont difficiles à cerner, il demeure certain que l’acte lui-même laisse des traces indélébiles au plan moral pour toute une société, l’environnement immédiat de la victime en est la première ligne.
25 interventions de la Protection civile
Le premier service concerné par le phénomène du suicide est incontestablement celui de la Protection civile. En ce sens que ces éléments sont alertés automatiquement dans les premières minutes qui suivent la tentative, dans ce cas, M. Doufène, responsable de l’unité de la Protection civile des Ouadhias, qui intervenait à l’occasion de la conférence organisée à Aït El Hadj Ali, fera remarquer “toutes les tentatives de suicides qui nous ont été signalées sont immédiatement prises en charge par nos services”. Dans ce sillage, le responsable des pompiers des Ouadhias indiquera à propos des raisons qui amènent une frange de la société à mettre un terme à son existence. “C’est un problème très complexe, un échec, rejet de soi qui se traduit par un fort désir de mourir”.
20 cas de suicide en trois ans : bilan catastrophique
Les formes de suicide, si l’on doit les cataloguer, se déclinent en trois : surdosage en consommation de psychotropes, injection de produits dangereux mais majoritairement le suicide par pendaison. Il faut dire que les chiffres fournis par le représentant de la Protection civile ont de quoi donner à réfléchir, sur trois ans (2005-2006-2007). 20 suicides ont été enregistrés en plus des dizaines de tentatives confirmées; Cela dénote parfaitement de l’état d’esprit d’une société en proie à une crise multi-dimensionnelle. Ce qui est, bien évidemment inquiétant c’est cette tendance à l’augmentation du nombre de cas signalés. En 2005, il y a eu 6 cas de suicide confirmés, en 2006 l’on a enregistré 6 autres cas, jusqu’en juillet 2007, les services de la Protection civile ont dénombré 8 cas confirmés et une tentative. “Aujourd’hui, nous tirons la sonnette d’alarme, nous souhaitons la collaboration de tout le monde afin de minimiser ces cas qui nous donnent des sueurs froides”, conclut M. Doufène.
Il faut une prise de conscience collective
Rencontré dans un café au centre-ville des Ouadhias, Mourad, un jeune de 27 ans, a bien voulu nous donner son avis, sirotant un café et regardant d’un air maussade. “Vous voyez bien, à 27 ans, mon quotidien se résume à prendre place dans ce café, à longueur de journée, il n’y a rien qui puisse occuper les jeunes. Nous sommes là à attendre, nous ne savons guère ce que nous attendons mais on le fait car au fond de chacun de nous habite une petite lueur d’espoir, un visa, un mariage avec une binationale ou une affaire qui tomberait de nulle part”. Effectivement, l’avis de Mourad est révélateur de l’état d’esprit d’une jeunesse qui souffre d’un marasme social grandissant. Dans cette contrée du sud de la wilaya de Tizi Ouzou. Le chômage est au summum en terme de statistiques ; un taux très élevé induit par une rareté de l’activité industrielle, “mais là c’est tout un autre chapitre”, dira Smaïl, commerçant au centre-ville des Ouadhias. Ainsi, le phénomène du suicide, qui a endeuillé des dizaines, voire des centaines de familles, doit être interprété mais surtout traité, loin de toute prétention réductrice au fatalisme, comme l’expression d’un désarroi, d’un désespoir, un grand malaise sociétal, une société traversée par d’inexplicables paradoxes. Sur un plan personnel, les causes de ce phénomène dévastateur qui peut, à long terme, donner lieu à une dislocation de la société, sont multiples. Cependant, c’est généralement un déséquilibre du système d’organisation mental qui peut en être la cause. Dans ce sens, les spécialistes citent particulièrement la grande intolérance à la frustration. Le psyché peut être sujet à des influences multiples, des problèmes internes liés à des conflits intrapsychiques mais également des problèmes externes. Par ailleurs, vivre isolé des groupes, une solitude et un repli sur soi conduit à une crise qui peut mener la victime à commettre l’irréparable. Pour avoir une idée précise sur l’état d’esprit, a priori, des victimes, nous avons été orientés vers un jeune, la trentaine, qui a bien voulu, malgré quelques réticences, nous parler de lui (il a préféré garder l’anonymat), de la tentative de mettre fin à ses jours. “J’ai 32 ans et la vie ne m’a jamais épargné; Je perd mon père à l’âge de 23 ans, laissant derrière une famille de cinq membres à nourrir. Au début, je me suis débrouillé tant bien que mal en travaillant comme manœuvre au village. Au fil des années, je me sentais éreinté, dégoûté de cette pression qui devenait très lourde pour moi. Une petite dispute avec mon frère m’a fait basculer sur le chemin du désespoir. J’ai craqué en un laps de temps, je ne voyais rien que la fin qui s’approchait. J’ai pris un bon paquet de médicaments, le reste vous le connaissez”. Parler de ces moments terribles est très difficile. Ne dit-on pas que le souvenir d’une douleur est toujours douloureux ; Cependant, notre ami tient à ajouter : “Avec du recul, je pense que c’est vraiment ridicule de réfléchir de la sorte. Je conseille à tous les jeunes d’éviter de penser à ça, au contraire, il faut résister à cette tentation, relever les défis”.
Pour en finir avec ces réflexes négatifs, les parties concernées, à savoir autorité, société civile et familles doivent assumer leurs responsabilités. “Le message de cette journée de sensibilisation est que l’espoir est permis, l’avenir ne s’offre pas, il se construit. Ensemble, construisons notre avenir”, dira Hocine Souam, P/APC de Tizi n’Tleta. Quant au maire des Aït Bouadou, M. Mouloudj, il souhaite une implication effective des pouvoirs publics. “J’interpelle les autorités sur les souffrances de la jeunesse, il est inadmissible que l’Etat soit riche, surtout avec ce prix du baril à 77 dollars, avec un peuple pauvre”.
M. Didane, président de l’USMO, une association sportive aux Ouadhias, nous dira : “Ce qu’il faut pour que ça change, c’est que chacun ose, à sa façon, agir pour mettre fin à nos comportements individualistes qui brisent l’envie de vivre ensemble, mais la fraternité comme valeur et devoir de citoyen a été oublié, il faut donc en faire une finalité pour inciter chacun d’entre nous à être disponible pour aider, c’est-à-dire ne pas seulement vivre aux côtés des autres, mais avec eux, ce qui est bien différent”.
Ainsi, l’amélioration du cadre de vie, essentiellement pour la masse juvénile, peut être une solution afin d’endiguer ces fléaux sociaux, cela passerait par une prise de conscience déjà par les autorités puis par la société pour annoncer un processus de prise en charge sérieuse, continuité des masses, s’inscrire sur une dynamique d’ensemble où s’impliqueront dans tous les acteurs. Il faut niveler vers le haut.
Quant aux jeunes, vivre le présent entièrement est déjà salvateur, “le monde est inquiet qu’on ne pense presque jamais à la vie présente et à l’instant où l’on vit, mais à celui où l’on vivra. De sorte qu’on est toujours en état de vivre à l’avenir et jamais de vivre maintenant”, disait un jour Blaise Pascal.
A bon entendeur…
A. Z.
