Interpellé, comme la majorité des groupes de musique kabyle, Tagrawla revient dans un nouvel épisode mélodieux avec toujours autant d’énergie et une voix aussi limpide, pleine de sensualité pour dire les maux de la société. Les stars de la chanson kabyle moderne nous proposent un nouvel album où le mot « rafistolage et bricolage n’ont pas le droit de citer ». L’album de Tagrawla ne trouve pas d’éditeurs pour naître parmi les mélomanes qui attendent la renaissance d’un autre genre, apprécié des années durant.
Le temps, plutôt maussade n’a entamé ni le moral des éléments du groupe ni celui de leur inébranlable volonté d’apporter un nouveau souffle à la chanson kabyle. Le rendez-vous fixé par nos illustres artistes pour redonner espoir à notre chanson ne sera que honorablement passionnant. Le groupe Tagrawla, créé dans les années 70 à l’occasion de l’émergence d’autres jeunes chanteurs, la rencontre avait réuni les passions des deux mélomanes: le chant, l’animation et les arts de la vie. Personnalités bien différentes et pourtant complémentaires qui composent un duo exclusivement monumental mêlant engagement, humour et langue des montagnes. Un travail bien fait, ne taraudant pas l’oreille de l’auditeur, où on peut distinguer, Anwi wigi, D-imazighen des Iles Canaries. Une chanson qui retrace le long parcours des berbères à travers leur émouvante histoire et leur exil de toujours. Interprétée dans le parler des berbères des Iles Canaries sous un air nouveau et adéquat et une autre en hommage I Yicawiyen (les Chaouis) des Aurès interprétée, elle aussi en Chaoui.
Velaid, l’animateur aux yeux rieurs et complices, est un homme d’une grande simplicité qui vient nous ouvrir la porte de son âme profondément imprégnée de belles mélodies. On est loin du tape-à-l’œil des stars éphémères. Tagrawla ou la « Révolution » par couplets et notes de musique est un maître, pas des vedettes intermittentes. Tout respire en eux un savoir-faire consistant, qui se moque des modes et de l’air du temps. A un âge approprié, malgré quelques petits tracas de la vie, Tagrawla n’a rien d’un estropié. Au contraire, leur verbe est sûr, posé, pertinent. Ils impressionnent par leur détachement et leur modestie. Tagrawla doute, comme seule la sagesse l’impose. Ils ont toujours vécu loin des flashs de photographies. Défiant le vacarme de la musique rythmée de la saison estivale, le groupe Tagrawla ne trouve toujours pas d’éditeurs pour leur produit. S’agit-il là d’un refus du genre où le profit pécuniaire prime sur tout ?
Nous ressentons tous la brise du vent chatouillant dont notre légendaire sagesse s’est baignée tant de siècles. On croirait et, c’est juste, que le passé ne nous quitte pas, vécu, mais omniprésent en nous mêmes, il y’a des signes qui restent longtemps à errer parmi nous. Le groupe Tagrawla est tel un remord que nous croyons arrimé au passé taraudant nos esprits et le voilà revenir pour effacer en nous les regrets de l’avoir perdu de vue un jour sur nos scènes artistiques. Voici les poèmes émouvants, voici les musiques berceuses du groupe Tagrawla qui nous reviennent cette fois avec bonheur. Après tant de temps, ils ont gardé leur fraîcheur, leur beauté, leur voix et leur verbe tranchant.
La même âme kabyle, enchanteresse, candide, assoiffée de liberté et d’évolution, qui, en fin de parcours, ne se réalise que par “tagrawla”. Les chants de Tagrawla est la voix d’une terre et d’un ciel, celle d’une culture vivante, vouée aux gémonies par un ordre négateur et inique. Tagrawla chante à peine pour elle-même, elle chante surtout pour endormir d’une part et de l’autre pour raviver, continuellement une douleur plus douce qu’elle est sans remède, la douleur de ne pas rester figé dans les moments de joie que, jadis, nous avons partagé avec Velaid et Yiddir. On peut même arguer d’une particulière vitalité dans ce domaine, qui se manifeste par la variété beaucoup plus grande des productions et des genres qui atteindra, majestueusement un public plus large. Tagrawla a remis au goût du jour certains de leurs anciennes chansons telles que Oumerri et la force de l’engagement contre l’ennemi d’hier et celui d’aujourd’hui.
Les deux personnages à la fois antagoniques et complémentaires font la personnalité de Tagrawla.
Le nouvel album de Tagrawla nous aide à retrouver à travers ce kaléidoscope, des paysages réels d’un pays innocent, traîné dans la crasse de l’histoire par la bêtise humaine.
Ils ne font pas appel aux multitudes des formes, mais à une succincte suite d’images et de symboles. Aucun lien absolu entre les images, aucun terme de comparaison.
Mais les circonstances changent les mots éculés d’une vie et d’une dignité humaine et telle une formule prosaïque naturellement, la poésie de Tagrawla, que nous attendons passionnément, s’élève au mode liturgique. Un hommage a été rendu, encore une fois, au défunt Mohand Said Ouvelaid, avec sa superbe musique de la chanson Avehri Siwdass-en Sslam, où Tagrawla témoigne de son profond respect à tous les kabyles Anda Llan (où ils vivent). D’autres chansons anthologiques avec Am-Dawigh Uddi d ttament (je t’apporterai du beurre et du miel), avec une musique douce comme le miel et un texte qui passe comme le beurre, Tagrawla promet de nous délecter avec leur nouvel album. Fidèles à eux-mêmes, Igrawliwen, avec Ih Ya yalqarn Aacrin, (Oh au vingtième siècle) où Velaid et Yiddir, s’insurgent contre la « loi du plus fort » imposée de part le monde. Des Goulags à l’Indochine, en passant par la chute du communisme et le tiers monde vers l’apartheid, Tagrawla ne connaît point de frontières à sa « révolution de toujours ».
Tagrawla qui révolutionne tout sur son passage, pourfende tous les maux de la société et l’ordre imposé de force par les dictats de tout bord.
Ayaw Anzzur Yemma Gouraya, ou les artistes en quête de rédemption, de pèlerinage et de foi auprès des saints de Kabylie passent par Yemma Gouraya à Sidi Balloua.
Les amoureux du rythme auront de quoi faire des déhanchés et vibrer aux rythmes « envoûtants » de Tamaghra B-uzyin.
Même avec les nombreuses défaites qui accablent la JSK, Tagrawla n’a pas hésité à rendre un vibrant hommage aux Canaris avec la chanson la JSK joue, la JSK gagnera.
Nerraz Nettwarza Nezga Nettmarza, Azref Yetwanza, tran tiziri, A Yemma Azzizen Ur Ttru du maestro Farid Ali, sont autant de belles chansons que Tagrawla n’a pas lésiné pour nous les faire entendre avec autant de joie et de plaisir. « Un travail subtil de l’égarement illuminera les plus humbles choses.”
Mohamed Mouloudj