La République des lettres s’incline devant deux manuscrits de Stendhal

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Ils sont exposés telles des reliques au ministère de la Culture: deux manuscrits de Stendhal ont fait leur entrée mercredi dans les collections publiques, à l’immense soulagement des stendhaliens qui craignaient leur dispersion à l’étranger.Un manuscrit annoté et largement remanié de la célébrissime « Chartreuse de Parme », et six cahiers du « Journal » de Stendhal, ont enfin pu être vus à loisir par les premiers privilégiés. Ces documents dormaient depuis des décennies dans l’extraordinaire collection privée de Pierre Bérès, et l’annonce de la dispersion aux enchères de ce fonds avait provoqué à la fois panique et mobilisation chez les amoureux de l’oeuvre de Stendhal. Le spectre d’un départ à l’étranger a finalement été écarté: Pierre Bérès, 93 ans, a fait don le 19 juin de la « Chartreuse » à l’Etat. Le lendemain, le gouvernement préemptait les 570 pages du « Journal », à l’issue d’enchères au cours desquelles elles avaient été adjugées pour 800.000 _ hors frais. Un air de triomphe flottait donc dans le Salon des Maréchaux du ministère de la Culture, où les manuscrits étaient exposés sous verre, un peu à la manière de trophées. « Laissez moi mesurer à votre sourire l’ampleur de votre contentement », glisse le ministre Renaud Donnedieu de Vabres à un de ses invités. « C’est un jour d’allegresse pour nous », confie Jean-Noël Jeanneney, le président de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Plus encore que pour le « Journal », la communauté des stendhaliens n’avait d’yeux que pour la « Chartreuse ». Il n’existe que trois manuscrits, annotés de la main de l’auteur, de cette version du chef d’oeuvre de la littérature, telle que Stendhal l’avait remaniée après des réflexions de Balzac. Un des manuscrits est déjà parti aux Etats-Unis, et le départ d’un deuxième aurait tenu du sacrilège. « Il fallait sauver quelque chose qui relève de la religion », assure loin des micros officiels Michel Crouzet, professeur émérite de littérature à l’Université de la Sorbonne et spécialiste éminent de Stendhal. Pour lui, le manuscrit témoigne du génie de Stendhal, mais aussi de la modestie d’un homme soucieux de toujours reprendre son oeuvre. « Tout le monde pensait que la Chartreuse était parfaite, elle l’était, mais lui ne le pensait pas », dit M. Crouzet. L’Académicien Jean Dutourd se penche à son tour sur les pages jaunies, il confie que lui aussi « a été très stendhalien », au point de sentir peser sur lui le poids quasi paternel de l’illustre romancier. Pierre Bergé, lui, raconte que même si sa société organisait les enchères fatidiques à Drouot, il avait « le coeur serré à l’idée que la Chartreuse ou le Journal puisse s’évader de France », au point d’oeuvrer à son acquisition par l’Etat. Lui aussi a rencontré Stendhal, confie-t-il: il avait alors 20 ans, et il accompagnait Jean Giono allant à Grenoble consulter le « Journal » de l’écrivain dans sa ville natale. Le manuscrit de la « Chartreuse » sera présenté prochainement au public à la BNF. Les six cahiers rejoindront pour leur part les 16.000 feuillets du même « Journal » déjà conservés à la Bibliothèque municipale de Grenoble.

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