Avec les grandes chaleurs qui commencent à régner, les appréhensions de la population, des agents forestiers et des services de la Protection civile refont surface. Il est vrai que la forte pluviométrie du printemps (mars-avril) a pu assurer un bon taux d’humidité dans les tréfonds du couvert végétal, phénomène qui peut réduire quelque peu l’inflammabilité du matériel ligneux. Cependant, cette même humidité est à l’origine d’une croissance excessive du sous-bois, strate herbacée à partir de laquelle ont lieu généralement les départs de feu. Ayant trop souffert de la décennie noire, les massifs forestiers de la wilaya de Bouira ont vu les grandes futaies, jadis productrice de bois d’œuvre et d’industrie, partir en fumée. La régénération se fait d’une manière lente et problématique à la fois, et ce, en raison du danger qui menace les jeunes semis du fait des pâturages en forêts et de la possibilité de nouveaux incendies. Car, une fois brûlés les jeunes plants, aucune possibilité ne s’offre au peuplement de pouvoir se régénérer.
Le patrimoine forestier de la wilaya de Bouira, estimé à quelque 112 000, hectares, subit les aléas naturels liés à la géographie et à la climatologie du milieu dans lequel il évolue, et des aléas anthropiques liés à l’activité des populations locales. Les facteurs naturels qui conditionnent le milieu forestier sont essentiellement : le climat semi-aride qui domine la majorité des massifs de la wilaya et qui se caractérise par une période sèche très longue dans l’année et une pluviométrie moyenne allant de 250 mm à 500 mm/an, la forte pente qui gêne le dispositif d’intervention dans la lutte contre les incendies et la prédominance des essences résineuses (Pin d’Alep) facilement inflammables.
Les facteurs sociaux et humains qui concourent à la dégradation de la forêt sont, entre autres : la forte présence humaine autour et à l’intérieur des massifs forestiers, la pauvreté et le chômage qui conduisent les habitants à commettre des délits forestiers pour pouvoir subvenir à leurs besoins primaires (coupe et vente illicites de bois, fabrication de charbon pour les rôtisseries à partir du chêne vert, défrichements pour l’extension des parcelles de céréales, surpâturage,…), la présence des carrières d’extraction de pierre et des stations de concassage à l’intérieur des massifs, les constructions illicites d’immeubles à usage d’habitation ou d’élevage, les incendies liés aux activités agricoles, aux actes criminels et à la lutte anti-terroriste,…
Ces différents facteurs, dans une combinaison qui se retrouve dans la majorité des régions de la wilaya, ont fragilisé davantage l’écosystème forestier et réduit l’étendue du couvert végétal. Des niches écologiques propres au singe magot et à certains rapaces de montagne ont été fortement perturbées. Des sources dans lesquelles s’abreuvaient des perdrix, des lapins de garenne et d’autres animaux se sont taries au point de remettre en cause la vie faunistique en forêt. Cependant, l’interdiction de la chasse et l’exode des populations rurales depuis l’avènement de l’insécurité dans l’arrière-pays montagneux ont conduit à la prolifération du sanglier qui a fini par investir la périphérie des villages et les zones sub-urbaines.
Le rôle de la police forestière, échu à la Conservation des forêts de Bouira, voit sa marge de manœuvre rognée au fil des années, et cela pour plusieurs raisons : d’abord, la loi qui régit le secteur des forêts (loi 84-12) est dépassée par les événements au vu de son caractère non dissuasif. Les amendes et les sanctions qui y sont prévues contre les délinquants sont trop faibles par rapport à la nature des dégâts auxquels elles s’appliquent. De ce fait, la récidive ou la consécration du fait accompli sont souvent la règle. Ensuite, cette mission a été longtemps entravée par la situation sécuritaire. Après la survenue des premiers actes terroristes dans la wilaya, les agents forestiers ont été désarmés au même titre que les citoyens. A cela s’ajoute la détérioration de certaines infrastructures comme les maisons forestières situées à l’intérieur même des massifs et qui hébergeaient les gardes forestiers chargés de la protection des massifs contre toutes sortes de délits.
La Conservation des forêts prépare le Plan de lutte contre les incendies de forêts, appelé “Plan Feu’’, à partir du mois de mars de chaque année. Le document, qui en est issu, est adressé à plusieurs institutions et structures (wilaya, Protection civile, APC, daïras, Sonelgaz, Travaux Publics,…) pour que chacune d’entre-elles initie les actions de prévention dépendant de son secteur selon les servitudes qui lui reviennent : débroussaillement au-dessous des lignes électriques et aux abords immédiats des routes avant le 30 juin de chaque année,…Des comités de coordination de commune, de daïra et de wilaya (COC, COD COW) sont ensuite installés pour la coordination des opérations de lutte contre les incendies.
Des actions de sensibilisation sont initiées à l’endroit des populations, des écoliers et des institutions à l’occasion de la Journée nationale de l’arbre (25 octobre) et de la Journée mondiale de l’arbre (21 mars).
Au cours de la période estivale, la Conservation recrute des ouvriers temporaires pour renforcer la lutte anti-incendie. Les moyens matériels mobilisés par la Conservation dans la lutte contre les feux de forêts sont : deux camions-citernes, les véhicules 4X4 des quatre circonscriptions dont certains sont équipés de petites citernes, et l’outillage traditionnel (pelles, pioches, haches, serpes…).
Lors des grands incendies, comme ceux de 1994, qui ont dévoré pas moins de 4 000 ha, le wali déclenche le plan ORSEC qui peut faire intervenir plusieurs wilayas limitrophes. Ces wilayas mobilisent principalement les unités de la Protection civile qui sont sous leur autorité.
Les programmes sectoriels et les actions de développement rural ont consacré une partie de leurs budgets aux travaux sylvicoles de façon à bien conduire la croissance des peuplements régénérés. Une croissance maîtrisée de la régénération avec, en complément, des actions de débroussaillement, participe à la prévention des incendies de forêts. À cela s’ajoutent l’aménagement des tranchées pare-feu, prévues dans le cadre du PSD de la Conservation, et le programme d’aménagement de pistes mis en œuvre au cours des derniers mois. D’autres actions de reconstitution du patrimoine (reboisement, fixations de berges) sont prévues soit dans les PSD annuels soit, pour la partie Sud de la wilaya, par le programme Hauts-Plateaux. Ce dernier programme prévoit également la construction de postes de vigie (postes de surveillance optique), le renforcement des structures d’hébergement des agents forestiers affectés à la surveillance des massifs (construction de cinq brigades totalisant 20 logements et de cinq sièges de district accompagnés d’un logement par siège).
Les agents de terrain attendent impatiemment le retour au moyen de communication qui a fait ses preuves des décennies durant dans ce genre d’activité : il s’agit de la radio. Le réseau a été mis à l’arrêt au milieu des années 90 lorsque la situation sécuritaire commençait à se dégrader sérieusement.
Amar Naït Messaoud
