Un village, une histoire et… un avenir

Partager

La Kabylie est riche. Elle ne l’est pas avec ses richesses qui se limitent à quelques oliviers et quelques figuiers mais surtout grâce à son histoire. Sinon, son développement est encore au stade primitif. Il n’y a pas un village qui n’a pas de carrés de martyrs ou des lieux vénérés par les habitants. Notre escale commence au pont dit Tamda à quelque sept kilomètres du chef-lieu Oued-Kasri en allant vers Draâ-El-Mizan par la RN25. Pour se rendre jusqu’au village de Tafoughalt, sujet de notre reportage, il faudra emprunter une route dont le tracé est le même que celui ouvert pour les camions militaires au lendemain de l’installation du cap Baffer-juste quelques années après le premier novembre, date du déclenchement de cette guerre qui allait durer sept ans et demi. En fait, un lieu sinistre qui rappelle à cette population ces années de géhenne” Heureusement, cette route vient d’être revêtue en tapis, sinon tous les fourgons doivent marquer un arrêt en raison de cette pente raide”, nous dit à l’oreille un villageois ayant pris place près de la portière. Effectivement, le fourgon que nous avons pris peine à “grimper” pour ne pas dire monter cette pente à laquelle sauf les véhicules puissants sont habitués.Tafoughalt village de la commune d’Ait Yahia Moussa. Aujourd’hui, elle est peuplée de plus de cinq mille habitants. Il faut tout de même présenter ce village martyre. Tafoughalt était le bastion de la Révolution, étant enclavé durant la guerre, il était un havre de paix jusqu’à l’installation des postes militaires et de la SAS ( Section administrative spéciale), outil de contrôle mis en place par l’armée coloniale. Entourée de plusieurs maquis dont Sidi-Ali Bounab ou encore Boumhani pour ne citer que ces deux forêts, cette localité s’était adjugée le titre du “Berceau de la Révolution”. Elle avait été longtemps une zone de sécurité pour les premiers noyaux du mouvement national. Les premier activistes de Tafoughalt avaient pris les armes le premier novembre 1954. Certains jeunes du village avaient même participé aux actions menées simultanément dans la nuit du 31 octobre à Blidan à Draâ-El-Mizan et à Tizi-Gheniff.

Le premier martyr étais tombé au champ d’honneur, vingt-sept jours après la première balle. Il s’agissait du chahid Mohamed Mechai ( selon le témoignage de son frère Ali), a peine âgé de vingt et un ans à Assif N’Chahour alors que plus de deux mille militaires appuyés par cinq hélicoptères étaient à ses trousses après qu’il fut dénoncé par un harki, D’autres compagnons avec lesquels il avait mis l’étincelle armes à la main à l’image des deux chahids très connus dont tout le secteur en l’occurrence Djebarra Lounès et Medour Rabah à quelques encablures du lieu où Mohamed avait été criblé de balles, et ce au mois de mars de l’année 1955. Aujourd’hui, plus de cent-soixante martyrs reposent dans le carré du village qui attend d’ailleurs un meilleur entretien. Après un quart d’heure de route, le chauffeur nous déposa après avoir encaissé vingt-cinq dinars par personne. “Vous êtes à la Place d’Italie”, nous souffle notre accompagnateur. Personne ne peut nous expliquer cette signification,” En tout cas, ce sont les soldats français qui lui avaient donné ce nom”, ajoute notre interlocuteur,” ils l’imaginaient à la place d’un lieu chic qui leur rappelait leurs premières amours d’adolescents sur les bancs bien alignés”, enchaîne notre guide, faisant illusion à ces jeunes Français appelés, forcés à défendre une terre qui n’était pas la leur une personne, un mombre de l’association” Tasuta n’Tfughlt” en d’autre termes” génération culturelle” se présente pour nous donner une version sur cette place mythique “ pour nous, ce n’est pas la place d’Italie, mais c’est plutôt seâch n’Zaouia”,dit-il avant d’expliquer cette dénomination qui nous renvoie aux dix-neuvième siècle.

L’histoire des dix-neuf zaouias ou dix-neuf cannes

“Cette histoire remonte à un temps lointain. Elle a eu lieu entre un gendre et son beau-père, on nous a racontés qu’une nuit alors qu’il faisait très noir, un animal nocturne avait laissé tomber un petit caillou sur le toit d’une maison. La femme ayant peur, est sortie pour aller alerter son père qui habitait en contre-bas. Le père arrivée avec son arme.Sans apercevoir.

Son petit-fils qui faisait lui aussi le guet, tira après avoir entendu une respiration non loin de lui. Alors ce qui devait arriver arriva. Ce fait imprévisible plongea les deux familles dans une guerre rangée”, nous raconte-t-il au début. Et de poursuivre son récit : “On aurait dénombré plus de vingt morts dans les deux camps. Et cette tuerie ne se serait pas arrêter si les veuves des personnes décédées n’avaient pas pensé aller voir un homme pieux du village, le sage et vénéré Sidi Ahmed Boumhala”. Ce dernier, ajoute notre interlocuteur, réussit à réunir au lieudit “Ikharvène” dix-huit patriarches issus de dix-huit zaouias d’Iflissen. Ensemble, c’est-à-dire, lui et les autres purent au terme d’un marathon de neuf jours d’interventions réconcilier les deux familles en conflit. Ils plantèrent leurs cannes enfin dix-neuf arbrisseaux. La paix fut rétablie. Le comité de village Tadukli veut réaliser en lieu et place de ce lieu une stèle où sera gravée cette histoire de paix retrouvée, en quatre langues : arabe, français, tamazight et anglaise. “Elle restera à jamais une belle leçon en matière de fraternité pour les générations futures”, dira Arezki Tifaoui.

Après avoir revisité cette histoire, notre guide nous accompagne à la découverte d’un autre lieu, ô combien symbolique du mausolée d’Idazouzène.

Au moment de notre arrivée, les villageois étaient sur les lieux en train de nettoyer ce mausolée abandonné depuis des années.

Entre réalité et légende

Courbés en deux, les volontaires s’activaient à remettre en état tout ce qui est dégradé. Un vieux, quatre-vingt ans passés, nous demande notre identité que nous avions déclinée bien avant l’intervention de notre interlocuteur. Il il se met à égrener une légende qui intéresserait plus d’un. “Ecoutez mon fils et rapportez-le sur votre journal”, dit-il. Et de raconter : “Idarouazène était la tribu la plus puissante et la mieux organisée dans toute la région. On nous a raconté qu’ils avaient une armée de quatre-vingt soldats à l’époque. Quarante d’entre-eux portaient des barbes et quarante autres la rasaient. C’était pour induire en erreur l’ennemi dans le cas où ils seraient attaqués. Ceux qui la rasaient étaient jeunes. C’étaient eux qui affrontaient l’ennemi tandis que les autres prenaient à revers l’ennemi.

C’était une stratégie qui avait toujours réussi. Mais un jour, le vent qui était en leur défaveur avait aidé leurs ennemis qui les désarmèrent en un tour de main. Cette bataille eut lieu sous les yeux de leur chef. Ce dernier qui était tout près d’un troupeau de chèvres courut à leur secours. Il saisit les cornes des bêtes.

Les cornes se transformèrent en épées. Et c’était grâce à la bénédiction de ce patriarche que le carnage été évité. Depuis cette histoire, Idarouazène décrétèrent le bouc interdit à la consommation, de fait il est sacré pour eux”. En terminant cette légende, il nous conduit au mausolée en voie de dégradation avancée et nous montre un trou par où passaient les femmes stériles.

Fini les stérilités

“On raconte, et je l’ai vérifié moi-même. Cette petite fenêtre que vous voyez a éloigné la stérilité chez toutes les femmes. Si une femme était féconde, elle y passerait quelle que soit la corpulence de son corps fusse-t-elle obèse, mais si elle est stérile, elle ne sera pas acceptée même si elle n’est pas plus grossequ’un fil”, ajoute-t-il avec assurance.

Le camp militaire Baffer, un lieu sinistre

Après avoir revisité toutes ces petites légendes, nos guides nous replongent dans une époque pas si lointaine dont tout est vérifiable. Escale : carré des martyrs “Bataille du 15 mars 1955”. Pas moins de cent soixante tombes sont là, témoins d’un village qui s’est tant sacrifié pour libérer le pays du joug colonial. A la lecture des plaques tombales, on devine l’âge de ces pionniers. Ils sont tombés armes à la main à la fleur d’âge. Ils ont écrit une belle page de l’histoire, mais ils attendent une meilleure considération car on a éprouvé d’énormes difficultés à lire leurs noms. Pas loin de ce lieu hautement symbolique, sur une colline qu’on appelle Vouziri la plus culminante du village où d’ailleurs avait été réalisé le réservoir d’eau, subsiste encore quelques pierres de ce sinistre camp militaire Baffer. “C’est ici que les gens des villages qui ne dénonçaient pas les moudjahidine étaient torturés. Combien de fois avions-nous entendu leurs cris arrachés sous les charges électriques et autres procédés utilisés par l’armée de Bigeard”, nous raconte un autre citoyen. D’autres citoyens sont intervenus pour parler des grandes batailles telles celles de Sidi Boubekeur, d’Ikharvène, d’Aït Salem ou encore la célèbre bataille du 10 janvier 1959. L’opération Jumelle allait être déclenchée. Le village entièrement entouré de fils barbelés pour confiner les populations à l’intérieur et couper les vivres aux maquisards. Selon les récits des uns et des autres, peu de personnes conduites à ce haut lieu sinistre étaient revenues, c’est pour dire que les atrocités subies étaient des plus extrêmes. Le commandant Si Moh Oulhadj Boulaouche, Salemkour, Djemaâ, les frères Salemkour, Djebarra Lounès, Medour Rabah, Mamache Ahmed, Belaouche Ahmed n’Amer et son fils, Mechai Si Saïd et son fils et tous les autres que nous ne pouvons pas citer ici ont donné du fil à retordre à la quatrième puissance militaire de l’époque. Au lendemain de l’indépendance, le village comptait d’autres qui ont survécu à la guerre : Rekam Hocine Boubeghlia Si Djemaâ, Hantatache Boubeghla décédés au début des années 2000. Le dernier a avoir tiré sa révérence est le capitaine El Hadj Si Mohamed Boulaouche, connu pour avoir participé même à la guerre des six jours au Proche-Orient entre Israël et les Arabes. D’autres sont toujours en vie : Boulaouche Ali, Dmiche Kaci, Hamitouche Amar et les autres…

Le comité de village Tadukli rempart pour le développement

Après avoir visité tous ces lieux rappelant tantôt l’orgueil du village tantôt la géhenne coloniale, nous avons pris attache avec le comité du village. Tadukli est sa dénomination. Sa création est considérée aux yeux de Tafoughaltais somme étant un acte salvateur pour rattraper tout le retard cumulé depuis des années. “Bien que le problème le plus épineux vécu par notre population à savoir l’alimentation en eau potable soit réglé en grande partie, nous allons œuvrer de manière continue à aller de l’avant afin de réaliser notre programme d’action”, nous a dit en premier lieu le président du comité qui fédère toutes les djemaâs du village au nombre de neuf. “Beaucoup reste à faire. Il faudra que tous les citoyens aient des accès carrossables à leurs domiciles. Cette commodité manque pour beaucoup. Nos jeunes doivent avoir les possibilités de développer leurs activités”, a-t-il enchaîné avant de dire à ce sujet, que le comité a exigé des autorités communales un quota de locaux commerciaux pour cette frange de la société. “Initiative ayant déjà abouti par le choix de terrain”, a-t-il précisé.

Pour le comité de Tafoughalt, la condition sine qua non pour tout autre développement est l’ouverture d’une route par Amalou Ouzidhoudh jusqu’au chef-lieu de commune Aït Yahia Moussa. Au cours de notre discussion autour d’une limonade fraîche dans le café le plus ancien du village, Sadek Bendali car c’est de lui qu’il s’agit nous a exposé tous les autres problèmes restés en suspens. En dépit des lenteurs, notre interlocuteur estime qu’avec sagesse et abnégation de tous les membres du comité tout va être réglé. Tafoughalt que nous avons visité attend toujours d’autres projets qui vont la faire sortir de son ornière.

Virée au sein de l’association Tasuta, génération culture

Son président un sexagénaire, Arezki Tifaoui, ne se fatigue jamais. Il nous souhaite la bienvenue puis commence à énumérer les objectifs pour lesquels il milite avec les jeunes. “Il faudra jeter des ponts entre les générations. Que chacun essaie de comprendre l’autre”. pense-t-il. Car pour lui c’est une condition essentielle pour faire avancer les choses. Tasuta ne pense pas seulement aux jeunes. Elle le fait pour tous. D’ailleurs, si par exemple, les enfants ont eu une petite part en visitant le parc zoologique de Ben Aknoun, M. Tifaoui va programmer une autre excursion pour les personnes du troisième âge. C’est au sein du foyer pour jeunes que des activités sont programmées. A l’écouter parler, ce président a des ambitions futures à même de créer une certaine complicité entre tous les âges. Chose qui manque beaucoup dans de nombreux villages où le conflit de générations est un risque majeur pour toute chose.

Quarante -cinq ans aprèsl’indépendance…

Au lendemain de l’indépendance, Tafoughalt n’avait qu’une salle de classe dans laquelle était regroupés plus de cinquante élèves tous âges confondu. Aujourd’hui, le village a bénéficié de trois écoles primaires dont l’une en construction et d’un collège, d’un bureau postal opérationnel grâce aux démarches de Tadukli, d’une unité de soins, et d’une annexe administrative. Le manque est surtout en ce qui concerne les infrastructures sportives. Les jeunes du village attendent toujours la réalisation d’une aire de jeu. Ledit comité œuvre pour permettre aux adolescents de suivre la formation professionnelle en leur accordant une annexe. Avant de regagner Draâ El Mizan, un autre accompagnateur nous montre toutes les oliveraies ravagées par les incendies de ces dernières années. “L’entretien de la piste agricole que vous voyez est une urgence. Il faudrait aussi relancer l’idée de réaliser une piste qui ceinturerait tout le village. C’est pour préserver les oliviers”, nous lance en “dégringolant” la route de Voulhadj jusqu’à la rivière qui longe la RN25. En tout cas, cette randonnée dans ce village qui ne désarme pas nous a plongé dans l’histoire et la légende. Certes, cela constitue la mémoire collective, mais on ne peut tout de même clore cette visite sans évoquer l’espoir des jeunes. “Nous saluons tout ce que fait ce comité pour améliorer le cadre de vie de toute la population. Mais sincèrement, notre rêve est de partir”, telles sont les paroles arrachées à un jeune adossé au tombeau de Sidi Ahmed Boumhala, sans rien ajouter de plus. Laissant derrière nous ce village, nous pensons à un autre reportage sur une ville ou un village de Kabylie, même si la différence entre eux n’est pas très grande.

Amar Ouramdane

Partager