Le roman est un genre littéraire des plus épanouis. Il offre à ses lecteurs une large panoplie de choix entre différentes catégories aussi riches et passionnantes les unes que les autres. Le roman historique figure parmi les plus attrayantes et les plus lues.
Pour les férus d’histoire, il est beaucoup plus appréciable d’aborder l’histoire ancienne ou contemporaine à travers la structure fluide et éthérée du roman et non celle des textes académiques ou des recherches rigides. Les personnages du roman deviennent donc non des héros et des rois presque déshumanisés et étrangers à notre vie quotidienne mais ils se donnent à nos yeux, par la magie de la plume, comme étant de simples mortels, ayant des passions, des faiblesses, des soucis banals, des rêves et des craintes comme tout le monde.
Ainsi, préfère-t-on lire l’histoire de Napoléon à travers une forme romancée plutôt que de lire des témoignages et des récits de guerre secs et sans aucun intérêt littéraire. De même qu’on favorise les romans qui narrent l’histoire des Ottomans que les gros volumes racontant les conquêtes et les réalisations de chaque Empereur avec ce style exact et sans passion propre aux chercheurs et aux professeurs d’université.
Donc, au lieu de prendre une place dans une salle de conférences, pendant un cours d’histoire, et écouter la narration presque mathématique d’un professeur dont le seul souci est de transmettre les grandes lignes d’une époque donnée de l’Histoire, on a la chance, grâce au roman historique, de visiter, par nous-même, cette époque, de voir les détails anodins et le quotidien humain à l’intérieur d’un harem, d’une cour royale, d’un divan ou d’une guerre. On a même la précieuse opportunité de nous mettre dans la peau des empereurs, des rois et des conquérants qui nous paraissaient, jusque là, des personnages irréels, inhumains et invraisemblables.
Le roman historique tente, donc, non sans audace, de franchir le rideau de fer qui nous sépare du passé, de l’histoire des anciens et de la personnalité des héros d’antan. Il vise, avant tout, à démystifier l’histoire et lui rendre cet aspect humain et familier dont les récits et les ouvrages officiels l’ont privé. Il nous guide à travers les époques et les dynasties et nous raconte les amours, les déceptions, les faiblesses et les défaites de ces rois et héros, tel un témoin ayant vécu au cœur de leur intimité et possédant toujours assez de lucidité et de mémoire pour retracer devant nos yeux émerveillés les traits de cette époque lointaine dont nous nous croyions à jamais éloignés.
Les Mille et une Nuits était le plus fabuleux et le plus consulté des ouvrages historique en raison, justement, de cette démystification extraordinaire de l’histoire. Les khalifes et les héros arabes de l’époque Abbasside étaient à portée de cœur et de regard pour nous permettre une autre vision sur cette époque, totalement différente de celle imposée par les manuels d’histoire.
Pour les auteurs contemporains, Amine Maalouf est le plus important romancier arabe, d’expression française, à nous ouvrir cette porte magique sur les ténèbres de l’histoire et ce, en plaçant ses personnage, dans un contexte historique quelconque, nous permettant, de la sorte, de vivre d’une manière intense les événements de l’époque à travers l’expression lyrique et l’appréhension humanisée de ses antagonistes. Mais bien plus brillamment que lui, les auteurs américains et français ont pu réaliser cette extraordinaire équation qui permet de transmettre fidèlement l’histoire et de « romancer » ce message grâce à un style raffiné, à une imagination fondée sur des faits véridiques et à une merveilleuse capacité psychanalytique.
Barbara Chasse-Riboud est l’une des auteurs américains les plus importants à avoir réussi ce pari. Son roman monumental, La Grande Sultane en est une preuve rayonnante. Ce roman qui raconte la vie d’une Sultane ottomane, épouse du sultan Abdelhamid et mère du sultan Mahmud II (connu pour avoir éliminé les Janissaires), n’a pas négligé le contexte historique du règne secret de cette femme (à l’origine : esclave française offerte en cadeau par les pirates algériens au grand Sultan ottoman). Il nous est donc permis d’apprécier la vie intime du sultan à travers son harem, l’inimitable hiérarchie au cœur de son gouvernement, les guerres et les conquêtes de l’empire, ses défaites, ses traditions et, surtout, la description remarquablement minutieuse de la vie, les coutumes et le tissage urbain et humain de la plus belle ville du monde, la perle scintillante de l’Orient : Istanbul.
Hormis Barbara Chasse-Riboud, nombreux archéologues et amoureux de l’histoire nous offrent une chance inestimable de voyager à travers le temps pour atteindre et vivre à l’intérieur de ce monde tellement différent et éloigné du nôtre.
L’approche littéraire de l’histoire, représentée royalement par le roman historique, sera pour toujours le vaisseau favori des lecteurs pour un périple savoureux et plein de surprises qui ne tient pas compte des frontières et de la cruelle séparation chronologique.
Cela étant dit, on observe avec désolation que ce genre littéraire et quasiment inexistant en Algérie en dépit de la richesse de notre passé. Est-ce par manque de sources, de références ou de volonté ? Ou bien, est-ce parce que la plupart de nos écrivains sont toujours (et le resteront pour longtemps) coincés dans cette fameuse décennie noire, qui n’est pas l’époque la plus riche de notre histoire, dont ils ne cessent de raconter les angoisses et les souffrances ? Cela est évident. Mais la question s’impose, impériale : Jusqu’à quand notre histoire restera condensée et, injustement, restreinte à ces dix années de terreur ?
Sarah Haidar
