Les allées torrides du souk

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Ainsi, la problématique d’un modèle économique d’un système qui puisse favoriser les ménages est à juste titre au centre des enjeux actuels : comment concilier un système mondial porté sur le gain en profit pour les grandes puissances avec une organisation sociale tracée sur les valeurs humaines d’égalité mais surtout de justice sociale ? Pour comprendre aisément ces questionnements, nous allons aborder à travers une simple projection des faits, la problématique du marché en Algérie. Le marché, au sens économique, se définit comme le lieu public en plein air ou couvert où l’on vend et/ou achète des marchandises. C’est justement “lieu public” qui est devenu la hantise des pères de familles considérés à juste titre comme les premières “victimes” de la chaîne. Ainsi, en amont ou en aval, le processus de libéralisation subite des marchés été vécue comme une tragédie du fait d’une culture collectiviste qui s’est ancrée dans les mentalités de la société algérienne. Celle-ci étant un élément dans un ensemble mondial ne pouvait rester à l’écart de cette nouvelle dynamique “globalisante”, un système nouveau, qui ne laisse guère le choix aux nations. L’intégration n’est pas choisie, elle est subie.

En parlant du marché comme socle de base autour duquel s’articule le libéralisme comme système économique dominant une seule notion s’impose, celle de l’économie de marché. Ce système se caractérise par l’absence de régulation surtout celle qui viendrait de l’Etat, c’est un système économique dans lequel l’équilibre permanent entre l’offre et la demande est assuré par les mécanismes naturels. Officiellement donc, l’Algérie a déjà adopté cette démarche consistant à “libérer” le marché. Les conséquences des mesures d’accompagnement à cette logique, se font ressentir pour les ménages contraints à libérer “le portefeuille” car les dépenses seront indéniablement augmentées, mais surtout et c’est l’essentiel, le citoyen algérien est invité à se libérer du joug de la culture collective pour épouser une culture, tendance, qui l’éloignera de l’assistanat et qui le responsabilisera vis-à-vis du marché.

Le citoyen de la ville des Ouadhias, à l’instar de l’ensemble des Algériens a subi ces transformations. Le marché est devenu le lieu qu’ils appréhendent le plus, ils tentent de comprendre, loin des concepts et autres doctrines, les raisons d’une flambée impressionnante des prix. Le simple citoyen ne veut, absolument pas parler d’enjeux économiques, du nouvel ordre mondial ou autre chose, il essaye de comprendre. On lui explique le principe de l’auto-régulation, il ne saisit pas, pour lui, l’Etat doit toujours intervenir pour stabiliser le marché, il finit par rejeter l’économie de marché car pour lui, il en est la cause !

Ô combien de fois avons-nous entendu cette explication “c’est l’offre et la demande”, c’est ainsi que certains ont trouvé l’escapade, une fugue qui justifie, à elle seule, la montée vertigineuse des prix sur les marchés. C’est dire qu’encore une fois nous risquons de passer à côté, comme nous l’avons fait d’ailleurs pour le socialisme, l’économie de marché n’est point celle du bazar, où tout est permis. C’est justement cette mauvaise interprétation des principes du libéralisme qui induit des comportements contraires aux principes d’éthique et de respect d’autrui.

Le jeu du citoyen avec le marché est assimilable à la gavotte, cette danse qui se joue à deux temps, le citoyen qui joue la prudence en faisant les comptes minutieux, des sous déboursés pour la satisfaction d’un besoin donné, un citoyen qui fait le marché avec une arrière-pensée qui est celle de minimiser au mieux ses dépenses en raison d’un pouvoir d’achat très limité, et le marché, c’est-à-dire le vendeur qui aspire (naturellement) à vendre plus et donc à gagner plus, c’est le principe même du capitalisme qu’est la maximialiation du profit. Ainsi, le marché chez nous, est justement l’illustration parfaite d’une organisation où les acteurs sont, tel qu’imaginé par Marx, en perpétuelle lutte en raison de la divergence d’intérêts entre les éléments qui la forme. C’est dire que le citoyen n’est plus insensible aux changements d’un marché turbulent, il n’affiche plus d’indolence en raison de la détérioration de son pouvoir d’achat. Ces dernières réactions relatives à la flambée des prix sont un signe révélateur de la difficulté de gérer cette période de transition de notre économie, la levée de boucliers qui a suivi est une preuve irréfutable que le citoyen refuse le fait accompli, et nul ne peut garantir que sa voix est entendue. Une chose est palpable et vérifiable d’ailleurs en effectuant une simple virée dans un marché, quelconque ; la flambée des prix a été un facteur inhibiteur pour la consommation, c’est un élément qui a découragé le citoyen en qui le sentiment de méfiance est plus que jamais ancré. Prenant le cas de la région des Ouadhias (c’est un échantillon qui peut représenter la majorité) comment faire confiance dans un marché qui affiche des prix la veille et qui les double le lendemain, le sac de semoule, produit de base pour les Algériens, est cédé à 1000 DA, l’huile franchit le seuil des 500 DA, le lait est passé durant 24h (tenez-vous bien, de 150 DA à 210 DA. Que dire de la pomme de terre qui affiche, avec nonchalance le chiffre 60 DA, et dans les meilleurs cas 55 DA “je ne comprends plus rien dans ce pays ; au moment où tous les indices de notre économie sont au vert avec un prix du baril frolant les 80 dollars, et des dizaines de milliards de dollars de réserves de change, nous demeurons un peuple pauvre, nous sommes à la merci des détaillants qui décident à notre place, nous ne sommes plus maîtres de nos cuisines, c’est eux qui fixent le menu puisque nous choisissons le moins cher des produits” ironise Ahmed la quarantaine passée et rencontré au “marché” du centre-ville des Ouadhias. Il faut dire que ce lieu connu pour être une destination habituelle des chef de famille donne l’impression de se transformer en musée, les citoyens ne cessent de se mouvoir dans les allées du souk, ils épient d’un air presque maussade les plaquettes affichants les prix unitaires, Dda Mouh qui observait avec nous la scène fera remarquer “dans la tête de chacun d’eux, il y’a tout un montage financier qui se fait, chacun essaye, à sa façon de combiner pour offrir à la famille de quoi tenir, parfois ce n’est pas évident en raison d’une marge de manœuvre très réduite”. Nous avons voulu avoir l’avis de l’autre partie à savoir le commerçant, à cet effet, nous avons demandé à Ahcène, ce jeune (28 ans) exerçait depuis cinq ans à Aït Abdelmoumène, pourquoi une telle flambée, il nous dira que lui ne constitue que l’ultime élément de la chaîne qui part de l’agriculteur au grossiste pour arriver à nous, la question du prix est vraiment insidieuse, à notre niveau du moins, car la marchandise arrive sur nos étals avec un prix relativement cher, moi aussi je suis victime de cet état de fait car d’un côté je dois m’approvisionner à partir du marché du demi gros de Tadmaït avec un coût exorbitant, mais en face ça ne suit pas car le citoyen est obligé à réduire sensiblement ses dépenses, note Ahcène. Interrogé, toutefois sur la marge béneficiaire et la manière dont il détermine ses prix, il nous dira froidement “ça dépend”, de quoi ? Notre question ne trouvera jamais de reponse, c’est la ligne rouge à ne pas dépasser… apparemment. En tout cas le citoyen demeure, comme nous l’avons souligné au départ, pris entre le marteau et l’enclume. L’obligation de satisfaire ses besoins et la phénomène de montée des prix, l’arrivée de la période des fêtes n’est pas faite pour arranger ses affaires que dire du mois de Ramadhan qui pointe à l’horizon, qui veut se mettre à la place du pauvre citoyen ? Si les observateurs jugent à l’état actuel, l’inflation qui touche le marché (déséquilibre économique caractérisé par une hausse générale des prix, comme une inflation rampante (elle demeure faible), d’aucun ne craint son évolution, vers une inflation galopante dont les conséquences ne seront que néfastes pour les ménages : “Il y a des signes d’apaisements, à l’image de l’importation de plus de 30 000 tonnes de pommes de terre, nous souhaitons voir une implication plus apparente de l’Etat, quitte à revenir vers un type de régulation il faut socialiser l’économie de marché, un marché qui puisse garantir les principes d’égalité, et de justice sociale” conclu Dda Mouh… Oui il est peut-être temps d’y penser.

A. Z.

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