« Ces disc-jockeys ressemblent à des boites de nuit. Il n’y a aucune once de nos traditions et de notre patrimoine, au demeurant menacés par cette musique intruse », regrette-t-il. Pour la petite histoire, Ath Larbaâ comme Ath Mimoum, ont constitué des havres pour les Ottomans. Les vestiges d’une mosquée datant de cette époque témoignent du passage des Turcs. La seule trace qui demeure » rescapée » est la porte principale de cette mosquée, d’ailleurs évoquée par le colonel Robin dans Notes et documents concernant l’insurrection de 1856-1857 de la Grande Kabylie. le 25 juin 1857, ce haut lieu de culte a été brûlé par les colons.
Taourirt Mimoun cultive sa mémoire
14h, zéro, zéro ! On quitte Ath Larbaâ pour Ath Mimoun. Au pied d’un escalier qui monte vert la tombe de L’mulud Nat Maâmer, sont griffonnés des mots en kabyle par les élèves de l’école des Beaux-Arts de Azazga « Ghas Teggid-agh,Teggid –aghed », lit-on sur cette fresque murale.( Même parti, tu nous a légué). Un portait de Dda L’mulud et de Abane Ramdane nous refusent l’amnésie. Nous rompons le silence des morts. L’auteur du Sommeil du juste repose auprès de son père Muhand Aârab, lui également érudit et Amin du village. On gravit un raidillon abrupt sous un soleil mordant à cette heure où tous le monde profite d’un petit somme. Da Mohamed nous fait découvrir joyeusement Taâsssat, la place publique du village. Dans le roman de La Colline oubliée, Mammeri décrit Taâssat comme une petite Taâricht qu’un groupe d’amis, Mokrane, Azi et d’autres, se sont promis de n’ouvrir la porte qu’en présence de toute la bande mais toujours, quelqu’un manquait à l’appel. Et Taâssat n’a jamais été ouverte. Elle est resté à jamais fermée. Au dessous d’une petite chambre trône majestueusement l’effigie géante de trois symboles qui continue de faire la notoriété d’Ath Yenni. Mouloud Mammeri, Idir ambassadeur de la chanson kabyle et l’islamologue Mohamed Arkoun. ils sont engoncés, dans la pure tradition kabyle, dans leurs burnous d’une blancheur immaculée. « Dda L’Mulud racontait que lorsque quelqu’un faisait tomber un pan de son burnous lors une réunion à Tajmaât sous l’effet de la colère, il devait se retirer le temps de reprendre ses esprits. Cela dénote beaucoup de sagesse chez nos aïeux », indique Dda Mohamed. Il croit savoir que le Sénat romain s’est beaucoup inspiré des mœurs et des traditions de la Kabylie. Un peu dur d’oreilles, l’Hadj Mohamed, ami d’enfance de Mouloud Mammeri, voue un respect profond à son ancien compagnon. Il dévale les escaliers, bon œil, bon pied. Sa mémoire défie encore le temps. « Dda L’mulud était un homme d’une grande bonté, plein d’humilité. Il parlait avec n’importe qui. Il donnait de l’importance même aux petits. Le jour de son enterrement à Tawrirt Mimun, son village natal, il y avait un monde fou. Des milliers de personne étaient venues l’accompagner à sa dernière demeure. », se rappelle-t-il. Et d’ajouter avec fierté « qu’il était un grand professeur. Il excellait dans le français et le kabyle. Pas une femme ne l’a enfanté ».
Dda L’Mulud : un destin prémonitoire
Le vieux » sage » marque un moment de répit pour puiser encore dans sa mémoire. Cette fois, il nous raconte une anecdote lourde de sens et prémonitoire de ce que fut le destin du petit L’Mulud. « Un jour, une personne munie d’un fusil est venu voir hadj Salam, père de Mouloud, armurier de son état. Mouloud était à cette époque un petit garçon de quatre ans. La personne venu demande à Hadj Salam qui était ce petit garçon et au père de répondre que c’était son fils. Alors cet homme lui dit qu’il deviendra comme son père.Ce dernier intervient pour dire que son fils ne sera pas comme lui, en souhaitant que Mouloud sera comme les enfants de sa génération », raconte l’ami de Dda L’mulud avec des accents nostalgiques. En effet, le vœu du père a emprunté un chemin prémonitoire. De son côté, Hadj Youcef, un autre ami et compagnon de Mouloud se rappelle avoir l’habitude de prendre place ici à Taâssast au pied d’une maison, devenue de nos jours un petit magasin pour alimentation générale. « On faisait ensemble des ziyarate (visites). On parlait de tout », se contente-t-il de dire. D’un moment à l’autre Hadj Mohamed intervient sans crier gare. Une idée le taraude. Un besoin nécessaire de parler de son ami. « Il n’y a pas un homme de son genre sauf Dieu (que Dieu me pardonne) », dit-il sans fioritures. Dda Mohamed témoigne de la simplicité extrême de Dda L’mulud. « Des Français et des Anglais étaient venus au village voir Dda L’mulud. A cette époque, il était en train de faire des travaux dans sa maison. Ces touristes l’ont trouvé en tenue de paysan conduisant une mule », précise -t-il. Une preuve de plus que l’enfant terrible de Tawrirt Mimun vivait en symbiose avec ses semblables. Simple et humble. Celui-ci nous fait savoir que l’anthropologue que fut Mammeri était le professeur du défunt poète Djamel Amrani au lycée El Mokrani de Ben Aknoun à Alger. Il soutient que Mammeri a été harcelé et bousculé pour son combat pour la cause berbère dans un clin d’œil aux attaques malveillantes de Mostefa Lacheref et Mohand Cherif Sahli, repprochant à Mouloud son manque de nationalisme dans son roman La Colline oubliée. Des reproches qui ont éludé le volet esthétique et littéraire parfait du roman. Dda Mohamed révèle que Dda L’mulud était proche de Sid Hadj Ali Ou Abdelkrim auquel il dédiait des poèmes en kabyle. « Il n’a pas l’esprit de contrariété « ,indique-t-il avant de nous faire savoir que Ali Mammeri, un proche parent de Mouloud Mammeri, auteur d’une nouvelle Asqif N’Tmana, est venu ici au village la veille de notre passage. « Sa contribution aurait été meilleure », renchérit -t-il. Notre frustration est incommensurable. Nous maudissons la guigne. Qu’à cela ne tienne ! Le vieux sage dévoile la sobriété de son ami. « Il portait de simples habits : un chapeau de paille, un pantalon kabyle et une petite canne noueuse « , se souvient-t-il. Et à Hadj Youcef de paraphraser le père de la Traversée : « Yella Yiwen Ulac-it Yella, Yella Wayed, Yella Ulac-it ». Comme pour dire qu’il a beaucoup légué malgré sa disparition tragique. Quoique inhabitée la demeure de Mouloud Mammeri, non loin de Taâssast, est empreinte de beaucoup de mémoire et d’histoire.
Ath Yenni : havre de paix
Zahir, la trentaine révolue, n’hésite pas à parler d’impasse dans laquelle stagne la Kabylie depuis les évènements douloureux de 2001. « Les repères sont faussés. A Tizi Ouzou, on n’entend plus que du rai. Des gens dans le Pouvoir tentent de nous faire oublier notre patrimoine séculaire. C’est grave de voir des officiels comme Ouyahia se recueillir sur la tombe de Guermah. On nous tue et on vient nous exprimer de la compassion. On aurait aimer voir les Mammeri et Matoub ressuscités », déplore-t-il avec un chauvinisme non feint. Il estime que la plate-forme d’El Kseur n’a été satisfaite que dans ses points techniques alors que tout ceux qui relèvent de l’aspect politique ont été relégués aux calendes grecques. Autrefois revendicatrice, la chanson kabyle, pour Zahir, est dévitalisée.
Dépouillé emême de sa quintessence elle n’est que reprises éhontés et voix électroniques sans aucun lien commun avec les chants patriotiques et engagés d’hier. Da Mohamed regrette, pour sa part, la désinformation de certains organes de presse, qui en rajoutent souvent des couches.
Des contre-vérités qui, selon lui, font souvent peur aux touristes. » Ath Yenni est un havre de paix, non pas un antre pour les terroristes comme on tente sournoisement de le faire croire”, s’accordent-ils à dire. Par ailleurs, Ne pas évoquer d’autres personnes serait faire œuvre d’une offense irrémissible. Ath Yenni est aussi tamurt du regretté chanteur Brahim Izri, Djouher Ouksel Oumhis, romancière et Arezki Metref, journaliste, romancier et réalisateur. Il va sans dire que Ath Yenni,Paroles d’argent est le dernier opus de l’enfant de Agouni Ahemd.
Un documentaire signé de main de maître et qui met la colline d’hier et d’aujourd’hui en confrontation harmonieuse loin de tout bellicisme entre générations. Grâce à tous ses enfants, Ath Yenni a bien inscrit son nom au Panthéon de l’érudition et de la création artistique. L’astre solaire se prosterne vers l’Ouest. Les cimes des montagnes commencent à s’embraser. Le crépuscule est onirique…
Hocine Lamriben