Des villages oubliés

Partager

Pour y arriver dans cette contrée oubliée, nous empruntâmes un chemin entièrement délabré qui a attendu son bitumage depuis longtemps. La dernière localité de la commune de Tizi Ghennif nous dit au revoir avec son hôtel Tala au village Thala Mokrane. Premier village de cette contrée, qui est le sujet de notre reportage est Bezazoua. Des enfants dont les yeux sont encore pleins de sommeil nous proposent les figues fraîches qu’ils ont cueillies vraisemblance à l’aube. De belles figues mielleuses. Les habitants de ce village donnent encore beaucoup d’importance pour ces arbres qui constituent leur richesse. Malheureusement, note au passage notre accompagnateur, les agriculteurs de cette terre n’ont bénéficié d’aucun programme en matière de la promotion de leurs figueraies qui disparaissent au fil des ans. “Ils n’entendent parler ni du PNDA ni encore moins du FNDRA, ces pauvres malheureux. Ils se contentent de cultiver leurs terres avec les moyens du bord”, ajoute-t-il. Tout en roulant sur ce chemin caillouteux pourtant classé au rang de chemin intercommunal, notre véhicule clapotait sous l’état de celui-ci. “Initialement, il est prévu pour subir des travaux, mais on ne sait pas pourquoi. Pourtant, les deux autres tranches jusqu’à Aouaoudha, ont été recouvertes en bicouche. Même là-bas, les travaux ne sont pas terminés. Il manque les accotements. Ces derniers ont été à l’origine d’accidents dont un mortel après que le véhicule s’est reversé sur le talus. L’autre risque est l’affaissement de cette route à Aouaoudha. Les autorités se sont déplacées sur les lieux, rien n’a été fait depuis. On n’a peur que cette route ne sont barrée l’hiver prochain”, maugrée entre ses dents notre guide. Pour se rendre jusqu’à Tizi Gheniff, une ville qui se trouve à quelques jets de pierre de là, ces montagnards doivent faire tout un détour en allant jusqu’à Draâ El Mizan. En somme en dépendant plus.

Eau potable : l’âne au secours des citoyens

Chez nous, on l’appelle le serviteur. Il en est un parce qu’il accomplit toutes les tâches ménagères des plus difficiles. Plus loin, on voit des cohortes d’enfants juchés sur des mulets. “Ils sont en vacances”, ironise un citoyen. Ces bambins s’approvisionnent à partir des sources des villages. Interrogé, ce membre du comité de village nous fait un état des plus alarmants de l’alimentation en eau potable de cette partie située à l’extrême sud de la commune de Draâ El Mizan. “Je m’engage devant tout le monde. Il n’y a ni réseau, ni bornes ni fontaines ni encore moins de conduites ici”. Avant de nous citer les villages dont il parle, c’est-à-dire Bezazaoua, Ouled El Mechta et El Koudia. “L’eau a coulé une seule fois à Aouaoudha, puis plus rien. On ne connait pas les raisons”, ajoute-t-il avec assurance. A ce sujet les élus locaux nous ont fait savoir que l’extension du réseau était prévue. Les habitants de ces villages paient trop pour s’en approvisionner. Ils ne savent plus à qui s’adresser. Notre interlocuteur intervient pour dire que ces villages sont seulement sur la carte de la commune. En approchant des citoyens à qui nous avons décliné notre profession, tout le monde voulait lancer son cri d’alarme. “Nous sommes les damnés de cette terre. Il n’y a rien ici. En plus du chômage qui touche plus de 80% de notre population, nous n’avons rien d’autre ni maison de jeunes ni aire de jeux. Rien”, tels est le résumé de ce jeune qui ne quitte même pas son village. Le deuxième intervenant ne va pas par les trente six chemins : “Les autorités nous ont oubliés. C’est notre sort”. Pour tout ce versant de plus de trois mille habitants, une seule unité de soins existe. Les habitants ont depuis longtemps demandé un médecin au moins une fois par semain, en vain.

Eclairage public : ce sont encore les ténèbres

Arrivé à la place du village à proximité de l’école primaire de Tazrout et du CEM, notre cher ami nous montre trois lampadaires. “Seules ces trois lampes éclairent cette vaste contrée”, dit-il, ajoutant : “il y a eu des promesses. En vain”. Pourtant, cette région est la seule de toute la commune où l’insécurité règne en maître. Les habitants de ces villages attendent des opérations de ce genre. “La nuit, on ne peut pas sortir même pour jeter un coup d’œil sur ces figuiers. C’est l’obscurité la plus totale”, note un propriétaire d’une figueraie. Juste à côté, notre accompagnateur nous montre le Collège. “Ce collège a été incendié, puis reconstruit de nouveau. Certes, il a réduit les déplacements des collégiens jusqu’à Draâ El Mizan, mais beaucoup reste à faire encore”.

Pas de cantine scolaire et ramassage scolaire insuffisant

L’établissement en question a bénéficié d’un projet de cantine de type deux cents rations. Jusqu’au jour de notre visite, rien n’est encore entamé. Par ricochet, les jeunes collégiens vont encore souffrir d’autres années. “Il faudra venir un jour d’hiver. Vous allez voir tous ces enfants en train de grignoter un quignon de pain avec un verre de limonade pour les plus aisés. Alors que les autres se contentent de quelques figues sèches”, enchaîne notre guide. Quant au ramassage scolaire, il est très insuffisant. “Seul un microbus de la Solidarité nationale est réservé pour les filles qui poursuivent leurs études à Draâ El Mizan. En revanche, les garçons doivent quotidiennent prendre les clandestins. De nombreux lycéens n’ont pu aller jusqu’au terme de leurs études”, note un parent d’élève qui s’est joint à notre discussion.

Tout en continuant notre périple, notre guide égrène toute les autres petites misères de ses concitoyens. “Toute cette vaste contrée n’a pas bénéficié d’un programme d’assainissement. Ils n’ont que les fosses septiques”, affirma-t-il.

Tazrout Aïn Laghdir, Sidi Aïssa et Kdadacha : des villages fantômes

De loin, nous vîmes des maisons en ruines. Croyant à des vestiges du passé, notre interlocuteur s’arrêta pour nous dire que ce sont des villages abandonnés par leurs occupants depuis l’avènement du terrorisme. Portes défoncées, murs noircis, persiennes arrachées; tel est le décor sinistre auquel nous avons eu droit. Plusieurs familles ont pris la fuite laissant derrière elles terres et biens. “Ils sont persécutés. Ils ont choisi d’aller chercher leur sécurité ailleurs”, nous dit-il à propos des citoyens des villages de Tazrout Aïn Laghdir, de Tazrout Sidi Aïssa et de Tazrout Kdadcha. Après avoir approché les quelques rescapés de cet exode, nous avons appris que les plus nantis ont acheté des logements à Draâ El Mizan, alors que les plus pauvres ont préféré dresser des taudis dans plusieurs lotissements de la ville. D’autres se sont installés à Aomar et à Kadiria. “On ne peut pas rester ici. Nous avions trop peur. Beaucoup sont menacés. Il fallait partir” ! a répondu l’un d’eux, aujourd’hui résidant à la Nouvelle-ville de Draâ El Mizan. Bien que les autorités aient réalisé des opérations dans ces villages, tel l’assainissement ou l’ouverture de pistes, ces citoyens ne veulent plus parler de retour. “Long est notre chemin du retour”, continue à dire cet autre citoyen ayant trouvé la quiétude ailleurs. Alors que nous avons terminé notre virée dans cette contrée où il n’est pas facile de vivre, nous redescendons vers la ville de Draâ El Mizan. Arrivés au niveau de l’hôpital Krim-Belkacem, nous aperçûmes des habitations de fortune. Au départ, nous crûmes qu’il s’agissait des nomades qui s’étaient installés pour quelques jours. Notre guide attira notre attention en nous disant à l’oreille que ce sont des gens descendus des villages abandonnés. Des masures en roseaux, d’autres en parpaing meublent ce décor. Des câbles électriques traversent le ciel de ce nouveau bidonville. Nous avons appris que les occupants de ce dernier ont fui leur village de peur des représailles mais aussi des conditions précaires qu’ils vivent dans leurs villages respectifs. Un autres cas à gérer. Naissance d’un autre bidonville.

Notre interlocuteur nous dira à la fin que les citoyens des villages oubliés interpellent les hautes autorités du pays afin d’intervenir pour résoudre leurs problèmes. “Toutes nos démarches n’ont pas abouti.Nous sommes oubliés. La rentrée s’annonce d’ores et déjà explosive plutôt mourir que de subir”, a conclu un membre du comité de village.

Amar Ouramdane

Partager