La ceinture de l’Ogresse

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Par Ahcène Belarbi

l Comment « défaire » ce titre ?

Si à l’évidence il évoque un conte, la comparaison s’arrête à cette seule apparence. Du moins concernant le merveilleux. Le conte de Mimouni ne tient ni d’une légende, ni d’une imagination vagabonde : c’est la genèse d’une déstructuration sociale préméditée. La boucle n’est pas bouclée : la ceinture monstrueuse continue impitoyablement son œuvre d’étouffement.

Publié en 1990, ce livre regroupe sept nouvelles dont le contenu, mélange d’allégorie et de fiction lucide, témoigne de la vision prémonitoire de l’auteur sur le vécu désastreux qui caractérise l’Algérie d’aujourd’hui. C’est dire si rien n’échappait au regard et à la conscience élevée de Mimouni. Dans l’Algérie des années 80, l’incurie des pouvoirs publics, la récession économique latente, la dégradation du niveau de vie, l’arbitraire, la confiscation des libertés fondamentales, bref, tous ces facteurs qui, fatalement, concourent à l’explosion sociale d’octobre 88, n’auront pas été une crue endiguée : les solutions tant politiques qu’économiques, espérées par le peuple, n’ayant pas été apportées par un pouvoir mystificateur, les conséquences néfastes constituent la dure réalité d’aujourd’hui.

Fidèle à sa ligne d’écrivain réaliste, Mimouni n’aura pas été seulement le témoin de son temps, à l’image de Zola ou de Balzac pour la France du 19ème siècle. Plus que cela, son écriture préfigure, dans l’avenir, le pendant de l’actualité vécue. Dans ces textes où la dérision côtoie l’amertume, l’auteur décortique les tares d’une administration algérienne, source de tous les malheurs du pays. La bureaucratie à outrance, la gestion catastrophique des biens de l’Etat constituent la toile de fond de La ceinture de l’Ogresse, où des personnages se meuvent et vivent à contre-courant de leurs aspirations, de leur vocation. Car soumis à des pratiques délétères d’un système politique soucieux que de sa pérennité. Ici, la conscience professionnelle, le savoir-faire, la compétence, la rigueur dans le travail sont sujets à représailles de la part de la hiérarchie. La liberté d’entreprendre, le droit de réclamer, ou même d’exister en tant que soi, c’est de l’anti-nationalisme. L’incurie et la coercition sont le mode de gouvernance et de gestion institué. Il faut fermer les yeux et suivre le cours de la dérive pour être bien vu d’en haut… Le cours de la dérive, Mimouni l’a dénoncé au lieu de le suivre comme certains écrivains – et intellectuels, en général – complaisants l’ont fait, et le font encore.

Lui qui disait que « la liberté pour un écrivain n’est pas négociable » a démontré qu’il était un écrivain libre. Sa plume frondeuse, si elle est acerbe envers le pouvoir et ses feudataires, c’est parce qu’il aimait profondément son pays. Il souffrait de le voir pris en otage entre un extrémisme politique nauséabond et un fondamentalisme religieux dévastateur.

A noter que La ceinture de l’Ogresse a eu le prix de l’Académie française en 1991.

A. B.

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