L’Algérie a initié en 2005 une législation plus rigoureuse inhérente aux catastrophes naturelles et aux risques majeurs. Ce qui était naguère un fatras de lois et instructions dispersées dans le temps et sur plusieurs documents a été synthétisé et renforcé par la loi de 2005 entrant dans le cadre du développement durable que le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement a soumise au débat de l’APN au cours du mois de novembre 2004. Ce corpus législatif est censé servir et protéger la communauté tout entière dans l’ensemble de ses activités économiques, domestiques et industrielles. Elle tend aussi à réduire les coûts économiques liés aux dysfonctionnements et dérèglements des processus et dispositifs industriels et à réduire les dépenses de prise en charge d’éventuels pandémies pouvant affecter les populations ou les cheptels.
Au cours du printemps dernier, plusieurs wilayas du pays ont procédé à des simulations d’intervention en cas d’attaque de la grippe aviaire. Les services de la Protection civile, de la Direction de la santé, de l’administration des Forêts et de l’Agriculture, en plus des APC, ont été mobilisés, à cette occasion, à mettre en branle le dispositif d’intervention en cas d’attaque du virus H5N1 sur des populations de volailles. Le dicton dit si bien que “gérer, c’est prévoir’’, et dans ce cas précis, la prévision se traduit en système de prévention. Partout dans le monde, les coûts économiques (matérialisés en devis) prennent désormais en compte les impondérables liés aux risques sécuritaires, sanitaires, industriels et naturels. Mieux, les banques qui financent les projets ne mobilisent les crédits qu’après avoir jaugé des différents aléas qui pèsent sur eux. De même, les compagnies d’assurances modulent les niveaux de garantie et les prestations de remboursement en fonction des risques auxquels sont exposés les personnes et les objets assurés (projets, marchandises, immeubles, unités industrielles, personnel des ateliers…). Pour tout dire, c’est d’une culture de la gestion des risques et des assurances qu’il s’agit ici, culture qui, dans notre pays, commence à peine à pénétrer les structures administratives, les entreprises et les foyers.
A l’épreuve des aléas
L’Algérie, instruite par une série de calamités liées à sa géographie physique et à la gestion approximative de son économie, ne peut pas se permettre de continuer à gérer anarchiquement et dans la précipitation la survenue de catastrophes au prix de vies humaines et d’infrastructures économiques qui auraient pu être sauvées avec un minimum d’organisation des méthodes d’intervention. La loi définit le risque majeur comme étant “une menace permanente du fait de catastrophes naturelles ou d’activités humaines liées au progrès technologiques et à l’usage accidentel qui pourrait être fait de certaines matières”. Dorénavant, l’installation d’unités industrielles seront tributaires des études d’impact sur l’environnement comme cela se fait à travers tous les pays du monde. En outre, il est fait obligation aux industriels, aux agriculteurs et aux particuliers exerçant certaines activités spécifiques de contracter des assurances contre les catastrophes.
Où en sont les règles de prévention et les mécanismes d’intervention mis jusqu’à présent en Algérie ? Certains exemples, récents ou lointains, nous montrent que la préparation des pouvoirs publics et de la société aux éventuelles calamités naturelles ou industrielles est des plus aléatoires. Dans la plupart des cas, c’est carrément la navigation à vue. L’accident du complexe GNL de Skikda en 2004, qui a causé la mort d’une quarantaine de travailleurs et des pertes matérielles dépassant un milliard de dollars, est à méditer dans le sens où des avertissements ont été donnés, selon des syndicalistes, par des employés bien avant la survenue de la catastrophe. Mais, tels des cris de Cassandre, ils n’ont pas été entendus. C’est que les mécanismes de veille et de surveillance technologiques n’ont pas fonctionnés si tant est qu’ils aient été préalablement programmés et installés. De même, la polémique soulevée il y a quelques années de cela par le crash de l’avion d’Air Algérie à Tamanrasset n’a fait qu’ajouter un peu plus à la confusion sur les explications techniques concernant la panne d’un des réacteurs de l’aéronef.
Outre ces accidents circonscrits dans un espace déterminé, il y en a qui prennent des proportions plus dramatiques. C’est la cas des inondations de Bab El Oued en novembre 2001 qui ont constitué un drame pour toute une ville et une épreuve pour la Nation. Au cataclysme de la nature, se sont greffés les ‘’erreurs’’ et les lacunes de la prévention. Les bulletins météorologiques dits d’alerte émis par l’ONM et annonçant des pluies exceptionnelles sur le Centre du pays n’ont pas été pris en compte par les autorités concernées. Au moment où les premiers cortèges de travailleurs se rendant sur les lieux de leur travail ont emprunté le boulevard Frais-Vallon, les masses de boue les entraînèrent — dans les bus et dans les voitures particulières — vers le marché du Triolet où ils furent ensevelis sous les laves de terre. Certains corps ont été jetés carrément dans la mer. Il n’était pas encore 8 h du matin. La Radio El Bahdja, que beaucoup d’automobilistes et même des conducteurs de bus écoutaient en ce moment-là n’a pas soufflé un mot sur la catastrophe qui commençait à faire ses premières victimes. Une intervention de ce média public aurait mis en garde et dissuadé beaucoup de gens d’aller s’aventurer sur ce boulevard en cette sinistre matinée de samedi. L’information de proximité, assurant utilement le service public ne fait pas encore partie de notre culture. Il se trouve que la plupart des victimes ont trouvé la mort à l’extérieur de leurs domiciles. C’est dire que l’information diligente et bien véhiculée peut éviter au moins une partie des pertes humaines. L’anarchie dans la distribution des aides humanitaires- ayant fait le bonheur de gens sans scrupules- a encore ajouté un peu plus d’amertume au drame des survivants abrités dans des tentes en ces froides nuits de novembre coïncidant, qui plus est, avec le mois de Ramadhan.
Le séisme qui frappera la région de Boumerdès six mois plus tard n’a pas échappé, lui non plus, à la polémique. Administration, promoteurs immobiliers et entrepreneurs en bâtiment ont essuyé le courroux de populations meurtries ayant perdu leurs proches, leurs maisons, leurs ateliers, leur argent et leurs papiers. Les immeubles nouvellement construits et réceptionnés s’effondrèrent comme un château de cartes en cette soirée du 21 mai 2003.
L’anarchie urbanistique, la fraude sur le bâti, le poids de l’exode rural, enfin, tous les maux de la gestion approximative de nos cités ont trouvé ce jour-là leur expression la plus dramatique : deux mille morts, des centaines de blessés et handicapés, des enfants traumatisés et des milliards de pertes matérielles. Les blessures tardent à se refermer d’autant que l’on ignore le sort réservé à l’enquête diligentée par le ministère de l’Habitat à laquelle est assignée la mission de situer les responsabilité en révélant les noms des entrepreneurs coupables de fraude sur les normes de construction et sur la quantité et la qualité des matériaux utilisés, ainsi que les noms des agents de l’administration qui seraient complices de telles dérives.
Il est aussi établi, par les connaissances géologiques disponibles, que la région de Boumerdès est traversée par une faille sismique sur laquelle la construction doit être soumise à de strictes règles parasismiques. Dans les deux cas de figure — inondations et séismes —, les premières règles de prévention sont, sans conteste, le respect des règles de l’aménagement du territoire et des normes urbanistiques. Le développement équilibré de l’arrière-pays (montagne et Hauts-Plateaux) limitera considérablement l’exode qui a fait de nos villes des “agrégats’’ sans âme et des ensembles vulnérables.
Prévoir et prévenir : un défi à relever
Un autre phénomène, aggravé par la décennie d’insécurité et de lutte antiterroriste, est représenté par la perte du couvert végétal due aux incendies de forêts. L’Algérie perd dangereusement chaque année une grande partie du couvert végétal déjà bien maigre qui ‘’s’accroche’’ sur la partie nord du pays. Même si les conséquences du déboisement se manifestent à moyen et à long terme, les prémices sont déjà là : érosion des sols, y compris les piémonts et les plaines céréalières, envasement des barrages et retenues hydriques, diminution du capital cynégétique et du gisement ligneux, disparition de certaines sources d’eau et reflux de l’activité touristique.
Les incendies de forêts constituent des risques majeurs pendant leur déroulement dans le sens où les hameaux et villages sont directement menacés par les flammes.
Le drame qui frappa en 1994 la commune de Toudja, dans la wilaya de Béjaïa, est toujours présent dans les mémoires : une dizaine de morts et des centaines d’hectares d’oliveraies anéanties en l’espace d’une semaine.
Au cours de la dernière décennie, l’Algérie a déployé ses efforts pour prévenir deux grands dangers : l’un, d’importance régionale : le criquet pèlerin qui menace toute la région sahelo-saharienne et le Maghreb ; l’autre, dont le risque est planétaire : la grippe aviaire. Notre pays est monté au front pour parer à l’invasion du criquet. En collaboration avec la FAO, l’Algérie a non seulement ‘’balayé devant sa porte’’ en traitant des milliers d’hectares à Laghouat, M’sila et Djelfa, mais elle a aussi envoyé des missions (personnel, équipements et produits) pour aider certains pays comme la Mauritanie, le Mali et le Niger de façon à neutraliser le danger ‘’in situ’’. Quant aux mesures prises pour la prévention de la grippe aviaire, des cellules intersectorielles sont mises en place dans chaque wilaya pour veiller à l’apparition d’un moindre signe de la maladie sur les populations de volaille. Au moment de la ‘’sinistrose’’ de l’année 2006 où, de différents points de la planète, il était signalé des oiseaux atteints de la maladie ou qui en sont morts, les services vétérinaires algériens ont procédé au confinement de la volaille et même les transactions ont connu une période de gel.
Même si, au cours des derniers mois, cette pathologie a connu à travers le monde un sensible reflux, les cellules de veille algériennes n’ont pas dormi du ‘’sommeil du guerrier’’ ; la preuve en est les derniers exercices de simulation effectués à travers plusieurs wilayas visant à préparer le personnel d’intervention à toute fâcheuse éventualité.
La gestion des risques majeurs et des catastrophes naturelles doit être intégrée, comme dans toutes les économies et les législations modernes dans la gestion de l’économie et dans l’esprit de la bonne gouvernance. Dans son volet prévention ou dans la phase d’intervention, elle fait appel, par un arsenal législatif et réglementaire, à la mobilisation des compétences et des énergies nationales pour asseoir des mécanismes de prévision, de prévention et d’intervention. Un autre aspect du problème étant la police d’assurance. Vu que la culture d’assurance ne fait pas partie des mœurs des Algériens, la loi initiée par le département de M. Cherif Rahmani contraint les propriétaires d’immeubles, de maisons, de magasins et d’ateliers à contracter des assurances contre les risques naturels et les accidents industriels ou domestiques. C’est un signe de modernité et c’est aussi un geste de solidarité nationale au même titre que l’assurance maladie. Nul n’est à l’abri d’un sinistre. Les indemnisations obéiront à des conditions claires : déclaration de sinistre, taux, nature et champ d’application de l’assurance, nature des équipements ou récoltes endommagées.
Le risque fait partie de notre vie. Il importe de savoir le gérer et, à l’occasion, d’en atténuer les conséquences. C’est l’un des enjeux majeurs de la mondialisation où les économies deviennent de plus en plus interdépendantes faisant que des produits turcs, jordaniens et chinois-dont il faut établir la qualité alimentaire et les risques sur la santé des citoyens- envahissent le marché algérien.
Amar Naït Messaoud