Il y a de cela une année jour pour jour, disparaissait à jamais l’un des premiers acteurs du mouvement national en Kabylie. Plus précisément, le 28 août mourut Saïd Ben Lounès après soixante ans de militantisme au service de la paix, de la solidarité et pour la liberté des hommes. Ironie du sort, cet enfant d’Aït Imghour au pied du majestueux Djurdjura tira sa révérence à la même date qu’Ali Zamoum, qu’il recruta dans les rangs du PPA/MTLD un demi-siècle plus tôt. Ce vétéran de la cause nationale naquit le 27 décembre 1922 et fait partie de cette génération qui allait tenir tête à un colonialisme dont les tentacules tenaient tout un peuple durant un siècle déjà. Selon tout ce qu’on a entendu dire de ce grand militant, c’était qu’il se faisait obligation de dire tout ce qu’il croyait être la vérité sans s’occuper des conséquences de ses propos. Il recruta dans les rangs du parti Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Ali Mellah, Mohammed Zamoum et bien d’autres et par la suite, au sein de POS Benai Ouali, Ould Hamouda Amar, M’Barek Aït Menguellet. Jusqu’aux frères Ali Yahia et Idir Aït Amrane. Sans se lasser, à l’indépendance, il enrôla les jeunes militants dans le mouvement culturel berbère sans faire le moindre petit bruit et sans encore une fois revendiquer sa maxime qui n’était comme nous l’avons souligné ci-dessus celle de dire la vérité. A chaque fois qu’on le sollicitait à l’occasion de la célébration du Congrès de la Soummam, il disait : “Abane Ramdane avait des défauts, mais il avait beaucoup de qualités par rapport aux autres dirigeants de l’époque”. C’était surtout pour lui de planter au mur ceux qui tentaient de remettre en cause la légitimité dudit congrès. Cet instituteur qui se réclamait beaucoup plus de “vendeur d’alphabet” dont le père était aussi instituteur fut “démasqué” pour être ensuite arrêté pour ses activités à Paris avec d’autres militants de la cause après le démantèlement du réseau Jansen. Il séjourna dans les geôles françaises jusqu’à la signature des accords d’Evian. Il y a lieu de mentionner aussi qu’il avait été arrêté en tant que premier responsable des AML en Kabylie en mai 1945 et avait été ensuite déporté en compagnie d’autres camarades dirigeants du PPA/MTLD à Djenai Bourezg en Oranie. En juillet 1962 à la demande du président Ben Bella qu’il n’aimait pas d’ailleurs, il accepta de diriger la wilaya de Tizi Ouzou à la tête de laquelle se trouvait Ali Zamoum. Après quelques mois, recourant toujours à ses capacités intellectuelles, cet homme sincère loin de toute autre lutte, remit le tablier avant de s’éclipser jusqu’en 1994 ou feu le directeur Abderrahmane Mahmoudi de l’Hebdo-Libéré lui arracha une interview en exclusivité. “Je ne sais pas ce que va penser le docteur Mohamed Lamine Débaghine de mon égarement”, avait-il dit. A ce propos, il y a lieu de faire la relation de cette phrase avec cet ami avec lequel il avait gardé des relations et beaucoup d’amitiés, contrairement aux autres. Pour ceux qui l’ont côtoyé, Saïd Ben Lounès a de tout temps salué la rigueur intellectuelle de l’historien Benjamin Stora en déplorant la tiédeur de Mohamed Harbi et tout en admirant le courage du docteur Sadek Hadjrès. Même si ce grand militant du mouvement national n’apparaissait pas souvent en public pour faire des déclarations au sujet de tel ou tel événement, nombreux militants de la démocratie et des libertés étaient venus ce 28 août de l’an dernier s’incliner devant sa mémoire. L’hommage qu’on rendra à cet homme est de lui reconnaître sa large vision des choses. Personne ne pourra nier son sens de l’organisation. De tels hommes avec un grand H sont souvent oubliés car ils ne se sont jamais manifestés pour des intérêts mesquins. Repose en paix Da Saïd.
A. O.
