Le lendemain, nous décidons de faire un voyage dans l’histoire. Nous nous rendons au chef-lieu du gouvernorat de Monastir.
Le pétrole bleu de Monastir d’El Kantaoui
La ville natale de l’ancien Président Habib Bourguiba. Avec Kairouan et Sousse, la ville fait partie des premières colonies arabes fondées en Ifriqiya, elle est bâtie sur les ruines de l’ancienne ville punico-romaine. Nous visitons le fameux Ribat, la forteresse a été bâtie sur ordre du calife abbasside Haroun ar-Rachid en 796 comme moyen de défense contre les attaques de la flotte byzantine en Méditerranée. Des Imazighen, aucune trace. Nous étions peut-être les seuls Algériens à visiter le fort. Beaucoup d’Européens et quelques Arabes nostalgiques et à la recherche d’une gloire perdue. Le fort est gigantesque. Il est la preuve érigée que Oqba Ibn Nafaâ n’est pas venu en pacificateur en Afrique du Nord. Nous visiterons aussi la mosquée Habib Bourguiba, un bijou architectural.
A propos de mosquées, ouvrons une parenthèse pour souligner qu’elles ne sont ouvertes que durant les heures de prières et, chose que nous n’avons pas pu vérifier, les fidèles n’auraient pas le droit de changer de lieu de culte pour accomplir leurs devoirs. Le reste de la journée est consacré à la recherche d’une crique tranquille sur la côte de la ville.
Le soir même, nous faisons un tour à l’incontournable Port El Kantaoui. Nous sommes tentés par une balade et un dîner sur un voilier aménagé. Mais ça sera pour un autre jour ou, peut-être, pour la prochaine année. El Kantaoui est à deux cent pour cent touristique. L’Etat tunisien y avait mis le paquet. Et c’est plus ou moins le cas dans l’ensemble des villes côtières. Mais au-delà de toutes ces infrastructures d’accueil, le tourisme en Tunisie doit sa réussite à une politique appropriée. Une politique qui a su et pu impliquer l’ensemble de la société. Pompiste, garçon de salle, commerçant, artisan, veilleur de nuit… et même les enfants ont conscience de l’importance économique de cette ressource essentielle qu’est le tourisme. Chacun à son niveau d’action et à sa manière développe un sens aiguisé de civisme.
Kairouan, le point de départ de Oqba Ibn Nafaâ
Ce toponyme à la fois connu et inconnu ne nous a pas laissé indifférents. Il a réveillé en nous tout un flot de sentiments inexplicables. Cela vient sûrement des bancs scolaires qui ont mystifié et glorifié à outrance Oqba Ibn Nafaâ, le fondateur de cette fameuse ville. Il nous fallait donc y faire un tour. Que cherchons-nous à voir ? Nous ne le savons pas vraiment. En touristes civilisés nous nous sommes dirigés directement vers l’office du tourisme de la ville. Il s’agissait en fait, d’un musée. Nous sommes arrivés après les heures d’ouverture. Le gardien, un septuagénaire, déroge à la règle et nous ouvre la porte derrière laquelle se trouvent les bassins aghlabides dont nous ignorions l’existence. Notre guide improvisé tente tant bien que mal de satisfaire notre curiosité intellectuelle. Ces réponses n’ont fait qu’aiguiser notre curiosité. Qui a construit ces gigantesques bassins ? Les Aghlabides comme leur nom l’indique ? Nous sommes sceptiques : l’architecture et autres matériaux de construction ne ressemblent pas à ce que nous avions vu au ribat de Monastir. Nous visiterons aussi la grande mosquée construite par Oqba Ibn Nafaâ (encore lui). En fait, visiter n’est pas le mot approprié.
La mosquée était fermée. Un voisin, un vendeur de tapis, nous invite à aller sur sa terrasse qui surplombe le lieu de culte. Mais ce qui est intéresse le plus le commerçant est de nous vendre un tapis. Ça sera pour une autre fois. Ne nous pouvions pas quitter Kairouan sans visiter Djamaâ el Zeitouna, cette ‘’université’’ si chère à nos ulémas. Contrairement à ce que nous imaginions (cela aussi devait venir des bancs scolaires), l’édifice est très quelconque. Nous visitons juste la cour et jetons un coup d’œil à l’intérieur de la salle des prières. Un vieillard qui s’apprêtait sans doute à faire sa prière du maghreb ne cachait pas son mécontentement de voir une femme à l’intérieur de la mosquée. “Non, elle n’est pas rentée dans la salle !”, s’empresse de le rassurer un autre monsieur qui semblait être chargé de nettoyer les lieux.
Avant de quitter la ville fondée en 670 pour servir de poste avancé pour l’envahissement du reste de l’Afrique du nord, nous faisons un petit tour dans la médina. Nous relevons le caractère quasiment masculin pluriel de la ville. C’est la seule ville, jusque-là, où l’étranger est dévisagé. Notre campagne était d’ailleurs mal à l’aise. C’est la seule ville aussi où les quelques femmes que nous avons croisé portaient le foulard. A Kairouan, nous ressentons l’islamisme étouffé. Nous remontons dans notre voiture et nous nous laissons emporter par l’histoire d’Un pays damné de Matoub. Matoub à Karouan ! La chose est son contraire.
Alors que nous sortons de la ville, nous remarquons le “Nadi el sahafiyin” (le club des journalistes). Nous nous arrêtons en pensant que se serait intéressant et instructif d’échanger quelques mots avec des confrères de Tunisie. Nous changeons d’avis et faisons demi-tour, dès que notre regard tombe sur le portrait géant de Zine El Abidine.
La révolte des “ârchs” de Thysdrus
El Jem, ancienne cité phénicienne, est l’autre ville retenue dans notre programme de voyage dans l’histoire. Elle reçut à l’époque césarienne le statut de colonie romaine. Le Colisée de Thysdrus (nom romain de El Jem) est incontournable. 12 dinars tunisiens (7, 5 euros) pour y avoir accès. Une petite fortune. Mais, comme il ne dira jamais lui, nous sommes là pour ça. Impressionnant ! Nous ne pensions pas que des pierres datant d’avant Jésus-Christ allaient nous intéresser autant que ça. Sentiment d’avoir remonter le temps. Aucun Algérien sur le site. Que des Européens et essentiellement des italiens à la recherche de leur empire. Des Imazighen aucune empreinte. Si quand même : une révolte. A la suite d’exactions fiscale, les autochtones, les Berbères donc (les ârchs de Tysdrus), se révoltent. Les insurgés assassineront le procurateur de l’empereur Maximin le Thrace. Cette rébellion, rapportent les historiens, aura de fortes répercussions sur l’histoire de l’empire romain. Mais pas sur celui des Imazighen qui retourneront à la…cueillette des olives. Déçus de n’avoir trouvé que les traces des colonisateurs de nos aïeux, nous quittons Thysdrus pour rentrer à Sousse via le gouvernorat de Mahdia.
Le soir même, nous assistons à un concert de Baâziz au théâtre de plein air. Le Bob Dylan algérien semblait heureux de retrouver son public algérien à Sousse. Il s’en donnait à cœur joie. Hiboussa, je m’en fous, Ya H’djendjel… tout y passe. Les policiers chargés de la sécurité sont ahuris par l’audace de l’artiste qui s’attaque ouvertement aux généraux et au pouvoir en place. Mais, «Malgré tout bladi nebghik», conclut Baâziz. Après des balades par-ci par là, à travers les territoires de la Numidie-Est, notre portefeuille nous contraint à rentrer au bercail. Nous passons les deux postes frontaliers en un rien de temps. Nous retenons une chambre à El Mordjane d’El Kala, avant de continuer vers le centre du pays.
L’état de l’hôtel est lamentable. Seul le réceptionniste a quelque chose à voir avec l’univers de l’hôtelerie. Nous saurons plus tard que l’établissement serait en passe d’être cédé à un privé. Vivement ! Mais, cela ne sera toujours pas suffisant tant qu’une politique appropriée n’a pas suivi.
T.Ould Amar