Les quelque huit millions d’élèves qui ont rejoint leurs classes à partir d’hier, peuvent-ils, eux et leurs parents, se satisfaire des seules statistiques (disponibilité des manuels scolaires, nouvelles cantines ouvertes, renforcement des salles de classe, installation de chauffage…) sorties à la veille de chaque rentrée scolaire des tiroirs de l’administration ?
L’Algérie officielle ainsi que les ex-organisations de masse et les syndicats se sont, pendant des décennies, copieusement nourris de chiffres vantant les ‘’performances’’ budgétaires qui plaçaient, au cours des années 80, l’Éducation nationale au second rang des dépenses publiques juste derrière la Défense nationale. La situation a vite évolué pour donner à ce secteur la première place dans le budget de l’État. Mais, s’interrogeront légitimement les citoyens et les observateurs les moins exigeants, le budget fait-il à lui seul l’école ? Les Algériens sont les mieux placés pour apporter eux-mêmes un démenti formel à cette interrogation. En effet, les structures budgétivores de l’Éducation nationale n’ont pas été à la hauteur des espoirs que la collectivité nationale a placés dans cette noble institution qui a pour nom l’école. Pis, dans une large mesure, cette dernière a été dévoyée de sa mission originelle de formation et d’éducation au profit d’une politisation basée tantôt sur des dogmes nationalistes étriqués, tantôt sur des ersatz d’éducation religieuse à tendance intégriste. Tout cela avec l’argent de la collectivité ; mais la mentalité rentière et le clinquant de la fausse prospérité ont obstrué le chemin de la réflexion et de la contestation pour demander des comptes à nos planificateurs qui ont fait de l’école algérienne tout sauf un lieu de savoir et d’acquisition de compétences.
Les résultats de la mise en œuvre de l’ordonnance d’avril 1976 relative à l’École fondamentale ne se sont pas fait attendre. Outre une déperdition scolaire calamiteuse, les élèves qui terminent leurs cursus ont un niveau scolaire tellement faible que, même avec le bac en poche, ils ne sont pas assurés de franchir les portes de l’université. Quand bien même ils y accèdent, le handicap de la langue d’enseignement vient refroidir les ardeurs de beaucoup de postulants. D’ailleurs, un phénomène nouveau, et assez révélateur pour être souligné, marque ces dernières années le paysage du secteur de l’enseignement. Il s’agit des bacheliers qui refont l’examen du bac parce que les notes obtenues lors du premier examen ne leur permettent pas d’avoir accès à la filière convoitée.
Les réformes promises par le gouvernement depuis 1999 ont fini par prendre les couleurs du mirage. Du rapport de la Commission des réformes de l’éducation installée au début des années 2000 par le président de la République, Benbouzid s’abreuve au compte-gouttes et a fini par détourner l’esprit d’une grande partie des orientations qui y sont contenues. D’autres mesures illustrent, on ne peut mieux, l’esprit d’improvisation et la hâte que dicte l’urgence de sauver non pas l’école, mais son propre trône. Deux exemples suffisent : la mise en branle de la procédure de rachat, à la dernière minute, des élèves qui ont échoué au BEF, mesure dictée en direct à la télévision par Bouteflika lors de son déplacement à Sétif. L’autre grande improvisation est celle de dispenser une dizaine de milliers d’élèves de l’épreuve de langue française du fait qu’ils n’ont pas suivi régulièrement les cours de cette matière. Dans la foulée de la ‘’pifométrie’’, le département de Benbouzid décide de recruter des retraités de l’éducation pour assurer des cours de français.
Pour boucler la boucle, et au moment où les enseignants et les pédagogues réclament plus de souplesse et de liberté dans le contenu du manuel scolaire, le Chef du gouvernement a proposé, lors du séminaire arabe sur le livre scolaire tenu à Alger le 5 septembre dernier, l’unification du manuel scolaire à l’échelle du…monde arabe ! En matière d’excès de zèle et de conservatisme, on sera incapable de désigner des émules à nos décideurs en pédagogie. L’école algérienne en devient, sans jeu de mots, un cas d’école. Que l’on ne se méprenne surtout pas sur la validité du chiffre record des résultats du baccalauréat de cette année. La manière dont s’est déroulé l’examen sur une grande partie du territoire et le niveau même des matières qui ont alimenté cet examen. Les spécialistes en docimologie-examens et contrôle des connaissances-auraient certainement du pain sur la planche s’ils étaient sollicités pour apprécier le niveau réel de nos bacheliers qui s’apprêtent à rejoindre dans quatre semaines l’université.
Ce n’est pourtant pas un luxe ni une coquetterie que, face aux défis imposés par la nouvelle économie et le contexte d’une mondialisation effrénée, la société tout entière se donne le droit d’exiger une pédagogie moderne et ouverte sur le monde et un cadre idéal d’enseignement dégagé des scories de l’ancien système.
Amar Naït Messaoud
