Tunis : une escale nommée “plaisir”

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Mal luné, j’ai compris autrement – ou de travers-cette manchette d’un confrère de ce jeudi : “Visas anglais, les Algériens n’iront plus en Tunisie”. J’ai d’abord eu une petite pensée inquiète pour ces dizaines de milliers de Tunisiens qui n’ont que l’Algérie pour vivre. Une Algérie tellement généreuse qu’ils n’ont jamais senti le besoin de s’y rendre. C’est elle qui va vers eux.

Par vagues successives, ses enfants investissent Hammamat. Par divisions entières, ses clubs de foot s’en vont squatter Aïn Draham. Chaque été, les habitants de Hammamat déménagent ou se regroupent, retrouvent leur grande famille ou font du “co maisonnage” pour libérer un maximum d’appartements et de maisons individuelles, de masures et de taudis pour leurs frères venus de l’Ouest. Avec leur légendaire hospitalité, il leur arrive même de partager leur toit quand ils ne peuvent ni se regrouper ni déménager. Avec leur infinie générosité, ils leur réservent les hôtels les plus “accessibles”, et veillent de loin à ce qu’ils soient reçus dans les meilleures conditions aux frontières. Aux points de passage, ils ne leur feront jamais l’affront de les laisser traverser dans cette froide tranquillité et cette feinte courtoisie réservée aux Européens dans les aéroports. Il faut mettre de la chaleur et de l’ambiance quand on accueille les frères venus de l’Ouest. On ne va quand même pas triturer un passeport vert avec quelque lassante délicatesse.

C’est comme manger des crevettes avec un couteau et une fourchette ou plus grave, faire l’amour avec des gants. Il faut de vives bousculades, de sincères et cordiales engueulades et pourquoi pas quelques caresses à la matraque. Les Algériens y sont habitués, les Tunisiens aussi. Un plaisir partagé, un fait de culture commun à faire revivre le temps d’une formalité… policière.

Les vacances de nos concitoyens en Tunisie relève du plaisir sado maso. Il arrive qu’il y ait quelques gémissements plaintifs quand ça va trop loin, mais immanquablement, on recommence demain. Après quelques indignations patriotardes, molles et pathétiques. Après des regrets murmurés et des explications passe-montagne. Non, ce n’était qu’une étourderie de mal- réveillé, mal-nourri, il n’y aura pas plus de visas pour United Kingdom pour suppléer l’humiliation, nos humiliations d’été. Il s’agit juste de l’ouverture d’une agence “worldbridge” à Alger pour éviter l’autre humiliation, celle d’aller se faire tamponner son passeport à Tunis pour se rendre en Angleterre. En fait, la nouveauté est que l’Algérien n’aura pas son visa à Alger comme avant il ne l’obtenait jamais à partir de Tunis. Mais il aura le privilège de déposer son dossier chez lui et c’est déjà ça.

Depuis longtemps, il a appris à jubiler pour peu de choses et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va refuser ce bonheur. Même factice, il ne l’attendait plus, par la force des choses. Si un bonheur réel était possible, ils l’auraient construit chez eux.

Grand pays devant l’Eternel, l’Algérie est-elle capable de ne pas aller en Tunisie pour s’offrir des bouffées d’air un peu à la manière de l’océan qui se jette dans la rivière afin de grandir ? La question est ridicule, mais elle ne provoque que haussements d’épaules sceptiques et morsures de lèvres désespérées. Alors, on baisse les yeux, on tourne les talons et on s’en va guetter le miracle. Dans l’intervalle, on pavoise comme on peut. Devant la pomme de terre à cinquante au lieu de soixante-dix dinars, la perspective d’une coupe du monde faute de coupe d’Afrique et un visa pour l’Angleterre à attendre sans illusion à Alger après l’avoir désespérément quémandé à Tunis.

S. L.

P.-S. : Pendant un mois, la Madrague vendra son âme au diable. Ce n’est pas Hammamet le reste de l’année, mais on a appris à se suffire de petits bonheurs simples.

salimlaouari@yahoo.fr

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