Des catastrophes pour booster des carrières

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A défaut d’être la leçon à méditer pour se prémunir des drames les plus stupides, Bab El Oued est maintenant un seuil tragique à ne pas atteindre. Pour les habitants de ce quartier mythique d’Alger, il reste des inondations de 2001 des blessures encore béantes que tous les colmatages n’ont pas réussi à refermer. Chez certaines familles, qui n’ont pas encore fait le deuil des leurs parce que leurs corps n’ont jamais été retrouvés, les plaies sont encore plus douloureuses, ravivées chaque jour par ces morts sans sépulture. Bab El Oued n’a pas été d’un grand secours pour M’sila. Dix morts dans la nuit du vendredi à samedi, noyés dans leurs voitures sur une route qui  » multiplie ses chances de tuer « . Personne n’a gardé en mémoire les flots meurtriers du Triollet pour mettre les M’silis à l’abri du débordement fatal de Oued Bousaâda. Joint au téléphone par la présentatrice du JT de l’ENTV, le wali de M’sila a quand même été  » inspiré  » par Bab El Oued dans sa déclaration. En présentant le fait que les corps de tous les morts ont été retrouvés

 » grâce à la mobilisation des citoyens et des services de la Protection civile  » comme une performance, il dit avoir tout de même fait mieux qu’à Alger. Les  » inondations de référence  » ont définitivement fixé le seuil à ne pas franchir : l’incapacité de retrouver les cadavres et de les restituer à leurs familles dans des  » délais raisonnables « . Le drame, ce n’est plus de se noyer dans un verre d’eau, ni même d’y laisser la vie. Il y a pire, disparaître et ne pas avoir droit à une pierre tombale. A M’sila, le pire a donc été évité. On ne sait toujours pas si les corps des trois morts de Ain Defla ont été retrouvés, mais le nombre  » inconsistant  » des victimes et leur  » éparpillement  » sur trois localités différentes incitent à l’optimisme. Le wali qui intervenait, lui aussi à la télé, n’a pas été à  » l’essentiel  » et n’a pas eu la “pertinence” de son collègue de M’sila. Sans doute, il faudrait plus que trois morts pour se remémorer Bab El Oued et s’en inspirer. Cela pouvait même arriver quelques heures après sa déclaration, puisque nous avons appris par la presse d’hier que le bilan n’était pas définitif et que le bilan des morts avait des  » chances  » d’être revu à la hausse, histoire de ne pas faire de jaloux entre commis de l’Etat entièrement dévoués à l’intérêt public. Et quand bien même il y aurait quelques morts de plus dans l’une ou l’autre des deux Wilayas, cela fait partie d’une saine émulation entre hauts fonctionnaires qui ont tout à fait le droit d’afficher leurs légitimes ambitions. Celles de devenir ministre ou ambassadeur. Les catastrophes, ça sert aussi à ça, quand on a le mérite d’avoir retrouvé tous les morts. Veinards, les habitants de Maârif et de Mahalba qui vont enterrer les leurs en temps réel. Bab El Oued n’a pas conjuré leur malheur, mais l’autorité publique les somme de revoir leur ambition. Pour que ses représentants puissent en avoir de plus hautes et sans effort, comme devenir ministre ou ambassadeur, juste en livrant les morts dans des délais respectables.

S. L.

P.-S. : J’ai souvent entendu parler de lignes rouges, mais de lignes bleues, jamais. Jusqu’à cette discussion que j’ai eue avant- hier avec des amis qui m’ont appris qu’il s’agit de lignes séparant une voie réservée sur certaines autoroutes américaines et européennes aux automobilistes transportant plus d’un passager afin d’encourager le covoiturage et réduire ainsi trafic et pollution. Sans étude de faisabilité, sans estimation du pour et le contre, Ammar Ghoul a décidé tout seul d’instaurer ces lignes totalement inadaptées sur nos routes du fait de leur exiguïté et de l’impréparation des Algériens à une innovation dont la nature relève en plus du ministère des Transports qui a mobilisé illico presto l’ENPSR pour effacer la peinture bleue. Ammar Ghoul nous coûtera décidément très cher, et pas seulement sur l’autoroute Est-Ouest.

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