Les  »harragas », une affaire d’Etat

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Comme participants à cette rencontre, il est prévu la présence outre des représentants des institutions de l’Etat, ceux d’organismes de recherche et scientifiques, dont le Cnes, le Cread, l’ONS, entre autres…

L’événement promet par ailleurs de prendre du relief dans la mesure où le débat fera participer de jeunes témoins ayant fait l’expérience aussi bien de l’immigration clandestine que d’expulsion de pays d’Europe pour cause de situation irrégulière.

Ainsi, au vu de l’ampleur que prend le phénomène depuis quelques années chez nous et des drames qui en découlent, la moindre des initiatives gouvernementales, à l’égard de ce fait de société, est de lui consacrer un débat national, histoire de mieux en cerner les causes et d’appréhender les meilleurs moyens possibles, à même d’y faire face.

Au premier semestre 2006, un chiffre communiqué par la Gendarmerie nationale avait stupéfié l’opinion : quelque 200 harragas, hommes et femmes ayant tenté leur chance sur des embarcations de fortune, ont été interceptés par les éléments de cette institution.

Des statistiques qui pourtant sont loin de refléter l’ampleur réelle du phénomène dans la mesure où aussi bien avant cette date qu’après, les services de sécurité autant que les secouristes en haute mer ne cessent d’être confrontés à des cas du genre.

Gravité donc de la situation oblige, experts et scientifiques commencent à plancher sur le phénomène.

Ils en arrivent en fait à des conclusions en termes de causes à l’origine du phénomène, qui relèvent en fait de l’évidence pour le commun des Algériens.

En tête des raisons de cet acte suicidaire de nombre de nos jeunes, sont évoquées celles liées à l’intenable marasme socio-économique qui les caractérisent, et qui se conjuguent à un mal-être existentiel dû à l’absence totale de perspective d’avenir, le tout sur fond d’une situation de violence inouïe aux plans autant sécuritaire que sociale, rendant insupportable la vie en société.

Comme méthodes utilisées par les  » harragas « , celle dite  » russe  » est la plus utilisée. Elle consiste tout simplement à se dissimuler dans un conteneur à cargo !

Une méthode à haut risque, dans la mesure où la plupart de ces téméraires ne parviennent pas vivants à destination.

Kamel en est de ceux-là. Agé d’à peine 25 ans, n’ayant jamais eu d’emploi, et natif de la région de Rouiba, il avait dès décembre 2005 ruminé l’idée de tenter le tout pour le tout à  » la russe « .

Il semblait d’autant plus déterminé qu’il ne se passait pas un jour sans qu’il se plaigne à ses amis et copains du quartier, de sa situation de  » mort-vivant « , comme il aimait à se définir et celle de sa famille de condition plus que modeste.

Conscient du péril de son projet, il tentait à l’adresse de tous ceux qui essayaient de l’en dissuader de citer quelques exemples de réussite qu’il affirmait connaître.

Ali et Salah, deux de ses connaissances qui auraient embarqué dans un conteneur  » sont aujourd’hui en Italie, et sont en passe de s’y installer. Ils travaillent et ont même envoyé de l’argent à leurs familles,” assurait-il.

En février 2006, presque à l’insu de tous, Kamel franchissait le pas. Depuis, aucune nouvelle, en dépit de toutes les tentatives de sa famille auprès des autorités notamment.

Son frère aîné a même dû faire le déplacement en Italie pour s’en enquérir auprès des deux jeunes  » harragas « , que son cadet n’avait de cesse de citer en exemple. Hélas, il ne parvint à trouver ni l’un ni les autres, dont les proches lui avaient pourtant communiqué l’adresse…approximative.

La méthode la  » plus sûre « , relativement, pour espérer réussir sa tentative d’immigration clandestine consiste à recourir aux  » services  » de passeurs moyennant une forte somme d’argent qui s’élève parfois à quelque 200 000 dinars !

Ce qu’a tenté Samir, natif de Dar El- Beïda, 30 ans, agronome de formation, et sans emploi. Coup réussi pour lui : il est parvenu fin 2006 à joindre Paris, mais n’y a demeuré que trois mois aux termes desquels il a fait l’objet d’une expulsion. Quotidiennement en état de déprime, il n’arrive pas à digérer le double échec d’avoir perdu quelques dizaines de milliers de dinars et l’illusion d’une nouvelle vie.

Ainsi, si les raisons du phénomène n’échappent pour l’essentiel d’entre elles à personne, autant que les moyens d’y remédier, ces derniers sont en revanche loin d’être évidents en termes de faisabilité.

Réduire le chômage endémique frappant en majorité les jeunes, créer les conditions d’une vie en société  » humanisée « , introduire de la joie de vivre au risque de se heurter aux tenants d’une islamisation  » clochardisante  » et abrutissante de la société, avoir le courage de remettre en cause l’orientation politique  » nationaliste « , qui a tôt fait de sombrer dans la désuétude au profit d’une démocratisation résolue de la vie publique et sociale…Des défis dont l’immensité semble hélas n’avoir d’égale que la pusillanimité d’un système politique qu’effarouche la seule idée de changement.

Hakim Outoudert

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