Nos mères fêtées en poésie

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Qui mieux que le poète, pouvait leur rendre un aussi bel hommage, elles qui ont si bien su nous transmettre à travers les âges, toute la richesse de notre oralité ancestrale et la légendaire sagesse de nos mages !Tout compte fait, ce n’est qu’un juste renvoi d’ascenseur ! Nos mères ont de tout temps nourri le beau verbe, et affectionné la bonne parole ; aujourd’hui enfin, le verbe rempli d’amour leur rend hommage à son tour !Qui de nous n’a pas été bercé dans sa même misérable, mais tendre enfance, par les captivantes paroles si bien contées par la grand-mère, dans la chaleur familiale des rudes nuits hivernales de nos villages perchés de Kabylie, autour d’un feu de bois crépitant (seule source d’énergie), qui se consume allègrement pour créer tout un jeu d’ensorceleuses ombres chinoises (capables à même de donner vie aux personnages des contes et autres histoires sournoises) défilant sur les murs (blanchis à la chaux à chaque printemps), au gré des danses effrénées des flammes tantôt vivantes, tantôt étouffantes par leur fumée ; tout autour du «kanun», élément central et magique de notre toute première scène théâtrale, qu’est la traditionnelle maison de nos grands-parents ! C’est dans ce monde fabuleux que nous a replongés Slimane Belharet, l’écoutant déclamer son très beau et richement varié récital poétique tiré de son album intitulé «Asefru I Yemma» (poème pour ma mère), lequel a été merveilleusement habillé (quoique déjà bien enveloppé par la belle voix du poète!) en fond musical par Belaïd Abranis (fils de Karim, membre du mythique groupe kabyle «Les Abranis» des années 1970 et 1980).Après avoir été présenté à l’assistance de la petite salle du théâtre régional Abdelmalek- Bougermouh de Bgayet, l’invité de ce jeudi a commencé par remercier les organisateurs, pour avoir pensé à lui et l’avoir programmé à ces «Jeudis littéraires», qui suscitent déjà (à leurs septième numéro) l’intérêt (et la jalousie positive) d’autres régions, afin de reproduire à Tizi Ouzou, Bouira, Alger, et ailleurs, cette louable initiative de la Ligue des arts dramatiques de la wilaya de Bgayet, concrétisée grâce à la précieuse collaboration de ses partenaires habituels : Le TRB, l’Entreprise Portuaire de Béjaïa, l’Hôtel Royal, la résidence Le Cristal, l’agence Imago-Graphic, les journaux la Dépêche de Kabylie et Alger Républicain, et bien d’autres collaborateurs à venir. Il n’a pas omis de remercier également son éditeur «La Colombe», pour avoir pris avec lui, le risque d’éditer une K7 de poésie aux portes de l’été, avec sa vague des chabs et de tubes non-stop qui font l’ambiance des plages et des fêtes de mariages !Seulement, il regretta l’absence du musicien Belaïd Abranis, qui n’a pu l’accompagner pour cause d’obligations familiales de dernière minute. Néanmoins, il trouva en la personne de Bihik (l’animateur des «Ateliers musique & chants» de la même Ligue de Bgayet), l’homme de la situation pour lui assurer la bonne conduite de la régie du son et de la musique.Du récital poétique de Slimane Belharet, on retiendra son originalité dans son ensemble de par son travail de fond et innovant dans la structuration de ses vers ; sa richesse de par la variété des thèmes abordés et des tons appropriés utilisés, oscillant entre le grave et le léger, le triste et le gai, l’émouvant qui interpelle souvent et le délirant qui détend, le moralisateur et l’anti-conformiste, l’ancien et le moderne, l’utile et l’agréable,… ; et enfin sa belle ambiance, due certainement à sa facilité de communiquer et à ses qualités d’animateur sur les planches, à la radio Chaîne II et à la Berbère télévision. Parmi ses nombreux poèmes tous bien inspirés et copieusement applaudis par l’assistance, on peut citer entre autres : le très émouvant «I kem a Yemma» bel hommage à nos mères, et l’autobiographique «Tabratt i Yemma» cette touchante complainte du poète orphelin qui pleure sa chère maman disparue ; les merveilleusement romancés «Tayri» et «Lehmala nniden» ; le profondément nostalgique «Taqbaylit zik-nni», bel hommage aux valeureuses et très actives femmes kabyles d’antan ; le pas moins moralisateur mais instructif «Dderya gar yidelli Dwass-a» sur le recul de nos valeurs humaines ancestrales chez nos jeunes d’aujourd’hui ; les trop sérieux et justement élogieux «Tajmilt i ccix Lhesnawi» et «Tajmilt i Dda L’mulud», en hommage à deux de nos brillantes étoiles : Cheikh El Hasnaoui, roi de la chanson romantique kabyle des années 1940/1950 et surnommé l’Exilé de l’amour, ainsi que Da L’Mouloud Mammeri, éminent académicien, chercheur anthropologue, linguiste et romancier kabyle, et infatigable militant de la cause berbère en Afrique du Nord ; le tout, intelligemment entrecoupé par le très soft «Tizllit xfifen» et d’autres agréablement satiriques, acerbes critiques «Winnat», «L’bulletin n w-aqcic» sur l’école algérienne et ses élèves acutuels, «Tilibzyu Lezzayer» sur notre tristement célèbre ex-Unique, et bien d’autres encore… tous superbement accompagnés par la belle sélection musicale de Belaïd Abranis. C’est dire combien cet album tout en poésie (que je trouve par ailleurs, tout simplement magnifique !), de notre ami Slimane Belharet, mérite vraiment d’être écouté et réécouté ! C’est aussi une bonne idée de cadeau pour toutes les mamans kabyles, en cette heureuse occasion de la fête universelle des Mères (chaque 29 mai) !Lors des débats et à la question de savoir comment Slimane Belharet s’est retrouvé poète, il a affirmé que ses débuts en poésie remontent à l’époque où il animait les fêtes de son lycée à Larbaâ Nath Irathen. «Cela m’a par la suite encouragé à m’affirmer à l’Université de Oued Aïssi (Tizi Ouzou)» a-t-il enchaîné. Sa poésie est portée beaucoup plus sur les thèmes mélancoliques : la tristesse, la tendresse, la nostalgie des temps anciens, etc… Au niveau de l’écriture lyrique, la poésie de Slimane Belharet se départage en deux genres :1)- Pour les thèmes graves ou tristes et mélancoliques, son lyrisme est régi par des règles dignes de la poésie ancienne (à 2 rimes) et même un peu plus fouillé et varié avec souvent plusieurs rimes.2)- Sur les thèmes récents, satiriques ou gais par contre, son écriture lyrique est plutôt libre et légère ; à une seule rime, ou carrément prosaïque.Si notre ami poète a choisi d’éditer sa poésie en K7 (et non recueil), c’est parce qu’il a ses raisons : tout d’abord, il y a l’amer constat du triste recul de la lecture de masse ; ensuite, il y a le fait selon lui, que toute poésie doit être portée aux oreilles, plus qu’aux yeux ; car il estime que la voix du poète qui déclame, donne vie à sa poésie, plus que l’écrit ! D’ailleurs, il trouve aberrante la fâcheuse habitude de sélectionner les poètes sur la base d’écrits, lors des festivals. Slimane Belharet estime qu’à l’exemple du texte théâtral qui ne prend vie que sur les planches la poésie pour qu’elle soit vivante, a besoin d’être portée par la voix du poète avec toutes ses vibrations émotionnelles. La poésie a besoin d’être dite, plus que manuscrite ! Surtout la poésie kabyle, qui joue trop sur les intonations, que l’écrit à lui seul est incapable de reprendre fidèlement. Concernant l’état de la poésie dans notre pays, l’orateur estime que c’est le domaine le plus lésé en Algérie, par faute d’espaces d’expression spécialisés pour les poètes. C’est pourquoi, il est convaincu que les poètes algériens doivent se mobiliser afin de se prendre eux-mêmes en main, par la création de cercle des poètes, de cafés littéraires à l’exemple de ces “Jeudis Littéraires” de Bgayet, d’une revue spécialisée, de missions radiophoniques et télévisées, de festivals réguliers, etc…Quant aux projets, “ils sont nombreux : animation estivale avec la chaîne II, qui m’a fait connaître, ainsi que la radio Soummam, cette régionale qui monte, tout satisfait de mon expérience de l’année dernière que je renouvellerai cet été, d’autant plus que je repasse mes vacances à Bgayet, ma ville préférée ! Réalisation d’une émission de variétés pour la nouvelle chaîne télé nationale en Tamazight, en attente de son lancement. La prochain édition d’un recueil de mots usuels, commentés à ma façon”. En conclusion, l’invité de ce jeudi nous fait la confidence d’avoir découvert en ces “Jeudis Littéraires”, une nouvelle façon, très originale, de faire de la culture sur le terrain. C’est un espace qui permet à des artistes de tous bords de se retrouver dans la convivialité. Il trouve que c’est une louable initiative qu’il espère voir reprise dans d’autres villes du pays. Rendez-vous donc, aujourd’hui, à la maison de la culture Mouloud-Mammeri pour une projection/débat avec le cinéaste Belkacem Haouchine, autour de ses films documentaires..

N. Khaled Khodja

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