Nos fêtes sont d’authentiques corvées, mais nous continuons à faire semblant de nous amuser quand elles arrivent. Même si la joie semble avoir définitivement déserté nos demeures et leur espace périphérique, nous mettons un tel zèle à nous y préparer que nous ajoutons de l’angoisse à la grisaille pour réussir » la totale « , une fois le grand jour arrivé.
Avec la perspective du plaisir en moins, nous nous affairons, à la manière des masochistes, à réunir l’attirail le plus performant de la douleur. Pour ceux d’entre nous qui ont les moyens de leur effervescence, ils dépenseront sans compter pour un résultat connu d’avance : habiller sans gaieté des enfants qui vont vite déchanter face à la morosité générale du décor, empiffrer tout le monde jusqu’à la maladie, rendre visite aux morts qui n’en ont pas vraiment besoin et sortir une Zakat qui profite aux faux pauvres vrais roublards quand elle ne prend pas les douteux chemins des circuits organisés. L’Aïd aurait pu être une fête comme son nom l’indique, elle est une formalité qui revient cher comme » le veut la tradition « . Quant aux démunis, ils feront la même chose, avec des fringues de friperie et des gâteaux de fortune. Ils auront en moins la qualité de l’attirail et en plus l’angoisse de s’en sortir les jours d’après des folies consenties pour faire comme tout le monde.
Les enfants bernés un moment découvriront vite la supercherie dans les premiers effilages d’un polo de pacotille ou la panne subite d’un jouet en grossier plastic. Quand la journée tirera à sa fin, les adultes figeront le sourire esquissé dans l’attente d’un parent qui ne viendra pas finalement et rangeront les morceaux de choix destinés à lui faire honneur. L’Aid est déjà tristounet sans ses désagréables imprévus, le voilà qui multiplie les désillusions. Pour avoir renoncé au bonheur des choses simples, nous avons tué la fête en nous.
Nous nous sommes interdit le rire revigorant. Nous avons oublié le chant qui égaie et le pas de danse qui rapproche. Nos chaumières se sont fermées à la chaleur des retrouvailles et nos prétentions en solo sont venues à bout des élans communs. La joie a cessé d’être un moment à revendiquer et le bonheur n’est plus une fin en soi. L’Aid, » le petit « , imminent et » le grand » qui ne tardera pas à suivre, nos fiançailles, nos mariages comme nos baptêmes inspirent plus le cafard que la liesse.
Des rendez- vous contraignants qu’on honore par hypocrisie, frime ou intérêt. Dans deux ou trois jours, l’Aid, la petite. Comme toujours, on fera semblant d’être heureux. Une » fête » dédiée aux enfants par on ne sait quelle gymnastique culturelle des adultes. Censée sanctionner un mois d’abstinence, on l’a collée pour la bonne conscience à ceux qui sont censés en être dispensés. Une fête où l’ éclat spontané sera ravalé et le rêve doux refoulé. L’Aid est une fin en soi. Pour le bonheur, il faudra encore repasser. Saha Aïdkoum quand même.
S. L.
P.-S. : La petite fille qui a reçu la fessée de son directeur pour avoir esquissé un pas de danse au moment où était entonné Qassamen dans la cour de son école s’appelle finalement Léticia et non Sarah. Je pensais que ça ne changeait pas grand chose, mais apparemment la réctif la consolle. Tant mieux.