Mon village

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Sans état d’âme, un militant du RCD est tête de liste RND de ma localité aux élections communales. Avec beaucoup de dépit, une figure locale du FFS s’est résignée à une liste d’indépendants. Un troisième, qui a toujours été courtisé par tous les partis en raison de la popularité acquise grâce à son engagement dans l’action publique et à sa rigueur morale vient d’être « raflé » par le FLN, censé être le dernier parti auquel il aurait songé.

Le premier aura l’avantage de la nouveauté, du fait que son nouveau parti n’a jamais concouru dans cette commune connue pour la propension de ses élécteurs à tenter à chaque rendez-vous « une nouvelle expérience ». Le deuxième va d’abord en découdre avec sa famille d’origine qui l’a « rarement estimé à sa juste valeur » pour reprendre une expression en vogue chez les footballeurs. Il tentera de gagner tout seul pour dire que son ambition dans le groupe était légitime et montrer que la désillusion est capable de fécondité. Le troisième va consacrer une nouvelle réalité : Le FLN parvient désormais à susciter localement des candidatures crédibles. Réduite à de la figuration depuis l’avènement du multipartisme, cette formation a perdu sa clientèle traditionnelle trop rusée et trop peu convaincue pour aller au charbon.

Après une succession de candidatures folkloriques, elle tient maintenant une tête de liste avec qui il faudra compter, surtout que lui aussi aura à cœur de prendre sa revanche sur le FFS et le RCD qui ne lui ont proposé que des rôles de seconds couteaux. Le FFS, qui ne doute décidément jamais, ne voit pas pourquoi il faudrait changer une équipe qui a perdu alors que le RCD n’a pas reconduit une équipe qui a gagné pour cause de gestion décriée. Le décor est planté pour une compétition trop ouverte pour chasser le doute. Dans ce village-commune où il y a très peu de place pour les programmes, on votera encore machinalement pour « le sien » ou on « essaiera de nouveaux visages ».

Comme à la loterie, on remisera sur les numéros fétiches, à moins de tenter le diable. La différence, c’est qu’à la loterie il y a toujours une chance, aussi minime qu’elle soit; de toucher le gros lot. Le lot quotidien des femmes et des hommes de mon village, il faudra plus que des numéros pour qu’il change. La chance se provoque et l’espoir vient en bousculant les choses. Y a-t-il quelque disponibilité au coup de pied dans la fourmilière ? L’illusion n’est pas grande, mais on attendra quand même pour voir.

Une énième fois on écoutera, avec la courtoisie qu’on doit à des enfants nés chez nous et le devoir qu’on s’impose pour faire comme tout le monde. On découvrira des promesses déjà entendues et des intelligences qu’on nous aura donc cachées. C’est la campagne. Pour les habitants de ce village juché sur une impossible colline, il faudra encore ressortir cette école qu’ils attendent depuis toujours et qui n’est jamais venue pour une histoire d’assiette foncière. Devant tous les autres, il s’agira de crier sa colère en mettant un max de zéle dans l’indignation : comment peut-on manquer d’eau sur une montagne qui en regorge ?

Et notre part du barrage de Taksebt dont on n’a bénéficié que de l’humidité ? Et la route principale en piteux état ? Et les ordures qui s’amoncellent, le marché improvisé sur ce qui sert de place centrale et le bureau de poste aux dimensions de cabine téléphonique ? Et l’éclairage public, l’insécurité, le logement social ? On parlera de tout ça bien sûr. Il y aura des solutions et les candidats ne se sentiront pas obligés de dire lesquelles. On réglera le problème de l’eau sans avoir à dire comment et on construira l’école sans préciser son emplacement. On déplacera la montagne qui nous cache du soleil sans nous arroser de la fonte de ses neiges. Juste un mandat et advienne que pourra. Il n’y a pas de partis à préserver du retour de manivelle, puisqu’on peut en changer à l’envi. Il n’ya pas de comptes à rendre puisqu’on vous a tiré au sort ou plébiscité pour votre descendance. Il y a les élections quand même et dans mon village on vote. Ou on ne vote pas, puisqu’au fond, on pense que c’est la même chose.

S. L.

P. – S. : Du coq à l’âne : une lectrice qui dit être une fidèle de cet espace m’a reproché dans un message électronique de ne jamais parler de mon village. Voilà, c’est fait.

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