Commerce de livres, d’idées et de culte!

Partager

Le seul événement annuel et international dédié à la littérature et aux écrivains se nomme chez nous: « La foire internationale du livre ». Evidemment, le mot « foire » est avant tout un terme commercial dans sa connotation moderne et, surtout, algérienne.

Les maisons d’édition s’organisent et entament un marathon essoufflé pour qu’une fois le jour “J” arrive, tout soit prêt pour être exposé sur les rayons de ce « supermarché géant du livre » et mettre un tant soit peu d’argent dans leurs poches sinistrement vides durant le reste des mois de l’année.

La Foire du livre est donc un rendez-vous purement « business » où l’on tente de se rattraper après une année de faillite spectaculaire; les éditeurs pour se donner désespérément une bonne raison de poursuivre l’aventure de l’édition et les écrivains pour tenter ce que n’ont pas daigné faire les médias: faire la promotion de leurs livres et se donner l’illusion d’écrire dans un pays où le livre a encore sa place!

Comme à chaque année, la Foire du livre se prépare dans une ambiance de « dernière minute », concept très cher aux responsables algériens quand il s’agit de l’organisation. Après l’étape périlleuse de l’organisation, vient celle de la médiatisation qui se fait, bien entendu, quelques jours seulement avant l’événement et ce, via des flashs furtifs à la télé ou dans la presse écrite.

Vient enfin, le grand jour… Là, c’est le grand carnaval! Ou plutôt, le bal masqué algérien annuel ! Qui voit-on pendant les dix pauvres jours de la foire? A part les représentants des différentes maisons d’édition algériennes et étrangères, on peut observer avec un intérêt semblable à celui que l’on accorde aux phénomènes pathologiques, les « clients » qui affluent sur les lieux pour s’approvisionner en livres. La clientèle est certes diverse et plurielle mais, comme partout en Algérie, il y a toujours une majorité qui prend le dessus et une minorité qui se faufile discrètement pour ne pas attirer l’attention.

A la foire, la catégorie sociale et ethnique la plus “affluente” est celle des islamistes. La raison en est très claire: les maisons d’éditions les plus actives, les plus présentes et les plus nombreuses sont celles qui promotionnent les livres religieux, les manuels de rédemption, les interminables et lourds volumes des exégètes musulmans ayant vécu et sévi, il y a des dizaines de siècles!

La foire devient donc non seulement un rendez-vous commercial mais aussi une occasion en or de voir combien de barbes longues, de cheveux longs teints au henné, de qamis et de babouches moyenâgeuses existent encore en Algérie, et surtout à Alger, combien de petites filles de moins de 10 ans portent le « djilbab »… !

C’est aussi l’occasion de constater que la religion, elle-même, est devenue une source inépuisable de profits matériels et métaphysiques. Car d’un côté, il y a les maisons d’éditions spécialisées dont la caisse se voit gonfler grâce aux dépenses des bons musulmans qui, eux, se réjouissent d’avoir fait un pas de plus vers le paradis en se munissant de ces manuels « spécial apocalypse ».

On ne peut donc parler d’arnaque puisque le vendeur et l’acheteur sortent de cette occasion avec un grand sourire, l’un pour s’être enrichi un peu plus et l’autre pour avoir rempli sa bibliothèque de guides « islamo-touristiques » vers l’Eden!

Après tout, le monde intellectuel est ouvert et n’exclut aucune tendance qu’elle soit ethnique ou littéraire. Peu importe si les clients vont transmettre leurs précieux livres à leurs enfants qui y verront une raison de plus pour fuir la vie vers la religion, pour haïr le progrès en prétextant que c’est contraire aux préceptes de l’islam. Peu importe si ces livres, bon gré mal gré, remplaceront vite les beaux romans de Saint-Exupéry, les lancinants poèmes de Baudelaire et les écrits inégalables de Kateb Yacine.

Ce sont tous des mécréants! Il ne faut lire que ce qui est conforme à la conscience religieuse et à la droiture musulmane! Lire est « hram » tant qu’il ne contribue pas à une meilleure éducation religieuse de nos enfants et de nos jeunes!

La foire, en dépit de la présence désespérée des écrits fabuleux de ces « mécréants », reste un rendez-vous plutôt cultuel que culturel !

Nos responsables se rendront-ils compte un jour que le livre est le premier guide intellectuel et spirituel d’un individu ayant décidé de tracer son propre chemin? Et comprendront-ils, par conséquent, qu’une foire où la majorité des livres exposés ne sont que des manuels d’extrémisme religieux, se transformera aussitôt d’une occasion annuelle de culture et d’ouverture en un rendez-vous idéologique réunissant ceux qui ont, pour l’Algérie, les mêmes projets qui l’ont fait baigner dans le sang pendant toute une décennie??

Sarah Haidar

Partager