DBK : C’est quoi le 1er Novembre pour vous ?
Hocine Mohand ou Bélaïd : Le 1er Novembre 1954 a été pour nous (les moudjahidine) à la fois le déclenchement de la Guerre et en même temps l’Indépendance, car nous savions que tôt ou tard, l’Algérie à travers l’ALN et son peuple vaincraient.
Y a-t-il eu des difficultés avant le 1er coup de feu ?
Les responsables des MTLD, PPA avant 1954 étaient un peu réticents. Ils voulaient soi-disant combattre d’une manière politique le colonialisme, alors que d’autres préféraient la guerre. Mais ils ont fini pour prendre les armes en 1955. Grâce à Dieu, aux patriotes et au peuple, nous sommes arrivés à notre but qui est l’Indépendance sans limite.
Quelles étaient les premières opérations que vous aviez menées dans la région de LNI ?
Dès le coup d’envoi de l’insurrection, nous avons entamé le sabotage téléphonique, coupé des routes, attaqué des fermes coloniales aux niveaux des villages Ivahlal et Takhoukht. Les routes de Tamazirt (Irdjen) ont été également sabotées.
Où étiez-vous le 1er Novembre 1954 ?
Je me trouvais à cette date, à Lille (France) comme tous les émigrés. C’était Si Nacer qui m’avait contacté. Trois mois après, je me trouvais dans le maquis. C’était un devoir noble de répondre à l’appel de mon pays. Une fois dans mon pays, j’ai commencé à récupérer des armes, à sensibiliser la population.
Les enfants de la Kabylie ont toujours répondu présents. Pourquoi ?
Depuis l’occupation, en 1830, l’Algérie, notamment la Kabylie a toujours été révolutionnaire, une région à l’avant-garde des conflits et autres. Il y a eu des événements avant 1954 certes, et ce sont ceux-là même qui ont forgé en quelques sortes, les Fernane Hanafi, Abane Ramdane, Colonel Si Nacer (adjoint de Krim Belkacem), Djouadi Abderrahmane, Khouas Ahcène, Metrek Ahcène, Lounis Salem, Laïmèche Ali et bien d’autres aussi dans la région de Larbaâ Nath Irathen.
A vous entendre, l’année 1956 a été la plus dure non ?
Depuis le déclenchement, toutes les années se valent par leur misère et combativité, mais 1956, a été la plus meurtrière dans la région. Il y a eu beaucoup de perte en vies humaines de part et d’autres, aussi de 1957 à 1959. Mais les plus grosses pertes ont été du côté de l’ennemi que ce soit en vies ou en matériel.
Pouvez-vous nous évoquer quelques embuscades ou accrochages que vous avez eu avec l’armée française dans la région de LNI ?
Les plus meurtrières étaient celles du 12 février 1956 à Aït Aggouacha et Mekla. Ce jour-là, les soldats ennemis étaient plus nombreux que nous. C’étaient lors d’un ratissage durant la période où il y avait de la neige. Un accrochage s’en était suivi, on n’avait pas le choix. Les autres opérations de grandes envergures étaient celles de Tizi-Rached où nous avons subi une perte de 14 moudjahidine et moussebiline. L’autre, en mai 1956, c’était à Aït Frah, Taourirt, Ath Semar où une grande opération de ratissage a été déclenchée. Trois grands responsables ont péri dans l’accrochage durant des heures. Il s’agit des deux frères Djebbar Saïd et Ahmed et Assad Mohand dit Si L’hocine du village Sour Ahelli. L’embuscade la plus importante était celle de Mekla durant la première semaine de l’année 1956. L’armée française a essuyé un échec total dans ses rangs (neuf soldats tués et une quantitée d’armes récupérés.
Gardez-vous un souvenir d’un être cher et qui n’est plus de ce monde que vous avez côtoyé plus que les autres durant cette période de guerre ?
Incontestablement, la perte de Si Tarek a été la plus ressentie pour moi et tous ses amis moudjahidine. Il est tombé au champ d’honneur lors d’une opération perpétrée par le colonel Dalstein et le général Dier venus en renfort de l’Algérois.
Revenons au début de 1956, y a-t-il eu concertation dans la région entre les responsables militaires de l’ALN ?
Oui, le premier conseil de la wilaya III a été tenu dans un secret complet le 24 janvier de la même année au village Afernakou dans le douar Aït Oumalou de l’époque. Il a pris fin le 27 janvier 1956 et comme par hasard, la première opération de ratissage a eu lieu le 28 janvier 1956, le lendemain au village de Tablabalt, un village voisin dans le même douar.
Venons-en si vous voulez à l’année 1959, une année synonyme de “opération jumelles”. Quel était l’objectif de cette opération appelée aussi “opération challe” ?
L’opération jumelles Challe comme vous dites a été décidée tout simplement pour anéantir les populations et détruire les forces de l’ALN, en un mot, les mettre à zéro. Sachez que toutes les armés ont été mobilisées et plus de 100 000 soldats destinés seulement à la wilaya III particulièrement la zone 4. Cette force dévastatrice a été concentrée dans l’Akfadou, Mizrana et Yakouren.
Les responsables de l’ALN étaient-ils au courant de cette opération ?
Et comment ! Le colonel Amirouche a eu vent sans doute de cette opération puisque quelques jours auparavant, il nous a rassemblés à Bounamane. Tous les responsables régionaux de la wilaya 3 et 4 étaient présents. Il nous a informé que la France est en train de préparer une offensive de grande envergure et il serait judicieux de changer de stratégie, c’est-à-dire se disperser en petits groupes de 4 à 5 éléments pour passer inaperçus.
Quelle a été la durée de cette opération ?
Elle a duré du 22 juillet 1959 à mars 1960, mais elle a continué par d’autres opérations qui sont celles des regroupements des villages et des postes avancés. Des centres de concentrations et tortures ont été également constitués dans le cadre de la fin de l’opération jumelle. L’ALN allait être presque anéantie. Grâce à une nouvelle stratégie en 1960, elle a pu se reconstituer dans les règles de l’art.
Un mot pour conclure !
Que les gens qui disent que c’est De Gaulle qui a donné l’indépendance à l’Algérie se détrompent. Ce sont ses enfants, seuls ces enfants de ce pays qui se sont sacrifiés pour arracher cette liberté et toute liberté ne se donne jamais sans lutte. Gloire à nos vaillants martyrs !
Entretien réalisé par SKS