Le travail au noir, un constat alarmant

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A l’instar du reste du pays, le travail au noir à l’échelle de la wilaya de Tizi Ouzou, prend de plus en plus d’ampleur et devient un bon marché de la main-d’œuvre. Des milliers d’employés et que les statistiques ignorent, travaillent dans des conditions d’un autre âge, rémunérés en-dessous des seuils légaux et ne sont pas déclarés à la sécurité sociale. Ce recours illégal devenu un phénomène social dans toutes les régions de Kabylie est pratiqué souvent dans le cadre de contrat à durée déterminée (CDD) verbal, d’où les conditions de plus en plus précaires.

Ces tares touchent divers secteurs d’activités qui emploient dans la clandestinité et l’impunité se généralisant dans les petits commerces et services, mais aussi et surtout dans le bâtiment. Le nombre de jeunes qui occupent quotidiennement les trottoirs et la devanture de la poste centrale de la ville ces derniers temps est impressionnant. Ces personnes ne sont autres que des ouvriers occasionnels attendant impatiemment le passage d’un éventuel artisan ou d’un entrepreneur en bâtiment à la recherche de main-d’œuvre. Devant la situation contraignante due au chômage qui sévit dans la région, ces ouvriers en détresse se bousculent au portillon pour “arracher” une place synonyme d’un “boulot”. Selon nos investigations “les nouveaux patrons” du secteur du bâtiment font appel à cette catégorie d’ouvriers qui, faut-il le préciser, viennent de toutes les contrées du pays, et ce pour deux avantages principaux : le premier est une main-d’œuvre bon marché. Le second est que l’entreprise ne déclare pas ses travailleurs à la sécurité sociale. C’est ainsi que ces ouvriers sont exploités à longueur d’année. Aussitôt, la mission accomplie pour une durée déterminé, ces derniers sont renvoyés illico-presto reprendre leur place. Même en cas d’accident de travail, ces pauvres infortunés sont abandonnés à leur triste sort. On cité cet exemple est édifiant, de ouvrier rencontré aux services des urgences au CHU de Tizi Ouzou, mardi dernier, venu s’enquérir de l’état de santé de son camarade âgé de 20 ans, hospitalisé des suites d’une chute dans un chantier. Il raconte : “Il y a quatre jours dans l’un des chantiers où nous travaillons en dehors de la ville, mon camarade a fait une chute du 2e étage du bâtiment en construction. Il a eu plusieurs fractures au niveau des côtes et du fémur. Le patron l’a transporté à l’hôpital mais l’a abandonné à son triste sort sans aucun état d’âme”. Avant de révéler que “des cas semblables sont fréquents à Tizi Ouzou”. Le travail de nuit et celui des femmes, des mineurs, échappe également à tout contrôle.

Qu’en est-il de ces femmes de ménages, de ces garçons de café… qui travaillent de 5h du matin jusqu’à 20 h, dès fois plus sans aucune compensation ou couverture sociale ? Si des circonstances atténuantes peuvent être accordées à l’inspection du travail du fait des moyens matériels presque inexistants, nous dit-on, il n’en demeure pas moins pour la caisse de sécurité sociale dont les effectifs sont pléthoriques.

Leurs moyens faramineux sur le plan matériel devraient en faire un organisme zélé des travailleurs. La formidable caisse et la masse d’argent qu’elle gère peuvent facilement lui permettra d’avoir des moyens de contrôles efficaces.

Par ailleurs, le secteur du bâtiment ou celui de l’industrie ne sont pas les seuls en cause. Celui des services connaît largement un laxisme autrement plus laxiste. Est-il très rare qu’un veilleur de nuit, qu’un garçon de café, ou un receveur de bus, et la liste est longue, soient déclarés à la sécurité sociale. Pourtant les lois existent et sont claires en matière de coercition. La loi 83-14 du 2 juillet 1983 relative aux obligations des assujettis à la Cnas est claire et comporte une dizaine d’articles, notamment l’article 6 qui stipule : “Tout employeur quel qu’il soit est tenu de faire à l’organisme de la sécurité sociale une déclaration d’activité dans les 10 jours qui suivent le début de l’exercice”. Quant à l’article 8, il est sans équivoque. Il stipule qu’un défaut d’affiliation dans le délai prévu à l’article 10 entraîne des pénalités, etc.

A travers toutes ces contraintes qui affectent le monde du travail et qui se développe impunément au mépris de la loi et de la réglementation, le constat est très alarmant et préoccupant. Il touche de plein fouet les couches les plus démunies. Il n’y a aucune raison possible à ce que des entrepreneurs, artisans, promoteurs ou autres, bénéficient de gros contrats avec des enveloppes conséquentes de l’argent du contribuable et en même temps contournant les règles les plus élémentaires de l’Etat, à savoir la protection sociale. Les employeurs que nous avons approchés, expliquent, quant à eux, ces violations des droits des travailleurs salariés par le fait que le système de cotisations sociales est extrêmement contraignant et qu’il les mènerait à la “faillite” s’ils le mettaient en stricte application. Selon un entrepreneur en bâtiment, connu sur la place à Tizi Ouzou, exerçant sur plusieurs sites “les charges fiscales et parafiscales sont tellement lourdes à supporter que dans le meilleur des cas, il serait plus intéressant de mettre son argent à la banque et de vivre des intérêts produits”.

Est-ce vraiment une bonne excuse ? “Constatez de vous-même ce qu’est devenu le secteur public qui s’acquittait rubis sur l’ongle de toutes les charges dues” se défend-il. Quels que soient les motifs invoqués, le seul “dindon de la farce” reste le travailleur qui n’a même pas la possibilité de se plaindre.

Trop heureux d’avoir trouvé un “emploi” et sachant que les chômeurs toujours à l’affût ce qui pourront le remplacer, sont légion. Pour rappel, par rapport aux années précédentes, plus de 2000 travailleurs exerçant dans divers créneaux ont été recensés par les services de la Cnas pour le délit de fausse déclaration dans la wilaya de Tizi Ouzou. Alors pour contraindre tous ces employeurs à s’intégrer dans la politique sociale de l’Etat, des visites de contrôle, de l’inspection de travail et de la Cnas dans de nombreux chantiers, usines… relèveront certainement l’ampleur de l’exploitation tous azimuts des Algériens et du travail au noir.

S. K. S.

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