Il y a 48 ans le douar Tigrine à une centaine de km à l’ouest de Béjaïa était en proie à une répression coloniale des plus féroces. En effet, la grotte Ifri du petit village de Tala El Vir, 5 km à l’est de Béni Mansour, objet d’un siège de 13 jours par l’armée coloniale d’occupation, a fini par tomber aux mains des forces coloniales. La soldatesque s’est acharnée pour débusquer des résistants tenaillés par la faim et la soif deux semaines durant. Parmi les rescapés de la région encore en vie, Mahmoud M. Cherrared, un octogénaire, à Béni Mansour, livre un témoignage poignant qui fait revivre l’événement. “Un moudjahid capturé dans une embuscade à Assif Tigrine a été contraint de révéler sous la torture que 75 résistants trouvaient refuge dans la grotte de Tala El Vir”. Le récit égrené par le témoin de ces évènements historiques tient en haleine. “La cachette a été encerclée entre le 13 et le 29 septembre 1958 par un arsenal de soldats armés jusqu’aux dents et qui se relayaient 24h sur 24 pour ne laisser aucune chance de salut aux assiégés”. Dans les souvenirs vivaces qui lui reviennent comme un film apparemment bien conservé dans sa mémoire visuelle malgré le demi-siècle qui le sépare de l’époque, notre interlocuteur reconstitue les faits. “Durant tout l’encerclement, nous avons livré une âpre bataille pour tenter d’effectuer une percée dans les cavités rocheuses de la cachette où nous étions prisonniers. Notre espoir était de pouvoir creuser un passage pour sortir à l’autre extrémité de la grotte car nos provisions se raréfiaient progressivement et nos chances de nous en sortir s’amenuisaient chaque jour davantage”. Puis, retenant un peu sa respiration comme pour annoncer une péripétie plus tragique, il évoque gagné par l’émotion : “L’ennemi qui avait tous les moyens de perpétuer le siège s’est donné le temps de resserrer l’étau sur nous car il savait que d’un côté on était prisonniers d’un traquenard sans issue et que, de l’autre notre retraite était coupée et que notre capacité de résistance s’arrêtait inéluctablement à l’épuisement de nos provisions de nourriture et d’eau”. Chemin faisant, on peut distinguer dans la voix du témoin un changement dans le timbre qui illustre que le récit devient plus émouvant et avec un effort il se lâche un peu embarrassé. “Une fois la provision d’eau consommée, raconte-t-il, nous étions réduits, survie oblige, en plus d’avoir à boire nos propres urines à essuyer des tirs incessants de grenades et de bombes lacrymogènes qui augmentaient notre supplice et nous obligeait graduellement à quitter notre enfer. Et d’ajouter : “Nombre d’entre nous ont succombé aux atrocités de la torture dans la sinistrement célèbre prison de Kseur Tir à Sétif dans l’est du pays”. Et de conclure que certains compagnons de combat, moins chanceux, ont été littéralement tués par balles, les mains liées et les yeux bandés par des pelotons d’exécution.
Un autre témoin survivant à Tala El Vir, M. Saâdi Ali, lui, a fait savoir que parmi les 75 moudjahidine piégés, il y avait des djounouds, des sous-officiers, des officiers et que certains d’entre eux étaient des artificiers. Cet ancien officier de l’ALN a reconnu qu’une erreur de stratégie a bel et bien été commise avouant dans la foulée qu’un jour le colonel Amirouche leur faisait remarquer que la cache pouvait être intéressante à condition d’avoir une autre issue, en cas de siège. “La précaution à laquelle a fait référence l’officier supérieur bien averti, lui, n’a pas été prise par les résistants, a-t-il déploré, et nous avons alors chèrement payé notre entêtement”.
Z. F.
