Démystifier l’histoire, oui mais…

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Le documentaire commence par un petit clin d’œil historique sur l’exode de 1962 : les arrières petits-enfants d’immigrés arrivés un siècle plus tôt: Français, Espagnols, Italiens, Maltais et Juifs indigènes quittent l’Algérie précipitamment. Jean-Pierre se demande si la cohabitation entre Européens et musulmans était devenue impossible ou n’était-ce que le résultat d’une certaine histoire… Pour tenter de répondre à cette question, Aziz, Katiba, Hamid et Khierddine ont accepté de revisiter les méandres de l’histoire, de 1955 à 1962… D’abord, Aziz Mouats de Skikda, le semeur d’artichauts qui, du fond de son village lointain, nous relate les événements du 20 Août 55 à Philippeville (l’actuelle Skikda). Le massacre des Européens cette année-là était pour lui inexplicable et « gratuit ». Il part donc à la recherche de la vérité (notamment sur la mort de son oncle Lyazid, leader FLNiste de la région) et interroge les anciens moudjahidines sur les événements de cette date-là.

Ensuite, Katiba Hocine, présentatrice d’une émission à la Chaîne III, témoin de l’histoire de son enfance, nous emmène dans une randonnée magique dans La Casbah puis à Bab-El-Oued, quartier où elle est née et a grandi. Katiba regarde la Révolution algérienne du haut de ses souvenirs lointains et décide que les poseuses de bombes dont Jean-Pierre Liedo essaie, discrètement, de contester l’héroïsme, étaient des patriotes et non des terroristes et qu’une guerre de libération ne peut éviter de faire des victimes civiles. Le témoignage de la moudjahida, Louisa Ighillahriz, renforce cette idée et pose à son tour cette question: la vie des femmes, des enfants et des vieils hommes algériens tués par les bombardiers français avait-elle moins de valeur que celle des civils français et européens? Une révolution n’avait-elle pas le droit d’user de tous les moyens possibles pour arracher la libération? Katiba, à son tour, affirme que si elle avait eu l’âge de participer à la révolution et de poser des bombes dans des cafés et des lieux publics, elle l’aurait fait pour la cause suprême de l’indépendance. Ensuite, direction Constantine avec Hamid, un amoureux de la musique malouf affectionnant particulièrement « Cheikh Raymond », un Juif constantinois, virtuose de la musique malouf, prétendument assassiné par les révolutionnaire algériens en 1961! Un musicien et ancien moudjahid dément vivement cette théorie et affirme que Raymond a été assassiné par les services du Colonel Mercier mais ajoute, par contre, que « s’il fallait tuer Beethoven ou Mozart pour l’indépendance de l’Algérie, ils l’auraient fait sans état d’âme ». Enfin, Oran… Là, c’est le jeune Khierdine, amateur de théâtre, qui nous sert de guide à travers les rues et les quartiers d’El Bahya et nous fait rencontrer ceux qui, en 1962, ont assisté à l’euphorie de l’indépendance mais aussi à de sanglants actes de violence dont furent victimes les Européens d’Oran, notamment à « Petit Lac » et à « Ville Nouvelle ». Cette violence, affirme un ancien moudjahid, a été déclenchée suite à une balle tirée par un mercenaire de l’OAS sur un civil algérien pendant le défilé au centre-ville d’Oran. Le documentaire s’achève sur la rencontre émouvante d’anciens amis qui dansaient et chantaient ensemble avec les Européens avant l’Indépendance. Aujourd’hui encore, malgré leurs âges avancés, ils ont décidé de chanter des airs plaintifs de boléros espagnols comme pour dire que même si l’Histoire avait instauré des limites infranchissables entre eux et leurs amis de jeunesse, la chanson est là pour faire un grand saut en arrière et revivre les bons moments de jadis. Des moments de nostalgie, de bonheur et de larmes. L’indépendance avait-elle seulement été le jour le plus glorieux de l’Histoire de l’Algérie? N’y a-t-il pas d’Algériens qui, sans faire partie de « Hizb Fransa », regrettent leurs amis qui ont quitté leur pays pour fuir la persécution de leurs frères musulmans? L’Algérie ne pouvait-elle pas arracher son indépendance sans arracher à ses enfants le droit de vivre et de mourir sur la terre où ils sont nés et ont grandi? Jean-Pierre Liedo a posé maintes questionnements de ce genre. Il y a évidemment, dans le documentaire, une partie de vérité sur les événements de Skikda en 55 et d’Oran en 62 mais pourra-t-on dire qu’une révolution, dont le dessein est de libérer un peuple après 132 ans d’occupation, pourrait se réaliser sans chagrins, sans innocentes victimes, sans regrets ? L’Histoire ne sera jamais un gardien fiable et crédible de la mémoire des peuples. La vérité historique restera donc relative, changeante et, dans certains cas comme celui-là, inaccessible…

Sarah Haidar

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