Abderrahmane Bouguermouh entouré des siens

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Le réalisateur du premier film en langue kabyl, a vu son état de santé se dégrader après presque deux semaines d’hospitalisation, obligeant l’équipe soignante du Pr Poyenard, à le transférer dans une unité de soins intensifs. Cette dégradation, indépendamment du cadre hospitalier, est due essentiellement à la pénibilité des conditions d’hospitalisation, perte d’appétits, position allongée quasi obligatoire depuis le premier jour de son admission. C’est dans ces conditions que nous lui avons rendu visite.

Occasion aussi de prendre la température de solidarité de la communauté immigrée en France envers ceux qui traversent des mauvaises périodes.

Au quatrième étage du bâtiment qui abrite le service gastro-entérologie, la vue est imprenable la nuit sur Paris côté ouest. De la grande baie vitrée qui longe le mur de la chambre 405, s’offre à l’œil le spectacle des illuminations de la Tour Eiffel.

Le panorama est loin de réjouir, ici c’est l’état de santé de Bahmane qui préoccupe sa famille et ses visiteurs et décide de l’ambiance générale. A mesure que celui-ci se dégrade, les mines se crispent, les mots se raréfient. La plus affectée est sans nul doute sa femme Djamila et son fils Djamel, lesquels malgré la dureté de l’épreuve résistent au chevet du malade. Ils accueille sourire aux lèvres ceux qui viennent leur témoigner leur solidarité le temps d’une visite de courtoisie.

Laurence Bourdil, cette descendante de la prestigieuse lignée des Amrouche est là depuis les premières heures. Comme autrefois, quand il fallait vaincre les longues nuits d’hiver, les souvenirs racontés, revêtent des allures de contes kabyles anciens. Nna Fadhma, Taos, Jean Lmouhoub animent des anecdotes de la grande histoire de l’exil. Sensible et émouvante, la proximité avec cette grande dame rend familière la grande aventure humaine de cette famille originaire d’Ighil-Ali. L’évocation par le réalisateur et la cantatrice des bouts de chemins partagés il y a des dizaines d’années, suspend le temps au dessus du bonheur.

Dans le couloir une chevelure blonde fait retourner les têtes, Malika est venue directement après sa représentation au musée Albert Kahn. Telle une petite sœur, elle prend affectueusement la main du patient pour lui murmurer une vanne dans l’oreille. Si le rire prolonge la vie, la bonne humeur de Malika Domrane conjure le mauvais sort. Ma tacfid, si tu te rappelles, après cette expression, déboule l’instantané d’une cocasserie passée survenu avec tel ou telle artiste. « Ma tacfid, Shamy toujours pressé, à la fin des repas au restaurant demande l’addition parce qu’il faut qu’il parte illico. Le restaurateur alors entonne une parodie d’EL Hasnaoui : Shamy, shamy at ruh-ad anfiyi ad ddu_ ».

Avec un talent inimitable, Dda Abderrahmane donne une âme à ce qu’il raconte. La présence de Malika est tellement bénéfique à son état de santé, que son fils Djamel dira que les médecins devraient l’intégrer dans la thérapie.

Partagée entre la félicité du moment présent et l’abîme des lendemains désenchantés, c’est la même chanteuse qu’on retrouve dans les couloirs à pleurer en silence. Artiste de la déchirure, elle a vécu la déchéance des derniers moments de beaucoup d’artistes comme elle. Trop, c’est trop !

Ben Mohamed le poète à la barbe grisonnante est venu en voisin. Etre Kabyle pour lui, c’est d’abord honorer ce “vivre ensemble” ancestral que doit un montagnard de cette éternelle Kabylie à son semblable. La mythique Davda, le deuxième rôle féminin dans la Colline oubliée, a fait le déplacement de Strasbourg. Takfarinas, Nadia, Aldjïa, Fellag… et j’en passe. Dans la foule des intimes, des anonymes et des célébrités. Tous ne souhaitent qu’une chose, un prompt rétablissement au fils des Awzellaguen.

De Paris, Zahir Naït Tizi

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