Même si le nombre d’imams qui ont choisi de se porter candidats aux prochaines élections locales “ne dépasserait pas la dizaine’’, selon le conseiller à la communication du ministère des Affaires religieuses, la bonne parole de certains hommes de culte officiant dans les mosquées de la République a, au cours de ces jours de campagne électorale, dépassé le simple prêche ou la traditionnelle homélie pour prendre l’aspect de franches invitations ou recommandations adressées aux prieurs pour aller voter pour un parti ou un candidat particulier. La presse a pu relever, entre autres, le cas d’un ‘’mini-meeting’’ organisé par l’imam d’une mosquée de Zeralda au cours de la prière de vendredi dernier. D’autres cas ont été signalés à Constantine, Oran, Annaba,…etc. Le conseiller à la communication fait état de l’existence d’une “ligne rouge’’ que les imams se doivent de garder de franchir. Ils peuvent seulement appeler les citoyens, au cours du prêche, à aller accomplir leur devoir électoral ; ils ne peuvent aucunement s’immiscer dans les choix des électeurs. Entre les instructions de la tutelle et la pratique dans la mosquée, il semble qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.
Mais, que l’on se garde d’accabler les seuls imams dans cette volonté d’intrusion dans la vie publique et de laver le ministère des Affaires religieuses de tout soupçon d’interférence. En servant de relais inapproprié à certaines actions du gouvernement, la mosquée a été malmenée dans ses fonctions originelles et placée parfois dans une position délicate où elle doit donner son ‘’extrême onction’’ à une mesure administrative ou accompagner d’une manière maladroite une initiative peut-être à l’origine bien intentionnée.
Rappelons-nous la parcimonie du ciel en matière de pluviométrie au cours de l’automne 2006. Le spectre de la sécheresse, qui risquait d’hypothéquer la production agricole et de soumettre les ménages à rude épreuve, a mobilisé la masse des croyants via le ministère des Affaires religieuses à implorer le ciel par la prière de l’ ‘’Istisqa’’. Si aucune ‘’suite’’ n’a été réservée rapidement à cette déprécation, c’est, explique-t-on ça et là, parce que parmi les rangs des prieurs, il y aurait des hypocrites, de faux dévots, bref, en termes religieux, des pharisiens. Le rituel d’Anzar (dieu berbère de la pluie), remis alors au goût du jour dans certains villages de Kabylie, tout en tirant son origine d’un antique paganisme, se garde néanmoins de tirer des conclusions hâtives et culpabilisantes d’un phénomène lié aux changements climatiques et avec lequel il faudra désormais compter dans la gestion des ressources naturelles et le choix des systèmes de culture.
Dans un tout autre domaine, le département de Ghulmallah a voulu servir, au cours de la même période, de relais au ministère de la Santé en misant sur la sensibilisation et la prévention. C’est là le contenu du prêche national servi dans les mosquées sur instruction du ministère de tutelle. Au menu, la vulgarisation des méthodes de prévention contre le Sida. Nous étions à mille lieues de soupçonner l’existence de compétences médicales au sein de nos lieux de culte. Sachant comment de simples pratiques liturgiques ont subi des contorsions et des détournements dommageables à la cohésion de la communauté- une véritable hérésie par rapport à l’islam ancestral de notre pays-, connaissant aussi la formation exclusivement religieuse, voire ‘’pavlovienne’’ des imams et prêcheurs, l’on voit mal comment un sujet aussi délicat et sur lequel pèsent moult préjugés peut être traité, expliqué et vulgarisé par nos respectables imams de province sans tomber dans le raccourci et l’enfantillage. Une semaine après, ce fut le tour de la grippe aviaire. Lorsqu’on connaît la difficulté des agents de l’État (Protection civile, Administration des Forêts, Service vétérinaire des DSA) à diagnostiquer la maladie sur certains cadavres d’oiseaux trouvés au bord des mares et de certains lacs ou sur des fils électriques et téléphoniques, il y a lieu de douter du travail de vulgarisation qui viendrait d’une quelconque autre partie, fût-elle la mosquée. Ceci pour ne rien dire des lieux de culte où des appels au djihad par actions kamikazes ont été prononcés. Un des imams de la capitale n’a t-il pas été mis directement en cause dans ce genre d’affaires et qu’il a disparu de la circulation depuis la révélation de son cas ?
Outre des prêches au contenu fort discutable- qu’il soit le produit exclusif de l’imam ou qu’il soit dicté d’ ‘’en-haut’’-, des bicoques et autres granges de fortune continuent d’abriter d’une façon informelle des activités religieuses au su et au vu de tout le monde. 40 000 unités de ces lieux clandestins ont été fermées à travers le territoire national d’après M.Tamine, porte-parole du ministère. Enhardies par une Alliance présidentielle dont un plateau de la balance a subi une déclinaison islamo-conservatrice, des sphères du pouvoir politique continuent à sustenter l’islamisme par les canaux officiels ou par les voies informelles de la société. L’année passée, une certaine presse s’est mise dans la position de la vierge effarouchée suite à une information faisant état d’une visite programmée de chrétiens palestiniens à Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine. Elle y a vu un danger plus pernicieux que celui soupçonné chez les missionnaires européens : “L’obstacle de la langue a sauté !’’, se lamente-t-elle. Que signifient toute cette cagoterie et cette ostentation si ce n’est une patente régression culturelle et une misère spirituelle alimentées, il est vrai, par des jeux politiciens et rentiers dont les Algériens risquent de ne pas sortir vainqueurs ?
Amar Naït Messaoud